LCD Soundsystem, inventaire avant liquidation

LCD Soundsystem © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir marqué les années 2000 avec son dance-punk racé, LCD Soundsystem sort This Is Happening. Un 3e album généreux, plus lumineux qu’à l’habitude. Le dernier? James Murphy s’explique. En exclusivité.

Article paru dans le Focus Vif du 7 mai 2010.

Il en faut toujours un par décennie. Il y eut les Pixies dans les années 80, Pavement dans les années 90. Dans le courant des années 2000, la palme du « plus grand des petits groupes » reviendra sans contestation possible à LCD Soundsystem. Une flopée de singles impeccables (Daft Punk Is Playing At My House, Yeah…), dont au moins un hymne générationnel (All My Friends); 3 albums solides (avec le 45’33 réalisé pour une fameuse marque de chaussures de sport), dont au moins un classique (Sound of Silver en 2007). Le tout avec un vrai sens du timing, en prise avec l’air du temps autant qu’il l’a alimenté, remettant au goût du jour un disco-punk tendu et jouissif. Pour compléter le tableau, comme les Pixies et Pavement, LCD Soundsystem a pu également compter sur un leader aussi déterminant que peu charismatique. En 2002, James Murphy a déjà 32 ans et connu pas mal de galères quand sort l’initial Losing My Edge. A partir de là, LCD saura s’énerver, mais ne pourra jamais crâner, sinon avec un sourcil ironique au coin de la phrase.

Aujourd’hui, la formation new-yorkaise s’apprête à sortir le très attendu This Is Happening. Un disque d’autant plus événementiel que Murphy l’annonce comme le probable dernier du groupe. Pour en parler, on le rencontre dans un hôtel du centre de Londres. Mal rasé, chevelu comme un Ewok, portant un veston sur t-shirt, Murphy est particulièrement affable. Pendant près d’une heure, dans un aller-retour constant entre doutes et certitudes, il donne sa vision de la musique, de son groupe et de leur importance respective… That’s how it starts

Fin 2009, chacun y a été de son top musical de la décennie. Dans la plupart, LCD Soundsystem s’est retrouvé en tête. Cela doit faire du bien au moral, non, vous qui vous décriviez en 2004, dans le Guardian, comme un « échec vivant »?

Plutôt oui. C’était d’autant plus étrange d’avoir vu arriver ça au moment où l’on terminait le disque… Donc cela fait du bien, c’est sûr, c’est vraiment sympa…. Cela dit, la partie « échec » sera toujours présente. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Cela me va.

Que voulez-vous dire?

J’imagine que l’échec est ce qui m’est arrivé de mieux… (silence) Au départ, je n’étais pas un gamin très heureux. J’étais râleur et prétentieux, un peu vantard… J’étais déjà fort absorbé par la musique, mais aussi physiquement très grand et très fort. Je pouvais donc être plus ou moins « bizarre », personne ne venait m’emmerder (rires). Je viens d’une ville agricole assez dure, avec pas mal de gamins de la ferme. Les bagarres étaient courantes. Moi-même, je me suis pas mal battu. J’avais la réputation d’être un dur. Mais assez étrange, très ambigu, avec des drôles de cheveux, portant des t-shirts des Smiths (rires)… En fait, j’étais conditionné pour devenir un jeune adulte malheureux. J’étais blasé, assez imbu de moi-même, essayant d’en faire le moins possible… Si j’avais réussi de cette manière, je crois que je n’aurais jamais été satisfait. La frustration aurait toujours été présente.

Comment l’avez-vous évitée?

A force d’accumuler les échecs, après un certain temps, vous regardez votre vie et vous vous rendez compte que vous êtes à côté. Je vivais avec quelqu’un qui me haïssait, moi-même je la détestais… Or je ne pouvais blâmer personne. Le truc inconsistant dans l’histoire, c’était moi (sourire)! Bizarrement, en arrivant à cette conclusion, je ne me suis pas senti mal, au contraire. S’il s’agissait juste de moi, je pouvais faire quelque chose! Donc j’ai eu l’occasion de revoir ma vie, et de calmer le jeu, de commencer à bosser… J’ai dû devenir plus humble et me mettre au boulot. Si le succès m’était arrivé avant cela, je pense que cela aurait pu tourner mal.

Vous avez beaucoup douté pour ce disque, This Is Happening?

Comme pour tous les autres. Mon état naturel est celui de quelqu’un de préoccupé, frustré, qui réfléchit trop, tétanisé par l’idée d’échouer. Cela s’est toujours passé comme ça. Mais j’ai appris à vivre avec, à ne plus avoir peur de l’échec…

Comment?

A un moment, je n’avais plus grand-chose à perdre… Je dormais sur un lit pliant dans mon studio, mes parents venaient de mourir, je n’avais plus d’endroit où aller… C’était une année plutôt merdique (sourire)… Je me rappelle aussi d’une conversation avec Tim (Goldsworthy, cofondateur avec Murphy du label DFA, ndlr), il y a une dizaine d’années d’ici. On n’arrêtait pas de se plaindre, genre: « Ce mec craint, cette musique est vraiment merdique, blabla… » On devenait des râleurs à temps plein. Peut-être que c’est un truc générationnel, mais les gens que je connais qui aiment vraiment la musique deviennent souvent ce genre de gars. Il y a pourtant une autre solution: produisons la musique que l’on aime, sans penser à quoi que ce soit d’autre. Et voyons ce qui se passe. C’est comme ça qu’on a lancé notre propre label, DFA.

Par réaction?

Oui, et c’est important pour moi: je ne fais pas de la musique parce que je me sens grand musicien ou que j’ai l’impression d’avoir quelque chose de particulier à dire.

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Aujourd’hui, contre quoi réagissez-vous? Après tout, vous êtes dans une situation plutôt confortable où vous bénéficiez d’un certain succès et d’une vraie crédibilité…

Hmmm, je ne suis pas encore certain. Je crois qu’il s’agissait d’essayer d’être un peu plus généreux musicalement. Risquer l’embarras, voire la gêne… Il est facile de dénicher des mélodies. Mais je trouve souvent compliqué de les assumer. Je les adore dans la musique des autres. Mais dans la mienne… J’ai vraiment eu énormément de mal à lâcher un morceau comme All My Friends, par exemple. Donc, pour ce disque, je voulais voir comment il y avait moyen de s’en sortir en me mettant davantage encore dans ce genre de situations un peu délicates.

De quoi parle par exemple une chanson comme I Can Change?

Disons que je me suis permis une chanson désespérée. C’est peut-être la seule que j’ai jamais écrite. La plupart du temps, je trouve cela embarrassant. C’est aussi le cas pour ce titre-ci, j’imagine. J’aurais pu le rendre plus « politiquement » correct. Mais sur ce disque, j’ai préféré l’inconfort et la gêne, après des décennies de cool…

En même temps, vous incarnez parfaitement cette branchitude cool, non?

Oui, et je trouve ça plutôt hilarant. Soyons honnêtes: je ne suis pas spécialement talentueux. On nous dit parfois: « Vous êtes LCD Soundsystem, vous pouvez faire ce que vous voulez! » Pardon?! Vous pouvez dire ça à David Bowie, le chanteur rock le plus charismatique de l’histoire, toujours au bon endroit au bon moment, incroyablement charmant et beau, avec une voix inouïe, qui suppose de la technique mais aussi du caractère. Bowie, quoi! Mais à moi!? (rires). L’idée avec le groupe était justement de montrer que si je pouvais le faire, tout le monde le peut. Cela n’est pas si compliqué que ça. Il suffit de se lancer. En n’essayant pas d’être quelqu’un d’autre. Il y aura toujours des gens plus beaux, plus charmeurs, plus connectés que vous, qui ne doutent de rien. Les mecs qui marchent sur un nuage, qui montent sur scène, et on ne voit plus qu’eux… Ce genre de gars gagnent toujours le combat. Ce n’est pas grave. C’est sympa d’être aussi autre chose. C’est plutôt amusant d’être moi par exemple, parce que je ne suis pas en compétition avec ces personnes-là…

Cela ne vous a pas empêché d’annoncer la fin de LCD Soundsystem…

On verra bien, mais c’est comme cela que je le sens aujourd’hui, oui.

Qu’est-ce qui vous amène à penser que c’est le bon moment?

D’abord, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de personnes qui ont fait 4 bons albums. La plupart en font 3. Je pense aussi que je suis meilleur quand je dois me battre pour faire mon chemin. Je crois par exemple que je ne suis jamais aussi bien que dans la position d’underdog. Or aujourd’hui, on vend déjà plus de tickets de concert qu’à la fin du dernier disque… En clair, il y a un endroit où je ne veux pas aller: je ne veux pas être une célébrité. J’aime ma vie aujourd’hui. Je rencontre parfois des gens dans la rue, on parle 5 minutes et c’est sympa. Ce n’est pas très envahissant… Je crois que je suis connu, mais dans mon domaine. Un peu comme un scientifique, dont la plupart des gens ignorent le nom, mais qui va avoir un écho chez ceux intéressés par sa spécialité. Le fait est que j’aime aussi faire d’autres choses. Ce qui devient compliqué avec le groupe. Cela demande beaucoup d’énergie, de temps. Je pourrais en gagner en déléguant. Mais cela sonne faux. Je ne veux pas que d’autres personnes écrivent mon site Web.

C’est comme cela que cela se passe!

Oui, je sais. Mais je pense que c’est juste de la merde. Cela devient du marketing. Et pourquoi pas? Ce n’est juste pas mon truc. Je ne veux pas qu’un kid m’envoie un mail et en reçoive un en retour qui essaie de faire croire que c’est moi qui l’ai écrit. Donc, cela prend du temps… Si je pensais faire encore un album, je crois que je me demanderais pourquoi. Et la raison principale serait sûrement qu’il y aurait énormément de pression pour en sortir un nouveau.

Il y a aussi le défi d’en réaliser un 4e qui soit aussi bon que les autres…

Juste! (rires)… Je ne suis pas en train de dire que je ne ferai plus de musique. Mais je ne crois plus pouvoir être dans un groupe qui fait des disques tous les 2, 3 ans, sur une major, et joue dans tous les festivals… Ce qui, entre nous, est très neuf. Ce genre de plan n’existait pas il y a 25 ans d’ici. Par exemple, j’ai davantage tourné que les Beatles. Même plus que les Beatles et Led Zep réunis! (rires). J’ai donné plus d’interviews que Bob Dylan. Avant, les mecs qui faisaient des tournées mondiales, c’était les Eagles, Fleetwood Mac… Et ils le faisaient une fois, peut-être deux dans toute leur carrière. Or, je suis un groupe minuscule comparé à ces groupes. Et je fais une tournée mondiale à chaque fois… Je ne suis pas en train de me plaindre, c’est énorme. C’est juste une chose différente, qui ne correspond pas vraiment ce que je voulais faire au départ. Tout cela était supposé faire partie de quelque chose de plus large, incluant un label, des boulots de production, de DJ… En fait, je ne veux pas être un pro. Ce n’est pas évident, c’est un combat. Mais je peux le décider. Cela m’appartient.

LCD Soundsystem, This Is Happening ****, chez EMI. Sortie officielle le 17/05.

En concert le 2/07, à Rock Werchter.

Le système LCD

Sur This Is Happening, James Murphy n’a peut-être jamais aussi clairement affiché, voire cité, ses influences. Dont voici les 5 principales.

David Bowie

Le héros ultime? Artiste caméléon, le Thin White Duke a navigué entre tous les styles, rock, folk, glam, pop, disco, voire même punk. La plupart du temps avec une pertinence rare. Sur les nouveaux Drunk Girls ou All I Want, difficile en tout cas de ne pas entendre la patte du Bowie période berlinoise (Heroes).

The Fall

Increvable, malgré son mode de vie des plus chaotiques, Mark E. Smith continue à sortir régulièrement des disques de The Fall (le récent Your Future Our Clutter). Formé au milieu des années 70, The Fall a tout de suite trouvé dans le punk l’écrin idéal pour la misanthropie de son leader. Comme pour son chant-parler mordant, plein de morve et de dédain, et que Murphy reprendra régulièrement.

The Beatles

Quand Murphy se laisse aller à des saillies plus pop, c’est notamment vers les Beatles qu’il se tourne. Pour les mélodies simples qui touchent droit dans le mille, autant que pour leur sens de l’expérimentation et de la digression. Voir notamment le morceau New York, I Love You But You’re Bringing Me Down.

Can

« I was there at the first Can show in Cologne », chante Murphy sur Losing My Edge. LCD Soundsystem a toujours nourri son dance-punk d’éléments électroniques. Cultivé et passionné, Murphy a ainsi abondamment écouté les formations krautrock des années 70 et leurs premières expérimentations électroniques, de Can à Kraftwerk. Mais il s’est aussi certainement coltiné les recherches de Steve Reich (le piano d’All My Friends) ou John Cage (45’33).

Le Disco

Tout punk qu’il soit, LCD Soundsystem suinte le disco par tous ses pores. Moins celui, carnavalesque, de Village People que celui évoqué par les roulements hédonistes de Chic ou Moroder. Et puis c’est aussi une série de valeurs que LCD partage ici: sens du collectif, de la fête, de la mélancolie qui se cacherait derrière une trompette pouêt-pouêt. Les amateurs se pencheront ainsi avec bonheur sur le mix réalisé par Murphy et son collègue Pat Mahoney pour le compte de la Fabric, le célèbre club londonien.

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