Le coin du stagiaire: un peu plus loin derrière la plante verte (pour un peu plus de krautrock)

le Coin du Stagiaire, S01E01 © DR
Tanguy Labrador Ruiz

Ils défilent, les stagiaires, à la rédac. Si bien que, pour les changer de la traditionnelle torture (gnark!), on leur a, dans un grand moment de faiblesse, accordé cette chronique défouloir et sans garde-fou. Test, 1, 2!

Lire pour ralentir

Sonnerie brutale. Douche express. Café brûlant. Marche rapide pour attraper le tram. Arrivée éclair au bureau. Infos qui défilent sur l’écran. Articles pondus en quatrième vitesse. Sandwiche avalé au dessus du clavier. Merde une tâche sur la chemise. Mails qui s’envolent. Ecrire encore. Aller pisser un coup. Facebook. Slogan qui claque. Like. Partage. Statistiques. Bonne soirée. À demain.

La fin de journée est arrivée, tout est passé très vite. On dirait que le sablier est cassé, que tout le sable est tombé en un coup. Envie de prendre un peu le temps. Après tout, pourquoi toujours se presser? Ce n’est pas une obligation. La vaisselle attendra bien un peu. Nouvelle chaise, nouveau clavier, nouvel écran. La nuit est tombée, l’excitation er la pression aussi. Il est temps de prouver que l’écrivain détient bel et bien le pouvoir de faire courber l’échine au temps à travers ses histoires. De glisser un ralentisseur sous les roues de la vitesse. Si Sur La Route ne se lit pas à la même allure que l’Etranger, si Le Parrain (820 pages) se lit plus vite que Lolita (531 pages), ce n’est pas un hasard. C’est une question de respiration.

Tenez, par exemple: une simple modification de la ponctuation peux très facilement influer votre vitesse de lecture et vous imposer un rythme pouvant se révéler incroyablement rapidement désagréable et étourdissant ce n’est qu’une question de manipulation cérébrale et lexicale ainsi une personne qui a terminé ses études secondaires et qui lit régulièrement peut mémoriser une phrase de 15 à 20 mots tandis qu’une personne qui a terminé des études supérieures et lit beaucoup et vite peut retenir 25 à 30 mots. La phrase que vous venez de lire avait un total de 81 mots. Alors. Avez.Vous.Besoin.D’air?

La première leçon à écouter attentivement est proposée par la perspicace Adèle Van Reeth, dans son philosophique podcast Les Nouveaux Chemins de la Connaissance. Il faut connaître son ennemi, disait Sun Tzu et la série en 4 épisodes A Toute Vitesse permet justement d’en apprendre davantage sur cette pernicieuse demoiselle aux cheveux ébouriffés.

Au programme, du Paul Virilio, de la métaphysique, de la Formule 1 et même du Daft Punk.

Le rythme motorik du Krautrock

Pour découvrir de la musique, le mix est un outil idéal, propice aux mélanges incongrus, aux rencontres inattendues, aux humeurs contraires, aux discours multiples. Voici une première sélection musicale, bricolée avec amour et dérision et, surtout, sans restrictions. au programme: John Roberts, Killer Mike, Flying Lotus, Neu! et bien d’autres encore, s’y renvoient la balle en musique.

« Mais quelle idée de mettre du Neu! dans un mix, il n’a pas toutes les frites dans le même paquet celui-là! » crient les critiques imaginaires dans ma tête. Et pourtant, le krautrock fût une inspiration de taille pour la musique électronique et, notamment, pour le génial Brian Eno. Il faut bien reconnaître que ce nom aux consonances abruptes évoque davantage de la malbouffe allemande, qu’une révolution culturelle, lorsque on ne l’a pas connu à l’époque.

Peter Shapiro propose heureusement avec son livre Modulations: une histoire de la musique électronique de Peter Shapiro de se plonger dans les longues et joyeuses giclées instrumentales de Neu!, Can, Cluster et autres Faust. Et cela fait du bien d’avoir encore de si bons groupes à découvrir, quand on désespère parfois d’en voir naître des aussi talentueux en 2014. C’est bien là tout l’avantage d’être un ignorant: le plaisir de l’apprentissage reste intact.

Modulations: une histoire de la musique électronique par Peter Shapiro.
Modulations: une histoire de la musique électronique par Peter Shapiro.© Allia

Voici un passage significatif du chapitre dédié à ce fantastique mouvement, qui illustre plutôt bien ma démarche musicale:  » Le krautrock a mis en lumière une idée qui était restée latente dans la musique rock, de Bo Diddley aux Modern Lovers en passant par les Stooges: l’essence rythmique du rock – ce qui le différencie du jazz – est une force compulsive proche du mouvement mécanique. Evoluant mi-chemin entre la rigueur des hommes-machines de Kraftwerk et la sueur de la sex-machine de James Brown, des groupes tels que Can et Neu! ont créé des rythmiques dans lesquelles fusionnent la chaleur pulpeuse du funk de chair et de sang et la froide précision de la techno. »

Le funk de Parliament et de Funkadelic ainsi que les expériences électroniques de Kraftwerk furent des influences majeures pour la scène de Détroit, à l’aube de la techno. Ce n’est donc pas un hasard, si, dans leurs atmosphères, les genres sont si proches. Fait amusant: Klaus Dinger et Michael Rother, respectivement batteur et guitariste de Neu! firent partie brièvement de Kraftwerk avant de fonder leur groupe. L’histoire tient parfois à peu de choses. Et, à propos d’histoire, Serge Coosemans se fait actuellement un plaisir de vous parler de celle de la musique électronique dans sa série ElectroCity. De quoi en apprendre plus sur le sujet!

Brooklyn: terminus, tout le monde se fait descendre.

Une autre histoire captivante, c’est celle dépeinte dans Last Exit To Brooklyn d’Hubert Selby Jr. Un bouquin que l’on vend comme « un livre qui a été interdit pour obscénité après un procès retentissant », c’est toujours un peu tapageur, et ça ne garantit pas vraiment une écriture de qualité. Mais on comprend rapidement le pourquoi de cette violente interdiction lorsque se lance dans la lecture de ce pamphlet qui semble écrit à coups de poings dans la gueule.

Last Exit To Brooklyn d'Hubert Selby Jr.
Last Exit To Brooklyn d’Hubert Selby Jr.© Albin Michel

On y découvre, au fil des 6 parties distinctes de la narration, une description et une critique encore très vivaces et actuelles de la prostitution, de la transsexualité, de l’homosexualité, des violences conjugales, de la drogue et du pouvoir. Le tout, à travers des personnages au réalisme documentaire, dont les routes et destins se lient et se délient de manière discrète et subtile. On est tour à tour secoué par l’aversion, la tendresse, l’excitation, la colère ou encore la tristesse à la lecture de ces vies chamboulées.

Pour ceux qui apprécient les romans bruts, dénués de fioritures et qui vont aussi droit au but qu’un direct assené par Jack Dempsey, Last Exit To Brooklyn est un indispensable de la littérature américaine.

Chauffeur de taxi la nuit, roi de la comédie le jour

On reste dans la culture américaine, mais du côté du cinéma cette fois, avec un film de Martin Scorsese. Où il n’est ni question de violence, de meurtres, de drogue, d’argent, d’amour ou de Little Italy, mais où l’on retrouve pourtant Robert De Niro. Un des plus fameux duos réalisateur/acteur du cinéma est donc réuni pour cette réalisation injustement ignorée, la faute à Taxi Driver, Raging Bull et Casino: The King of Comedy.

Le film dépeint la vie de Rupert Pupkin (Robert De Niro), comédien raté mais à la moustache très réussie, qui rêve de devenir un grand comique. Pour ce faire, il conçoit un plan qui lui permet de rencontrer son idole, Jerry Langford (Jerry Lewis). Ce dernier, pour se débarrasser d’un Pupkin aussi oppressant qu’un chat qui réclame sa pâtée, lui propose un faux rendez-vous qui n’aura jamais lieu. Pupkin ne baisse pas les bras pour autant, et continue à poursuivre son rêve…

The King of Comedy (La Valse des Pantins en français, une des traductions de titre les plus inadaptées de toute l’histoire du cinéma) est un bijou d’humour qui pourrait facilement trouver sa place dans la filmographie d’un Woody Allen au sommet de son art. Et pourtant, c’est bien Scorsese qui est aux commandes, transformant DeN iro en un parfait imbécile heureux, et aussi naïf qu’un enfant de 8 ans. De son incapacité à comprendre qu’on le mène en bateau naît une flopée de situations loufoques et cyniques toutes plus drôles les unes que les autres. Jusqu’à ce que la situation dégénère de la manière la plus délicieusement exagérée qui soit. Le tout, filmé avec brio et avec une esthétique imparable qu’on l’on a peu souvent l’occasion d’observer dans les comédies.

The King of Comedy est une pièce importante, voir majeure, de la filmographie du réalisateur. Tout d’abord parce que le film est différent de tout ce qu’il a pu faire d’autre dans sa carrière, mais surtout, parce que c’est un film brillant qui ne tombe jamais dans l’écueil d’un humour facile, tout en partant d’une histoire incroyablement simple. A voir absolument, et à ranger aux côtés des meilleurs films de Scorsese.

La semaine prochaine, les Grands Crus seront au programme pour une dégustation découverte.

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