Liège, principauté du rock

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Du Micro Festival aux Ardentes, de l’Escalier à La Zone, de Freaksville à Jaune Orange, Liège reste le centre névralgique du rock wallon. Pourquoi? Comment? Histoire d’une ville qui ne dort jamais.

Hollywood Porn Stars, The Experimental Tropic Blues Band, Ultraphallus, Hank Harry, My Little Cheap Dictaphone, Dan San, The K., Malibu Stacy, Pale Grey, Piano Club, The Cheap Killers, Le Prince Harry, Komplikations… On pourrait passer un article entier à énumérer les groupes de pop et de rock liégeois. Ce n’est pas un hasard. Dans l’ardente cité de bord de Meuse, le coeur de la musique qui rolle a toujours battu plus vite qu’ailleurs en Wallonie.

« La Wallonie, c’est petit, rigole Bouli Lanners. Mais c’est vrai qu’il y a toujours eu un vivier artistique très fort sur Liège. Que ce soit dans le théâtre, le cinéma ou le rock. Et ce, même si la région n’est pas en forme économiquement. En fait, il s’agit peut-être d’un atout culturellement parlant. Liège n’est pas une ville assise, installée, confortable, bourgeoise. Elle est confrontée à quelque chose de dur. Et c’est le cas de pas mal d’endroits importants dans l’histoire du rock. De Liverpool à Hambourg… »

Bouli est arrivé à Liège en pleine vague punk. « Mais les punks wallons étaient déjà un peu fatigués. C’était les débuts du garage. » A l’époque, le réalisateur des Géants bossait dans les bars de nuit. Il se souvient des Bombsite Kids, « un groupe oi! de gauche », des « mythiques » Acétylène. Puis des Scalpers, tous ses potes, dont il était le premier aficionado. « La Chapelle, Le Cirque divers, Le Lion s’envoile… Il y avait plein de salles alternatives, se remémore-t-il. Beaucoup plus que maintenant où dès que tu organises quelque chose, tu te chopes les pompiers, l’hygiène, les flics et les voisins sur le dos… »

Avec La Zone, L’Escalier, le Shamrock, Lou’s Bar, le Tipi, le CPCR, le Mad Café, la péniche InsideOut, le Carlo Levi, la musique live continue de vivre en ville. « Liège a de manière générale une culture musicale. Elle n’est pas que rock, elle est aussi jazz, note Fabrice Lamproye des Ardentes. On a commencé à organiser des concerts en même temps que Pirata en 1992 mais il y avait un passé, des pionniers. Des associations emmenées par des Liégeois comme André Denoël. The Cure et les Stray Cats ont joué à Liège. The Clash est venu en 1982. Genesis et Supertramp sont passés dans les années 70. »

Le Coup de l’Escalier

Comment expliquer le dynamisme liégeois? « Cette question brasse, je pense, plus large que la musique, avance Jean-François Jaspers, coordinateur du collectif Jaune Orange. Elle relève peut-être du côté très indépendant de la ville, ancienne principauté, proche de plein de trucs et en même temps un peu isolée. Bruxelles est à une heure de voiture et à part les coffee, il ne se passe pas grand-chose à Maastricht. Le Liégeois a par ailleurs un côté non pas renfermé sur lui-même mais fier de sa ville. Il a envie de la faire bouger et d’y sortir. Liège a un caractère fort. Genre: il ne se passe rien, faut faire des trucs. Elle ne ronfle pas dans l’attentisme. »

C’est que Liège est une ville jeune. Une ville étudiante avec deux campus. L’un à l’intérieur, l’autre à l’extérieur de ses murs. « C’est peut-être naïf, mais notre côté rock est aussi dû au fait que Liège est extrêmement vivante. Si on l’appelle la cité ardente, ce n’est pas pour rien », relance Grégory Dubois d’Honest House.

« Le côté festif est sympa mais peut aussi être casse-couille, tempère Benjamin Schoos, alias Miam Monster Miam. Avant minuit, tu ne sais pas où sont les gens…. Ils arrivent tard et ont souvent du mal à fermer leur gueule pendant un concert… »

« Liège n’est ni trop grand ni trop petit. C’est selon moi un gros village avec donc rapidement des lieux qui fédèrent, qui rassemblent », ajoute JF Jaspers. Des lieux comme le Sphinx où jouaient il y a 15 ans Zythum, Booze, Seasick, Just My Life… Groupes dans lesquels on retrouvait les futurs membres d’Hollywood Porn Stars et de l’Experimental Tropic Blues Band.

Créé en 1992 par Fabrice Lamproye dans une ancienne boîte de nuit reconvertie en café-concert, L’Escalier a joué un rôle important dans la vie musicale liégeoise et l’avènement de sa scène rock au tournant du siècle. A l’Escalier, dans le temps, il y avait la salle, un magasin de CD’s d’occasion (Misere Record) et un café plus calme à l’étage.

« Le magasin était un chouette centre nerveux, insiste JF. Les groupes pouvaient y déposer leurs disques. Beaucoup de gens y traînaient. »

« On passait des journées entières là-bas, raconte Miam. J’avais 18 ans. J’y retrouvais les mecs de MLCD, de JO. J’ai suivi un autre chemin, moins pop rock, plus underground et international dans la manière de travailler la musique, mais il y avait beaucoup d’émulation autour de l’Escalier et de la Soundstation. »

Honest House, Plastic Team

Avec son studio, son label, la Soundstation, ouverte en 96 et fermée en 2007, a accompagné les débuts discographiques d’Hollywood, de Miam, de Zop Hopop, de Superlux… « C’était un endroit vivant dédié au rock indé, résume Miam. Liège a mûri, grandi, pris de l’importance dans l’industrie musicale. »

« Nous ne sommes pas les petits frères mais l’ancienne génération nous a ouvert la voie et fait comprendre que des choses étaient possibles, reconnaît JF Jaspers. A Liège, on est plus dans l’émulation que dans la compétition ou la rivalité. Quand on organise des concerts, on se concerte, consulte nos agendas respectifs pour ne pas concurrencer d’autres projets. Il y a moyen de s’en sortir sans se marcher sur les pieds. Même les Barbantes ne sont pas anti-Ardentes. Elles ont juste envie de proposer autre chose. »

La diversité. C’est l’un des atouts des activités à la liégeoise souvent montées avec trois francs six sous. Pas vraiment dans les règles mais spontanées, bordéliques, sauvages. Géniales souvent. Cela fait une trentaine d’années qu’Alain Preud’homme, ancien membre d’Unhinged et de Two-Star Hotel, est actif dans le rock liégeois. Le punk hardcore d’abord, le rock underground ensuite. Avec sa Plastic Team, collectif de faiseurs de concerts, il fait jouer Ty Segall, Hunx & His Punx et autres rock’n’roll joyeusetés dans sa cité ardente. « Des groupes que je suis obligé de programmer si je veux les y voir, glisse-t-il. On rame face à Bruxelles pour attirer du monde mais c’est plus facile qu’à la fin des années 80 quand on devait construire nous-mêmes la scène avec des tables, faire venir le brasseur et amener une sono. »

Créé en 2005, le collectif Honest House (Frank Shinobi, Coyote, Taïfun…) s’est fixé pour mission de promouvoir l’indie rock. « Il y avait une effervescence à Liège avec Jaune Orange. En allant aux concerts qu’il organisait, on s’est mis en tête de créer notre truc avec nos spécificités », retrace Grégory Dubois. Comme JO, Honest House organise des concerts, un ou deux par mois, et joue le rôle de label. « Notre spécificité, c’est d’arriver avec quelque chose de plus expérimental. Nous sommes dans une niche. Le post rock, des trucs plus indépendants que JO assez pop rock et grand public. Certains de nos projets marchent bien, d’autres moins. On a du mal à expliquer pourquoi. On a parfois l’impression de se battre pour sauver un patrimoine. Nous sommes des trentenaires. Nous avons grandi avec le rock. « 

« Une guitare, on se dit parfois que les jeunes ne savent plus ce que c’est, abonde JF Jaspers. On est donc contents de voir débarquer des Keep The Blues et des Kennedy’s Bridge. »

« Du rock et du boulot »

Et le rôle des autorités communales dans tout ça? A part le fameux slogan de Luc Toussaint, « du rock et du boulot », au début des années 80?

« Des structures comme la nôtre ou comme Jaune Orange sont toutes nées d’initiatives privées et n’ont pas du tout été aidées au début par les pouvoirs publics, constate Fabrice Lamproye. De vraies énergies se sont rencontrées. Quand tu n’as pas d’aide concrète, tu fais les choses toi-même. La prise de conscience politique remonte à la fin des années 90 pour la Communauté française et au début 2000 en ce qui concerne la ville. Pour nous, ça s’est traduit par des subsides, des aides matérielles. Jamais comparable à ce qui se passe en France. Mais les Ardentes sont une vraie collaboration avec la ville. Elle est contente qu’on soit là. Apporte son soutien logistique. »

La Plastic Team n’attend plus de fric. Elle aimerait déjà un semblant de reconnaissance, un minimum de soutien. « Il y a un microclimat culturel sur la ville. Mais nous ne sommes pas plus aidés par les politiques qu’ailleurs. Et en cette année électorale, c’est même tout le contraire, note Grégory Dubois (HH). Les Sunday Roots Days, un chouette événement sur l’esplanade Saint-Léonard, n’ont par exemple plus reçu les autorisations nécessaires. »

« Il y a toujours quelqu’un qui se plaint. Et pour l’instant, on fait plaisir à ceux qui veulent dormir. Pas à ceux qui désirent une vie culturelle, commente Alain Preud’homme. C’était pourtant une initiative emmenée par des bénévoles et elle se déroulait dans une ambiance bon enfant. »

Quoi qu’il en soit, les nouvelles semblent de bon augure pour la musique à Liège. « Je cherchais un lieu pour faire des choses qui s’écoutent. Du français, des musiques plus exigeantes. En octobre, nous reprendrons la programmation de L’Etuve, annonce Miam. Un petit théâtre mythique de 53 places qui a accueilli Barbara, Gainsbourg, Ferré… »

Et tandis que Jaune Orange se cherche une tanière pour organiser des concerts, Fabrice Lamproye espère pouvoir proposer un lieu de live permanent d’ici fin 2013. Le dieu wallon du rock doit être liégeois…

MICRO FESTIVAL EXPRESS

Clap 3e pour le Micro Festival. A nouveau organisé dans le cadre verdoyant de l’Espace 251 nord, le convivial (2000 spectateurs pas plus) et démocratique (10 euros pour la totale) événement liégeois passe sur deux jours avec un micro apéro (3 groupes, 3 DJ’s) le vendredi soir. Complet lors de ses deux premières éditions et couvert, ce qui n’est pas du luxe cet été, il accueillera surtout, le samedi 4 août, la pop tordue de GaBLé, le génial et inventif saxophoniste Colin Stetson (Tom Waits, Arcade Fire) et The Monsters, le groupe du dérangé Reverend Beat-man, patron du label Voodoo Rhythm. Focus aime les Micro ondes…

www.microfestival.be

Avec Taïfun, Bloodshot Bill, The Chap (vendredi); Leaf House, Räpe Blossoms, V.O., GaBLé, Colin Stetson, The Monsters, Bonaparte, Tim Exile + after party (samedi).

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