Les paysages de Dominique A

Myriam Leroy
Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Le 23 mars, il sera rédacteur en chef de Focus. Making of d’une rencontre avec un boulimique de culture les yeux dans le vague.

Dominique A
Dominique A© Philippe Cornet

Toute la rédaction de Focus a levé le pied, abandonné son poste, activé la fonction silencieux de son téléphone durant 1h30. Roularta a prévu les viennoiseries et l’Appelsientje. Pour lui, pour sa visite. Dominique A. Le type souriant, le type sympa, celui qui fait des photos alors que ça ne lui plaît pas trop. Celui qui rassemble dans ses tableaux mélancoliques les amateurs de rocks et les fans de hip hop, les lecteurs chevronnés et les spécialistes du cinéma… Inclassable, inclassé. L’émotion à laquelle l’auteur et chanteur français fait appel est universelle, elle échappe aux clivages habituels. Alors Focus l’a invité à se glisser dans la peau du rédacteur en chef du magazine dans le numéro du 23 mars, à la faveur de la sortie imminente de Vers les lueurs, son neuvième album studio, enregistré à Bruxelles à la fin de l’année dernière. A commenter toutes les rubriques de l’hebdomadaire, lui proposer des sujets, lui composer un édito… Dominique A a longtemps écrit pour le magazine du TGV, ça peut aider. Il a envie qu’on parle de la poésie aujourd’hui, ses nouvelles références, son évolution. Il propose une humeur sur la musique qui refuse de suivre la technologie. Il suggère le portrait d’une bédéiste suédoise, Joanna Helgren, qu’il adore. Dominique A lit d’ailleurs énormément de BD, « mais beaucoup de conneries, aussi. J’achète des rééditions de Pif Gadget, des Tex… C’est une sorte de décélération cérébrale », rigole-t-il, référence à une réflexion posée un peu plus tôt, « si on ne freine pas des quatre fers, on va droit dans le mur ». « Oublie la ville, oublie la vitesse » dit-il dans Contre un arbre, le morceau qui ouvre son nouveau disque. Il assume de ne pas faire partie de la génération Internet. « On doit être 50 comme moi en Europe: je déteste écouter un disque avant de l’acheter. C’est un tue-l’amour, c’est un tue-mystère. » Spotify, Deezer, tout ça, « ça m’emmerde ». Même s’il y est distribué.

Les premiers extraits de Vers les lueurs ont été postés sur Facebook, des images des concerts où il a rodé quelques chansons ont été uploadées sur YouTube… « Des titres ont été balancés sur le Net et commentés par les Internautes au moment où on était en train de mixer le disque. C’est tétanisant et bien à la fois. J’aime cette idée de mise en danger. Ça nous renvoie aussi aux 60’s, au principe Motown où on finalisait le disque à 17h et on l’envoyait au DJ pour le soir-même. »

Couard

Aujourd’hui qu’il est « moins pris avec ses bidules », il s’est remis à acheter des disques, plein. « J’y retrouve encore des émotions fortes. » Il cite My Brightest Diamond (« j’aurais découvert ça à l’adolescence, je me serais pâmé »), Daniel Darc (« la façon qu’il a de dire les choses, il n’y a que lui qui peut faire ça »), mais aussi La Grande Sophie (« qui m’a supris avec son dernier album alors que je n’en attendais rien ») -et sa profonde aversion pour Jean-Louis Aubert et Nicola Sirkis, tandis qu’il commente les dernières déclarations de Jean-Louis Aubert par « La vieillesse est un naufrage ». Chez les Belges, le nom de son pote Marc Huyghens (Joy, ex-Venus) lui vient immédiatement à l’esprit. Et il évoque une scène suisse extrêmement riche –« avec par exemple Honey for Petzi, du post post rock assez mélodique et carré. »

Boulimique de culture, il confesse cependant fréquenter peu les cinémas « La musique et la lecture m’accaparent. Mais j’ai vu The Artist comme tous les Français et j’ai aimé, comme tous les Français. Ainsi qu’Oslo, 31 août, que j’ai trouvé magnifique et qui m’a donné envie d’y retourner. » Il aime les films aux grandes qualités picturales, « Au cinéma il y a un trop-plein la vue qui m’agresse. Un film n’est pas un objet accueillant pour moi ». Et il ne supporte pas la violence: « Une scène de violence physique s’imprime dans ma rétine et fait barrage à tout le reste. Je voudrais voir le dernier Bruno Dumont mais comme un couard je n’y vais pas. » Il n’a aucune fascination pour les acteurs, « Je considère que ce ne sont pas des artistes » (il considère qu’il y a une hiérarchie dans l’art et y dévalue par exemple l’humour, « en particulier celui d’humiliation »), mais un grand respect pour les réalisateurs. Pour le traitement de l’image, surtout, la beauté du plan. Il préfère l’image fixe à l’image animée. Pas tellement les dessins, plutôt les paysages.

« Mes chansons les plus pérennes partent toutes d’un paysage précis que j’ai en tête, même s’il n’est pas décrit par ailleurs. » Le voyage, pour lui qui se déplace souvent et qui vit entre Bruxelles, Rennes et Nantes, c’est surtout un rapport aux paysages. L’auteur de L’horizon se définit comme « un voyageur misanthrope », gêné par l’obscénité du tourisme et les rapports basés uniquement sur la valeur marchande. « Je voyage un peu moins aujourd’hui à cause de ça. »

Bande de Gaza

Il regrette l’uniformisation des paysages dans Rendez-nous la lumière, le premier single de son dernier opus, « l’uniformisation de la laideur ». Dans un livre à paraître chez Stock, où il évoque des souvenirs d’enfance, il cite un mangaka « qui dit que le plus important dans une vie ce sont moins les situations vécues que les paysages vus. » Et de se rappeler de son enfance en province, dans la bien-nommée ville de Provins, « îlot médiéval et conservateur à 100 kilomètres de Paris, une plaine infinie mais ouverte sur rien », qui a peut-être donné à sa musique ses accents claustrophobes. Ses vacances annuelles en Bretagne, en revanche, l’ont ouvert à la beauté des choses. « J’ai l’impression d’avoir un gros discours réac, avec ce genre de propos, ça me fait chier! », s’excuse-t-il.

Sur la politique française, il n’a pas grand-chose à dire, hors conversation de bar. Il ne voit pas à quel titre il commenterait les élections. Et ne s’inscrit pas dans une veine punk qui chante le social: « Les sans-papiers n’ont pas besoin de chansons, mais d’engagement politique. »

Lui, il préfère raconter les tourments de l’âme humaine, « Même si je n’ai qu’une expérience très limitée de la vie. Je ne suis pas reporter de guerre. Ma bande de Gaza à moi, c’était ma tournée avec Miossec! »

Il embraye sur l’alcoolisme mondain, se fait plus grave, assure que ça ne l’aide pas à composer, « plutôt à raccourcir ma vie », à quelques exceptions près arrosées de deux-trois bières qui ont fait couler quelques textes qui arracheront des larmes à leurs auditeurs, alors que lui les avait écrits dans une posture « joyeuse ».

« Il y a des moments où je ne devrais pas me permettre de me mettre dans des états pareils. Au Japon, suite à une discussion avec une jeune programmatrice auprès de qui j’ai cassé le mythe de l’élégance à la française, je suis grillé à cause de ça. »

Il glisse, mi-amusé, mi-gêné, « Heureusement que vous ne m’avez pas vu hier… »

Dominique, en revanche, tu reviens demain, si tu veux. Il reste plein de pains au chocolat, et Ysaline, des pages bouquins, aurait aimé une photo avec toi.

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