Les audaces de James Holden, attraction du festival BRDCST

Tournant le dos aux écrans solitaires, James Holden arpente de nouvelles friches sonores, plus collectives et personnelles à la fois, sur The Animal Spirits, à vérifier en live au festival brdcst, le 08/04 à l'ab. © LAURA LEWIS
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Célébrant le mariage de l’électro, du jazz et de la musique des gnawas, James Holden sera l’une des attractions du BRDCST, le festival aventureux et défricheur de l’Ancienne Belgique. Présentations.

Il est accessible. A filé son numéro de portable. Répond sans se faire attendre. Et vient nous chercher en haut des escaliers du Tivoli, gigantesque bâtiment de verre autour duquel s’articule à Utrecht le festival Le Guess Who? dont il est l’un des curateurs. Mec calme, voix posée… James Holden, grand échalas fin comme un fil de fer, montre le chemin jusqu’à sa loge et se joue du dédale. Enchaîne les ascenseurs et traverse l’immense auditoire vide où l’accordéoniste fou Mario Batkovic est en train de réaliser son soundcheck. Le Guess Who? est le festival de toutes les audaces. Et James Holden, ça, ça lui va bien au teint. Un teint pâle de Britannique élevé à Leicester dans un foyer conservateur. Son dernier album, lui, ne manque pas de couleurs. Enregistré à Londres au studio Sacred Walls (le sien) pendant l’été 2016, The Animal Spirits est une grande odyssée mélangeant électro, jazz spirituel et musique gnawa. Esprit, es-tu là?

Comment en es-tu arrivé à ce melting-pot?

Le disque s’est monté doucement. Les trucs qui se passaient, les expériences que je vivais… Tous pointaient dans la même direction. L’opportunité de jouer live avec Tom (Page) pour la tournée de mon album The Inheritors parce que Thom Yorke m’avait demandé d’assurer la première partie d’ Atoms for Peace. Et celle de jouer avec Mahmoud Guinia et son groupe… Tout est arrivé plus ou moins en même temps. Et aussi cette prise de conscience: tu penses que tu es plutôt bon dans ce que tu fais. Et puis, tu réalises que cette boîte et ces câbles ne font que des bruits stupides. Que tu ne sais rien à rien. Il y a vraiment des limites à ce que l’électronique te permet si tu compares ça à de vrais musiciens. L’instrument et moi devions nous améliorer. J’ai commencé à savoir que l’album se bâtirait autour de Tom, étienne (Jaumet) et moi. Puis, j’ai réalisé que ce serait plus grand que ça. J’ai aussi arrêté de jouer les DJ’s. Donc mes habitudes d’écoute ont changé. Je n’étais plus obsédé à l’idée d’écouter tout ce qui sortait. J’ai eu le temps de me dire: j’adore ce disque, je vais le laisser tourner dans la voiture tous les jours pendant un mois. Après, je me suis rendu compte que je n’écoutais quasi que Don Cherry et Pharoah Sanders. Ça a même commencé à ennuyer ma copine ( rires). J’ai compris qu’il y avait quelque chose dans cette musique d’assez similaire à la mienne, même si elle est totalement différente de ce que je connais: il y avait des parallèles. La manière qu’ils ont de boucler un truc pendant toute une chanson, de voir où ça peut aller, de l’explorer. De la tordre. De lui mettre la tête à l’envers. C’est en gros ce que j’ai fait pendant toute ma vie. La liberté, la dynamique, la forme… Je reconnaissais tout ça. L’idée a alors germé d’un groupe de jazz spirituel qui jouerait de la trance. Parce que c’est ce que je fais…

Pharoah Sanders, Don Cherry. Qu’est-ce qui te plait tant chez eux?

Le côté hypnotique. Cette répétition d’un incroyable groove. C’est l’une de mes choses préférées dans la musique. Mais aussi le fait qu’ils te parlent en jouant d’une certaine manière. Tout spécialement Pharoah. Il a une expression humaine, animale, si puissante. Mon chien par exemple adore Ornette Coleman. Il ignore toute la musique que je peux passer mais si je mets Ornette, ses yeux se lèvent. Il fixe les baffles, genre:  » Qu’est ce qu’il a dit, là? » J’ai l’impression qu’ils parlent le même langage.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Quand tu évoques les limites de la musique électronique, tu penses à quoi?

J’ai commencé à trouver le processus de studio, le fait de composer des chansons sur un écran très ennuyeux. Un truc finalement vraiment déconnecté de la musique. L’expérience du live m’a fait comprendre qu’elle était avant tout une conversation. J’ai rencontré ce mec de Harvard, Holger Hennig, qui avait mené des recherches publiées dans un magazine scientifique sur le human timing. Il a réalisé des calculs incroyables et prouvé que quand tu joues en duo avec quelqu’un, une petite erreur au début se répercute sur les deux pendant toute la performance. Parce que tu n’écoutes plus correctement l’autre. Si je joue la première note un peu fort, les autres vont y répondre d’une certaine manière qui rendra les choses différentes. Dans un studio traditionnel, tu ne peux déjà même pas jouer avec tout ça, puisque tu enregistres les instruments séparément. Le premier musicien ne peut pas entendre le second quand il joue par exemple. Nous, on a enregistré l’album dans des conditions live.

Quelle était ton expérience avec un groupe auparavant?

Quasi nulle. J’ai passé pratiquement toute ma vie seul dans un studio. Puis, des portes se sont ouvertes. Caribou notamment m’a proposé de monter sur scène. J’utilisais des pédales de guitare et je devais dériver le signal dans des oscillateurs. C’était assez stressant, mais partir en bus avec des mecs cool, c’est beaucoup plus drôle que la vie de DJ. Jusqu’à il y a peu, la musique était une expérience totalement solitaire pour moi. Mais je pense que je ne retournerai jamais en arrière.

Pourquoi avoir intitulé ce disque The Animal Spirits?

J’ai cette croyance que tout est d’une manière ou d’une autre conscient (le premier morceau de l’album s’intitule Incantation for Inanimate Object). On a adopté un chien à la SPA il y a quelques années. Ça a changé ma vie d’une certaine manière. Je t’ai parlé de son amour pour Ornette. Une fois, j’ai mis Boards of Canada et il est sorti de la pièce. C’était un message… L’instantanéité de jouer ensemble, cette conversation sans les mots, ce truc instinctif: je trouvais que The Animal Spirits, ça collait bien. Il y a beaucoup de disques sombres pour l’instant. Le monde est si horrible… L’idée de l’album était de combiner les trucs les plus high-tech avec des bazars traditionnels groovy. Occidentaux, orientaux, africains… Les faire vivre dans une seule entité.

Comment, justement, construit-on un album comme celui-là?

Les audaces de James Holden, attraction du festival BRDCST

L’accouchement a été facile. Une semaine et demie dans mon studio. Tout le monde a débarqué. étienne venait en avion de Paris. On n’avait pas beaucoup de temps. Mais chacun avait réservé cette petite période pour le projet et ça a marché. Tout le monde a très vite compris ce que j’attendais. Là où je voulais aller. Et on s’y est rendu rapidement. On a pris maximum trois prises de chaque chanson. J’avais tout en tête, c’est vrai. Mais je n’étais pas le seul.

Qu’est-ce qui t’a tant attiré dans la musique gnawa?

Je suivais Awesome Tapes from Africa, le blog, le label, depuis longtemps. Quand je jouais les DJ’s, ça m’amusait vraiment. Juste balancer une chanson, ça cartonne à mort dans un set techno. C’est musicalement très similaire. Cette basse, cette percussion, l’hypnose… Le même riff pendant 20 ou 40 minutes mais qui ne se répète jamais. Quand on m’a proposé d’aller au Maroc pour une semaine de résidence, j’étais prêt à dire non. J’étais super occupé. L’album allait sortir. Mais je connaissais la musique de Mahmoud Guinia et j’ai accepté. On est restés une semaine près de Marrakech. Juste en dehors de la ville, dans une villa. Les enregistrements ont eu lieu dehors à côté de la piscine. Au départ, j’étais vraiment intimidé. Tu vois ce genre de moment où tu fais face à toute ton ignorance? Mais ils ont commencé à jouer pour nous pendant un petit temps. C’était de la transe. Tu es dans une pièce étroite et cinq personnes jouent brutalement de leurs castagnettes en métal… Ils entrent dans ta tête et tu te sens différent à la fin.

Qui était Mahmoud Guinia?

Un maâlem: un maître, une légende. Il est extrêmement respecté sur la scène gnawa. Il a collaboré avec plein de musiciens de jazz. Les gens voyageaient pour avoir la chance de le rencontrer. Le disque qu’il a enregistré avec Pharoah Sanders ( The Trance of Seven Colors) est vraiment incroyable. Il ne parlait pas vraiment anglais, et mon français est affreux: ça a été difficile de communiquer. Mahmoud est mort un an après qu’on a bossé ensemble. Au Maroc, il y a ce festival annuel pour célébrer son héritage. L’atmosphère y est incroyable.

Est-ce que tu as l’impression que le futur de la musique électronique se situe en Afrique?

Son passé y a déjà été écrit. Tout se construit sur ce qui a existé avant. Et de toute évidence, plus tu explores ces formes traditionnelles et cherches à découvrir leur histoire, plus tu te rends compte qu’elles n’ont pas juste marqué le jazz, le blues et le rock. Steve Reich, tu peux le créditer à l’Afrique. Comme tous les gens qui recherchent une espèce de transe. Il y a un trait d’union. Le rock et le métal que j’aime ont ça aussi.

Tu penses à qui, à quoi?

Je pense à des groupes de la fin des années 70, du début des années 80, comme Judas Priest. Gamin, j’ai étudié le piano. Je devais répéter tous les jours. Parce que si ce n’était pas le cas, je pouvais faire une croix sur la télé. Je n’avais pas spécialement envie de travailler. Alors, je m’amusais avec les accords de Metallica ou un truc du genre. Je jouais la même séquence pendant une heure. C’est sans doute la première transe que j’ai expérimentée personnellement. Je ne m’entraînais pas du tout au piano… Je prenais juste du plaisir. Après, j’ai découvert la musique électronique. J’ai grandi dans un endroit vraiment bizarre. Là d’où je viens, la techno, c’était un mec avec une Vauxhall Nova rouge et un hayon arrière. Il passait en voiture la fenêtre ouverte. Ksss, ksss, ksss, ksss. Et sur BBC Radio One, tu avais des trucs nsss, nsss, nsss, nsss… Heureusement, grâce à un prof de physique, j’ai commencé à découvrir des trucs comme Orbital. Je devais avoir 15-16 piges. Après j’ai rencontré ma compagne à l’université. Elle écoutait beaucoup de post rock et de hardcore. Bob Tilton, le premier Mogwai… Quand j’ai commencé à faire de la musique, j’essayais vraiment de faire du Mogwai mais avec des softwares. Par chance, un ami vivait à Oxford où il y avait une nuit trance. Tout le monde portait des dreadlocks. C’était les années 90. Il voulait faire une compilation, m’a proposé d’écrire de la trance pour lui. Et je me suis retrouvé dans un monde que je ne comprenais pas vraiment. Aujourd’hui, je suis vraiment là où je veux être. Vingt ans après…

The Animal Spirits chez Border Community/NEWS. Le 08/04 à l’AB dans le cadre du festival BRDCST. ****

BRDCST News

Turkish Psychedelica Night (04/04)

Turkish Psychedelica Night
Turkish Psychedelica Night

L’Ancienne Belgique annonce une double affiche pour lancer son festival BRDCST et apercevoir le Bosphore. Tandis que Le Mystère des voix bulgares ensorcellera l’AB Flex avec Lisa Gerrard, les Stambouliotes de BaBa ZuLa (photo) et les Hollandais d’Altin Gün (qui viennent de sortir leur premier album) animeront une soirée colorée et exotique placée sous le signe du psychédélisme turc. Et bien dansez maintenant…

The Music of Stranger Things (05/04)

The Music of Stranger Things
The Music of Stranger Things

Alors que les acteurs de la série événement Netflix viennent de renégocier à la hausse leurs contrats en vue d’une troisième saison, l’AB invite Kyle Dixon et Michael Stein, les compositeurs (issus du quatuor expérimental texan Survive) de sa bande originale, à venir interpréter sur ses planches la musique de Stranger Things. Steven Spielberg, Stephen King, John Carpenter, John Hughes, sortez de ces corps…

White Light/White Heat 50th anniversary (05/04)

White Light/White Heat 50th anniversary
White Light/White Heat 50th anniversary

Pour fêter comme il se doit les 50 ans de son deuxième album White Light/ White Heat, BRDCST met à l’honneur le Velvet Underground en deux temps. Avec la diffusion en avant-première, au nouveau cinéma voisin Palace, de Nico, 1988 (photo). Un biopic aux allures de roadmovie (signé Susanna Nicchiarelli) qui s’intéresse aux dernières années de Christa Päffgen. Mais aussi avec un concert de minuit: une listening session du mythique album terminée par une version live de Sister Ray étirée sur 40 minutes par les aventuriers sonores de Barst.

Sleaford Mods and friends (07/04)

Sleaford Mods and friends
Sleaford Mods and friends

Les Anglais de Sleaford Mods prennent l’AB en otage, mettent la main sur la programmation et annoncent un samedi qui en aura dans le pantalon. Avec l’anarcho punk Steve Ignorant (Crass), la noise hardcore décapante de Lowest Form, le génial antifolkeur Mark Wynn, le post punk de Structure, le synth punk lo-fi au féminin de Nachthexen, le hip-hop de leur pote John Paul et la diffusion du docu qui leur est consacré, Bunch of Kunst, Jason Williamson et Andrew Fearn ont trouvé de quoi faire grimper la température. Ça va cracher, chérie…

Irreversible Entanglements feat. Moor Mother (08/04)

Irreversible Entanglements feat. Moor Mother
Irreversible Entanglements feat. Moor Mother

James Holden et ses Animal Spirits ne sont pas la seule bonne raison d’aller se promener boulevard Anspach pour la clôture du BRDCST. Flanqué de Camae Ayewa, alias Moor Mother, Irreversible Entanglements sortait il y a quelques mois un album de free jazz/ spoken word renversant et éminemment politique. Né lors d’un événement de protestation (Musicians against Police Brutality) suite à une énième bavure des forces de l’ordre, Irreversible Entanglements est un fiévreux appel à la résistance.

BRDCST festival, Du 04 au 08/04 à l’AB, à Bxl. www.abconcerts.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content