Le Bozar en mode électronique

Ce week-end, le Palais des Beaux-Arts vibrait à un rythme inhabituel: près de 40 DJ se succédaient au 23 de la rue Ravenstein à l’occasion du Bozar Electronic Weekend. Histoire de bousculer encore plus les habitudes, nous y avons envoyé un lecteur dont voici le compte-rendu. Rencontre avec Lucky Dragons, Stellar Om Source et Ssaliva.

C’était le feu et la soie ce week-end au Bozar, pas moins d’une quarantaine d’artistes se relayaient derrière les machines et maltraitaient les clacs et les beats pour notre plus grand bonheur. Merci à Xavier Garcia Bardon, Bart Dujardin et Pierre de Mûelenaere pour leur programmation exigeante et éclectique, et bien sûr au Bozar pour son ouverture. Si vous avez raté cet événement, le rendez-vous est pris pour l’année prochaine. En attendant, voici un aperçu de ceux qui nous ont fait gigoter la tête et les épaules le temps d’un week-end, par les artistes eux-mêmes.

Qu’est-ce que c’est que la vie de musicien? Peux-tu nous décrire ton job?

Stellar Om Source: C’est de bosser 12 heures par jour chez toi, et la plupart du temps faire des concerts le week-end, le résultat de toutes ces heures de travail. Parfois c’est un peu bizarre, dès 9h ou 10h du matin, de se mettre directement à la musique. Je ne sais pas si c’est un truc de fille, mais c’est vrai que j’ai du mal à bosser la nuit, j’ai la discipline de commencer le matin. Ce qui est marrant c’est qu’à chaque fois qu’on me demande quel est mon travail, je réponds: « je fais de la musique, je fais ça 12 heures par jour, mais ce n’est pas du travail. En fait, c’est une passion. »

Ssaliva: Dernièrement, j’ai pas mal voyagé grâce à la musique, ça fait un an un an et demi que je sors de la Belgique pour faire des concerts, c’est une partie vraiment intéressante. Le quotidien doit être assez chiant pour la plupart des gens: c’est de la musique… tout le temps. En gros, je ne fais que ça de mes journées. En général je me lève vers 9-10h, grosse consommation de café tout au long de la journée, et je fais de la musique jusque tard, souvent coupé par des visites de potes. Je m’amuse tout le temps, toute la journée. Je crois fort aux ambiances qu’il y a à certains moments de la journée quand tu fais de la musique. Je sais que ça fonctionne assez bien quand je viens de me lever. Ou alors très tard le soir.

Lucky Dragons: We are not just musicians but we are experimental musicians, which is to say it is not always entertaining to watch. But it is always an experiment, and it is always a public experiment that we are carrying out, and after involves participation. The general idea is that experimental requires the public, or means to be in public. And it is open ended. We are not certain where it will lead. But we are willing to see, so it is an experiment in the sense that we don’t know where the final part is, so we make a concert where anything actually, is source of the question. And then the performing is like the answer, that will produce another question, and on and on.

Comment tout ça a commencé? Quand tu étais gosse, tu avais déjà cette envie de faire de la musique?

Stellar Om Source: J’ai fait de la musique de 6 ans jusqu’à 18 ans, ensuite j’ai abandonné. J’ai fait des études d’architecture, j’y ai travaillé tout de suite, et je me suis dit OK: ce n’est pas pour moi. Et je me suis remis à la musique. Je sais que c’est la musique parce que je suis passé par autre chose.

Ssaliva: Non pas vraiment. La musique n’avait aucune importance pour moi. Jusqu’à ce que j’aie 15 ans, ça me passait au-dessus de la tête. Pendant une grande partie de ma jeunesse, je disais que je voulais être garde forestier. L’élément déclencheur, c’est un pote en deuxième secondaire qui avait des frères fan de musique un peu différente. Les deux noms qui me reviennent, c’est Plastikman et DJ Krush. A partir du moment où j’ai commencé à m’intéresser à des musiques différentes, c’est arrivé très vite… On était assez fan de jeux vidéo, on se faisait passer des compiles, tu avais à chaque fois le compartiment jeux et le compartiment utilitaire, dans lequel j’ai trouvé un Cubase. Comme mon ordi n’était pas assez puissant pour faire tourner les jeux, j’ai installé Cubase par dépit.

Lucky Dragons: I thought I would be a writer (Sarah), because I love to read so much. At one point when I was a child I wanted to be a scientist. I wanted to study birds, or rocks. But this somehow doesn’t feel so different from now, because it is like observing the world and testing out the world to see how it works.

Lucky Dragons © Anna Drozd

Avec le recul, est-ce que tu aimerais faire un autre job?

Stellar Om Source: A la base, je me sens comme une artiste, quelqu’un qui a besoin d’exprimer des idées, d’apporter la beauté, des surprises, toutes ces palettes d’émotion. Et je passe par le medium de la musique. Comme ça m’est revenu, je me suis dit que c’était en moi, c’était bien d’avoir arrêté pendant un certain temps, et maintenant je considère presque que j’ai une mission, de devoir poursuivre ça. C’est qui je suis, et je dois respecter ça. Je n’ai pas le droit de le laisser tomber. La question de faire autre chose ne se pose même pas.

Ssaliva: Je n’ai jamais réfléchi comme ça. Je ne me suis jamais dit que je voulais arrêter. Ça a toujours été très naturel de répondre oui à quasiment toutes les propositions qu’on me faisait, parce que c’est quelque chose que j’aime bien faire.

Lucky Dragons: I think Lucky Dragons is interesting because it is a project that can change so easily, so the form it takes doesn’t have to be music. It could take some other forms. We are researching sounds and also social experiences. So if we wanted to research something else, we could easily just change our focus. And also other people can come and go from Lucky dragon, it doesn’t have to be always myself and Luc. So if I decided to do something different, it would be in this continuum.

Comment as-tu trouvé tes premières dates?

Stellar Om Source: C’était relationnel, j’ai habité longtemps dans une pépinière d’artiste, pendant 7 ans, à la Haye. On avait tout le sous-sol pour organiser des concerts à une vingtaine d’artistes, c’est comme ça que ça a commencé.

Ssaliva: C’était un projet qui est mis de côté pour le moment, il s’appelait Kingfisherg. C’est des mecs de Liège qui m’ont fait jouer pour la première fois, de Jaune-Orange. Ils ont reçu un CD de ce que je faisais, ils m’ont demandé de faire une première partie. Ça a commencé comme ça: pas par volonté de faire du live, mais par opportunité de me dire ça peut être marrant.

Lucky Dragons: It was always easy because we were involved in organizing gigs. There is always time between other bands that need sound. So whether it was deejaying, or just putting something on, or making some sound installation… It was always possible to play, even for a small group of friends.

Qu’est-ce que tu as envie de dire aux gens qui se sentent l’envie de créer?

Stellar Om Source: Il faut pouvoir croire en ta propre voix, ton propre chemin, sans regarder trop autour. Il y a toujours cette histoire de Zeitgeist… Tes moments de création, il faut qu’ils restent purs, tu peux aller vers l’extérieur quand tu sens que tu as construit quelque chose. Dès que tu vas vers l’extérieur, il faut que toi tu y croies, et si tu n’y crois pas, ton truc ça vaut rien. Pour y croire, il faut du temps, il faut que ça incube.

Pour moi, la musique que je fais ou la musique en général, c’est comme si c’était une mère, j’ai un sentiment de protection quand je joue de la musique. Après, quand c’est tes sons à toi, que tu les reconnais, que tu les as fabriqué, tu les commences depuis zéro, et qu’ils sortent sur un sound system bien conséquent… ouah… C’est comme si tu avais fait la cuisine et que tu la présentais au Roi, ou à quelqu’un qui adore la bouffe: tu l’amènes, tu peux appréhender mais en même temps, tu y as mis tellement d’amour que la personne n’a pas le choix: ça va être bon.

Ssaliva: Pour moi, le plus important c’est l’expérimentation. J’ai un paquet de potes qui s’intéressent à la musique et qui appréhendent le fait de se lancer… Le truc, c’est de chipoter, de faire des erreurs, certaines donnent bien. Il ne faut vraiment pas se fixer de but, techniquement, il faut bidouiller. Quand ça sonne bien, on garde, sinon on jette. Énormément de sons que je fais proviennent de fautes, je les garde parce que je n’y aurais pas pensé et que c’est arrivé comme ça. Beaucoup de gens se sentent dépassés techniquement, mais justement moins tu t’y connais, plus tu es apte à tomber sur des trucs fous.

Lucky Dragons: It is easy to maintain curiosity and excitement as an artist, but it is very hard to earn money, and actually to success. So because of that, financial problem may go in there, you work maybe five times as hard as you may in another profession. But I found that you get paid another way besides money, you get paid in reputation, or prestige. Or you get paid in friendship. Even famous musicians don’t make very much money, except for a few, because of the expenses. The bigger the show is, the more expensive it is to produce. So you earn the same. The musician is the last person to get paid. Not that I am complaining, because i love doing it. It is a very beautiful and rewarding thing, in another way.

Stellar Om Source © Thibaut Léger

Est-ce que tu peux nous parler du projet qu’on va entendre ce soir?

Stellar Om Source: Je joue sans laptop, tout est au synthé, de préférence analogique ou analogique virtuel. Chaque synthé a un cachet à lui. Aucun sample. Ce soir, c’est un peu particulier parce qu’il va y avoir des images, mais normalement j’évite parce que l’oeil prend le dessus sur le son.

Ssaliva: Ssaliva, c’est un projet tout récent qui date de début 2011. J’avais l’impression de tourner en rond avec Cupp Cave, donc j’ai commencé à expérimenter. Non pas avec des techniques de composition mais avec des supports. Je fais des boucles que je passe systématiquement sur cassette, que j’enregistre et réenregistre, parce que je trouve la dégradation provenant de la cassette super belle. Ce processus m’a fait aller vers une direction nouvelle pour moi, plus pop comparé à ce que je faisais avant. Le souci de travailler sur cassette, c’est de faire passer une émotion dissimulée sous les couches de réenregistrement comme si on tombait sur une cassette un peu par hasard, sur un son très lointain qu’on aime et qu’on continue à écouter malgré tout. Le concept d’un son lointain, d’une qualité qui n’est pas directe à l’oreille, qu’il faut un peu chercher.

Lucky Dragons: Tonight it is all filters. There is a source of sound, that is a synthesizer, and we make decisions about which part of the sound we let through, it is all about processing a stream of sound, the stream is continuous, keeps going, and then you decide how to organize it in time, how to organize its harmonic structure. It is a lot of trying to catch up with the stream, the current, and just watching it opening some parts, closing some other parts. Also there is a point at which different stream of sounds interact, so when two waves hit each other, either they cancel each other out and make no sounds. Or they reinforce each other. And make a bigger sound, or they hit each other and make the third other wave. A lot of our music is about multiple things colliding in a way they affect each other. About the sonic material itself, how one wave will hit another sound wave, and either erase it or push it. Rhythms disagree or agree very clearly. So it is also about this idea of agreement… or being in the same time.

J’aimerai que tu nous expliques comment tu as fait un des sons qu’on va entendre ce soir?

Stellar Om Source: Un son que je trouve intéressant c’est le son de la grosse caisse. J’ai un synthé qui est absolument génial, le monomachine d’Elektron, c’est suédois. Tu commences par une sine pure, bien grosse pour qu’elle soit bien basse, tu règles la fréquence, tu travailles son enveloppe, une attaque bien franche, tu rajoutes un peu de distorsion, et là tu as ton kick.

Ssaliva: Le pitch c’est quelque chose que j’utilise beaucoup, parce que je viens du sample, c’est toujours intéressant de ralentir pour avoir des basses bien présentes. Sinon, en pitchant vers le haut, il y a une sorte d’émotion qui se dégage.

Lucky Dragons: The arpegios that come in and out throughout the show, these are produced by control voltage. The electricity comes into the synthesizer, and then little burst of voltage pass through an oscillator which sets the time that they come through. So it sets like a window that is opening and closing. And there is an envelope where you shape the form of your wave. So picture electrical energy coming through these windows that appear in a pattern and then the sound wave itself is a shape depending on how it is strong.

Est-ce-tu manges de la viande?

Stellar Om Source: Non, parce que mes parents sont végétariens. J’essaye d’en manger, mais le goût… C’est comme si je mangeais quelque chose de très exotique, je n’y arrive pas.

Ssaliva: Oui.

Lucky Dragons: No, vegetarian.

D’où vient ton énergie?

Stellar Om Source: C’est cette croyance, il y a un truc qui résonne. Par moment il y a un son que je fais et un truc en moi résonne, ce n’est pas rationnel. Il y a une justesse dans ce que tu fais, ça te donne toute l’énergie. Quand tu es en train de bosser et qu’il y a un son qui te fait oublier ou tu es, quel jour on est, tout… Tu es là, ça résonne en toi, dans ton corps, et ça a une puissance incroyable.

Ssaliva: C’est super banal mais ma seule énergie, c’est la passion que j’ai de faire ça et le bonheur que j’en retire.

Lucky Dragons: Electricity! And the sun.

Ssaliva © Anna Drozd

Est-ce-que tu es alcoolisé quand tu joues?

Stellar Om Source: Non, je ne peux pas. J’ai trop de paramètres à contrôler, il faut que je sois concentré. Du coup, ça m’oblige à avoir à partir comme si j’étais high, si moi je décolle sans alcool… Et puis il y a le respect du public, il y a toutes sortes de gens qui viennent me voir, il faut que j’arrive à assurer.

Ssaliva: Ça m’arrive parfois mais c’est pas un must. Ça dépend de l’heure et du type de soirée. Je crois que j’aime bien être au même niveau que les gens qui écoutent.

Lucky Dragons: I never get drunk. We are always sober when we play. Because it requires so much attention and focus, that really you have to be sharp. You have to be well rested and feel good. It can also be a little intoxicating to play… I mean it creates a discontinuity in your life… It is easy to space out when you play. So it is nice to be a little bit lucid!

Quelle est ta relation avec l’audience?

Stellar Om Source: C’est une vision que j’ai quand je bosse toute seule, de toujours penser à la personne qui va écouter.

Lucky Dragons: Tonight it was very much a crowd of people and that is kind of the same we are in contact right now. It is our listening to each other, we are communicating, in the same way that once you write this somebody will read it you will be in contact with the reader… But I think that the idea whether contact is possible, is what the experiment is. I think listeners are not passive, someone in a room, whether there is music, is not passive. Someone reading a book is not passive. They are forming an interpretation and making the thing as they read it. It is the same as listening. It is made by the listeners. It is very much about a kind of contact, or communication and our sending information back and forth… and translating. Sometimes we give instrument to the audience, it is like a scaffolding, like a structure outside the real structure… I have this idea that the music itself, should be able to create that same feeling of working together… It is very much at the beginning of trying a new way of doing something without scaffolding.

J’ai entendu parler d’un type qui danse professionnellement sur de la musique électronique alors qu’il est sourd. Il a décidé de faire carrière là-dedans. Qu’est-ce que tu en penses?

Stellar Om Source: C’est génial, parce que la vie vaut mille fois le coup d’être vécue. Tu es sourd, habituellement ta vie est toute tracée, tu vas travailler dans un centre d’aide par le travail avec d’autres sourds etc. Le mec a dit « je suis vivant, je suis encore là, mon corps est là, et je vais faire ce qu’on n’attend pas de moi. » Je pense c’est un choix, c’est dire: « ma vie vaut la peine d’être vécue, j’ai quelque chose à faire, alors qu’on m’avait prédestiné à tel chemin. »

Ssaliva: Ça ne me choque pas du tout, il doit avoir développé sa technique basée sur les basses qui sont assez fortes au niveau du sol. Ce n’est pas parce ce que le gars est sourd qu’il n’a pas des mouvements à vouloir partager. A partir du moment où tu danses sur un pseudo rythme que tu as dans ta tête, ça devient musical. Et puis ça vient tout seul. Du fait de faire des mouvements en répétition, il y a une musique qui se crée. Même si lui ne l’entend pas, il sait que c’est là.

Lucky Dragons: Deaf people can feel music. You can totally experience music if you are deaf. We played music for deaf people. They can be incredible musicians. They need like a little bit description of something about the music and then they can know what to feel. The sensation to pay attention to I guess. You cannot experience the sounds that are within the ear spectrum like the voice, but you can experiment all the other frequencies through your feet, your chest and your all body. So it is not that you can’t hear, it is more that you hear in a different way. And even if you can’t hear it, you can imagine a sound.

Et Dieu il fait de la musique?

Stellar Om Source: Oui. Ce qui est fou avec la musique, par moments je me dis en fait j’ai fait ce choix là parce que c’est le master of master of arts, l’art sublime. Et que finalement, il y a une connexion avec des choses beaucoup plus grandes. Il y a des dimensions que tu atteins en musique qui ne sont plus de l’ordre de ce que tu connais.

Ssaliva: Oui, en tout cas il en écoute beaucoup… Il en fait de temps en temps je pense.

Lucky Dragons: Who? Never heard about him.

Thibaut Léger

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