Le sourire de Camélia Jordana

Camélia Jordana, sur la scène de l'Orangerie ce samedi. © Lara Herbinia
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Samedi soir, au Botanique, Camélia Jordana a dévoilé son univers mélancolico-poétique, sans concession. Et confirmé ses talents d’immense chanteuse.

Samedi soir, à Bruxelles, le dilemme était cruel. Pour tout amateur de chanson française éclairée, un choix à faire: Camélia Jordana au Botanique, ou la soirée anniversaire de Caramel Beurre Salé à l’Atelier 210 avec notamment Bertrand Belin et Mathieu Booagerts? Au final, la question fut vite réglée, l’une des deux soirées affichant sold out. Pas forcément celle que l’on imaginait. Il restait en effet encore des places pour le concert de Camélia Jordana, dans une petite Orangerie. Son premier album-post Nouvelle Star avait pourtant cartonné. C’est, semble-t-il, moins le cas de Dans la peau, sorti à l’automne dernier. Pas certain que cela empêche l’intéressée de dormir. Jusqu’à un certain point, on se demande même si cela ne la soulage pas un peu.

A 22 ans, dont déjà 6 passés dans la lumière médiatique, Camélia Jordana semble vouloir dissiper les derniers malentendus. Son premier album avait déjà montré qu’elle avait en tête une destinée musicale qui ne se satisferait pas de facilités pop. Dans la peau l’a démontré de manière encore un peu plus claire. Avec ses concerts, elle largue définitivement les amarres. Où Camélia fait ce qu’elle veut. Et ça lui va bien.

Sur le coup de 21h, alors que la sono déverse depuis une bonne demi-heure le bruit de la pluie, elle débarque sur la pointe des pieds rejoindre son groupe. Top noir, jupe serrée dorée, elle chante la difficulté de trouver les bons mots pour dire l’amour. Plus encore que sur le disque, la voix est ici comme du verre qui se fissure, au bord de se briser, rappelant par exemple la dramaturgie d’une Beth Gibbons (Portishead). Elle enchaîne avec Madi, qui avance pareillement au ralenti. Délaissé de ses derniers attributs vaguement primesautiers, le morceau ressemble à une lente plainte amoureuse. Un peu comme si James Blake s’était mis au français. On ne croit d’ailleurs pas si bien dire: plus tard dans le concert, Camélia Jordana reprendra le Retrograde de l’Anglais…

L’album Dans la peau est passé intégralement en revue. Quasi chacun des titres ayant droit à une nouvelle relecture. C’est déstabilisant, mais aussi intrigant. Tout n’est pas forcément toujours réussi (Moi c’est, seul titre issu du premier disque, qui ne gagne rien au change). Mais la surprise réservée à chaque morceau permet de maintenir l’attention, dans un concert qui prend son temps, languide, flottant. A cet égard, le parti pris est à vrai dire assez radical. Il l’est dans la manière de proposer un concert qui se tiendrait d’un seul bloc, Camélia Jordana ne prenant la parole que pour réciter des bouts de poème (« Je continue enfin, persuadée qu’un jour, je me laisserai tranquille »). Elle lâche bien l’un ou l’autre geste timide, une parole hors micro. Mais pour se replonger aussi vite, en une demi-seconde, dans son interprétation.

Camélia
Camélia « Joconde » Jordana

Il y a un culot, qui est celui de sa génération. Une volonté aussi de proposer un moment, un concert pensé comme un tout. Une vraie proposition. On parlerait bien de show – ce qui est souvent le cas dans cette « nouvelle promotion », la fameuse classe Y. Sauf que dans le cas de Camélia Jordana, les danses et les chorés r’n’b spectaculaires ont été remplacées par des poses hiératiques. Il faut la voir tenir ses mains, l’une sur l’autre, puis les détacher lentement dans l’air. Lors de ses premières apparitions télé, dans la Nouvelle Star, Jordana était souvent gentiment moquée pour son look et ses lunettes de nerd (« Je pensais que c’était une blague », dixit Manoukian). Là, sur scène, la jeune femme prend tout à coup l’allure d’une diva à la Barbara, ou d’une Brigitte Fontaine sans la folie, qui ne relache sa tenue et son port royal, que pour céder une sourire furtif de Joconde (voir la photo ci-dessous), comme une manière de tout de même rassurer, de dégoupiller malgré tout toute prétention excessive.

À un moment, on se dit que cela ne suffira pas. Que du haut de ses 22 ans, Camélia Jordana ne pourra pas passionner tout un concert à triturer ses chansons, en limitant les coups d’accélérateurs (A l’aveuglette, le crescendo de Miramar, Sarah Sait), et en minimisant les artifices, tenant le public à distance. Et pourtant, si. Le sort fonctionne. Le meilleur est gardé pour la fin, comme la version folk noire, crépusculaire même, de Berlin. Dans la dernière ligne droite, les saxos de Donia Berriri (Achille) et Laurent Bardainne (Poni Hoax) ajoutent du velours au blues « tomwaitsien » de Colonel Chagrin, avant d’enchaîner avec les balancements ethio-jazz de Ma gueule: c’est beau, prenant, carrément remuant.

Jordana est assez maligne que pour ne pas laisser sa voix prendre toute la place. C’est pourtant bien elle la vedette de la soirée, le centre de gravité du concert. Chanteuse inouïe, Camélia Jordana réussit à toucher juste, sans jamais en faire de trop, évitant la note ou la coquetterie qui va ruiner le sentiment. Il faut en fait attendre les rappels pour que la chanteuse revienne seule sur scène, et file encore deux reprises a capella, sans micro: Saint-James Infirmary et What A Wonderful World, deux titres popularisés par Louis Armstrong. Dans un silence impressionnant, elle subjugue tout son petit monde, se baladant sur les morceaux avec un naturel et une facilité confondante. Une vraie, une grande, chanteuse de blues…

Camélia Jordana sera encore notamment en concert au Centre culturel de Namur (le 7/03), au festival Inc’rock, à Incourt (le 2/05), aux Aralunaires d’Arlon (le 3/05).

Le sourire de Camélia Jordana
© Lara Herbinia

>> Toutes les photos du concert, par Lara Herbinia.

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