Les victoires de Beyoncé

Beyoncé au Stade Roi Baudouin, le 31 juillet 2016. © Andrew White/Invision for Parkwood Entertainment
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Au stade Roi Baudouin, l’Américaine a une nouvelle fois triomphé, performeuse inouïe, enchaînant les points telle une boxeuse. Fly like a butterfly, sting like a Bey…

Dimanche soir, Beyoncé était donc à Bruxelles. La preuve, même le JT de la RTBF a fait un sujet sur l’événement. C’est dire l’ampleur qu’a prise la star américaine, qui, en s’arrêtant désormais dans les stades, a définitivement changé de statut. Queen Bey, comme on parlait de Prince, Michael Jackson, Madonna: même combat. Le portrait paresseux du JT ne disait rien d’autre, exercice imposé et interchangeable sur une artiste « de tous les records », « success story » d’une chanteuse qui a compris qu’il « fallait aussi laisser parler son corps ». Ben, tiens…

Rien sur sa trajectoire inhabituelle, sa façon de gérer sa carrière, et ses sorties discographiques. Ni sur sa transformation d’entertaineuse-robot en artiste « politique », féministe et engagée pour la cause noire (son soutien plus ou moins frontal au mouvement Blacklivesmatter). Il ne faut pas être fan pour se rendre compte aujourd’hui que l’impact de Beyoncé Knowles et de son parcours ne se limitent pas à ses chiffres de vente – conséquents certes, mais pas autant, par exemple, que ceux d’une Adele. Que tout cela ne soit que plan marketing et stratégies de comm’ importe au final bien peu: en pop, après tout, si la sincérité du discours est importante, elle ne l’est jamais autant que la conversation qu’elle permet d’entamer. La preuve dès le stand merchandising: y est mis en vente un t-shirt sur lequel est inscrit « Boycott Beyoncé ». À la fois pirouette ultime d’une star assez puissante que pour jouer avec l’injonction paradoxale. Et référence à la réaction de la police de Miami qui, après le show très Black power lors de la mi-temps du dernier Superbowl, avait appelé à boycotter le premier concert de sa tournée mondiale en Floride.

Sur le coup de 20h45, le show est d’ailleurs lancé avec Formation, le « morceau-polémique » en question. Difficile d’y trouver le moindre slogan révolutionnaire? Peu importe. L’entrée est martiale, conquérante. Si le béret a été remplacé par un large sombrero Chapi Chapo, Beyoncé et sa douzaine de danseuses, toutes de noir vêtues, démarrent en mode guérilla. C’est un vrai coup de force, une prise de pouvoir impressionnante. Si guerre il y a, elle est cependant aussi domestique. Doigt d’honneur adressé au mari trompeur sur Sorry, enchaîné à Irreplaceable. Un peu plus loin, l’affirmation féminine/féministe se poursuit avec l’hymne Run The World (Girls). Dans les faits et dans les gestes: même si on les voit peu, les musiciens planqués sur les côtés sont à nouveau toutes des femmes.

Beyoncé au Stade Roi Baudouin, le 31 juillet 2016.
Beyoncé au Stade Roi Baudouin, le 31 juillet 2016.© Andrew White/Invision for Parkwood Entertainment

Fin du premier acte, qui est passé de la rage politique à la colère intime. Voire qui a réussi à mêler les deux. Quelque deux heures plus tard, en toute fin de concert, c’est d’ailleurs exactement le même balancier: après avoir livré sur grand écran des images de son album familial – se terminant par les mots de la grand-mère, 90 ans: « Life gave me lemons, I made lemonade » -, Beyoncé revient en bande pour chanter Freedom, les pieds dans l’eau pour mieux faire éclabousser sa colère.

Visuellement, c’est un peu le même mouvement qui est donné à voir pendant tout le concert. D’un côté, Beyoncé Knowles, minuscule, presque perdue sur l’immense scène (et qui, lorsqu’il faut rendre hommage à Prince, préfère s’effacer et simplement passer Purple Rain). De l’autre, son visage omniprésent, royal, fier, diffusé sur le gigantesque monolithe noir servant d’écran géant. Lassée de son image trop lisse, l’Américaine avait à un moment joué la carte de l’alter ego (l’album I am… Sasha Fierce, en 2008). Aujourd’hui, Beyoncé a réussi à tout fondre dans un seul personnage. À la fois féministe (Flawless) et adeptes des poses lascives (Drunk In Love, et sa citation de Swimming Pools). Politique mais pas polémique. People mais aussi privée. Pop enfin, mais audacieuse. Avec même une complexité que la plupart des autres stars de son calibre n’osent plus.

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