Serge Coosemans

La soirée Opus, ses 2803 personnes dont 1133 avec un bonnet et 987 portant une casquette

Serge Coosemans Chroniqueur

C’est quasi totalement sobre et donc forcément parfaitement anti-gonzo que notre chroniqueur sinon souvent aviné a voulu vivre la soirée Opus, grosse sauterie électro qui restera sans doute dans le best of de l’année 2012. Il ne s’est même pas embêté. Sortie de route, S02E09.

Je n’ai, dans cette rubrique, jamais rendu véritablement justice aux soirées Opus, qui deviennent pourtant carrément stratégiques sur la carte géopolitique noctambule bruxelloise. À chaque coup qu’une de leurs teufs a été évoquée ici, c’était en effet seulement en toile de fond, un contexte cité pour rebondir vers autre chose: le récit d’une agression ratée, la vision goguenarde d’une certaine jeunesse, ainsi que mon dégoût de la Carlsberg. Il y a pourtant bien des choses à dire, et des bonnes choses même, de cette organisation mais c’est comme ça: à chaque coup que je me décide à passer jeter un oeil chez eux, je ressors de là avec des idées de gags. Et ce coup-ci, alors qu’Opus s’apprêtait ce vendredi à faire défiler une dizaine de DJ’s entre les murs de l’ancien casino de la rue Duquesnoy, à un jet de pita de la Grand-Place, ça a failli être pire encore. Mon petit commando et moi avions en effet décidé de nous y rendre totalement, mais alors totalement, sobres. Pas une goutte d’alcool, un sérieux de papes. Pratiquer l’anti-gonzo total. Se positionner dans un coin, observer et noter sans trop participer. Raconter ce que l’on voyait mais aussi tenter l’expérience de première bourre de survivre sans tuer à une soirée plutôt techno, de voir si cette musique et cette ambiance sont toujours aussi artistique et socialement séduisante dès que l’on zappe de l’affaire les substances euphorisantes et les produits sociabilisants. Bref, on a pensé faire passer Félix Baumgartner pour un type qui traverse les États-Unis en tondeuse à gazon et à 43 ans, personnellement, entrer au livre Guinness of World Records comme étant le premier belge à passer une nuit parfaitement clean dans un environnement ne l’étant par essence pas vraiment, voire carrément pas du tout.

Nous sommes arrivés dans la place aux alentours de minuit, avec juste deux bières mexicaines et une pizza aux anchois dans le buffet. Comme ça frais comme un gardon, la première chose qui frappe, c’est le regard d’aigle, le know how bien huilé du reporter de terrain, donnant tout pour la vérité. J’ai compté au doigt, il y avait 2803 personnes présentes, dont 1133 avec un bonnet et 987 portant une casquette. Beaucoup de pimpettes de la cuvée 1996, des sniffeurs de colle, des barakis d’école d’art, des vieux clubbeurs. Lady Jane de la Catclub et une fille à qui j’ai un jour roulé des pelles sans trop savoir pourquoi. Un garçon habillé d’un pyjama Mickey Mouse assez anxiogène, aussi, et le DJ qui m’a le plus plu de la soirée, Issa Maïga, jeune mec de la mouvance Lessizmore dont le set frais et bien mené, avec de l’acid-house, un bon vieux Étienne de Crécy et de la deep/minimale bien camée était vraiment redoutablement charmant. Au bar, ça servait toujours cette putain de Carlsberg mais aussi des vodka carrément bien dosées, ce qui a mis rapidement fin à notre voeu de chasteté liquide, sans toutefois nous entraîner vers nos habituelles exagérations. Blindé de monde, bonne musique, bonne ambiance, tout semblait aller au mieux dans le meilleur des mondes quand un type m’ayant reconnu comme auteur de cette chronique m’alpagua pour me dire qu’aux toilettes, c’était le bordel, des scènes dignes de la Tchetchénie de 1999. Sobre, je suis moins bavard et plus méfiant qu’ivre et c’est pourquoi n’étant ni plombier, ni représentant des services d’hygiène, je me suis surtout demandé ce qu’il me voulait, ce gars. Lors d’une courte conversation le lendemain, un organisateur reconnut que la gestion des toilettes avait été le problème majeur de la soirée, un vrai bordel, ayant entraîné énervements, vols et violences. Bref, de la bonne barbaque de journaliste. Seulement voilà, qui ne boit pas, n’urine pas et durant les cinq heures passées sur place, ne m’est pas venu pas un seul instant l’idée ou le besoin d’aller vérifier les rumeurs. Quand je picole, j’oublie les scoops. Quand je ne picole pas, je les rate. Adieu Pulitzer.

Ces soirées Opus sont sur papier assez ambitieuses. « Pas un musée, pas une soirée, pas une galerie d’art numérique mais un peu tout cela à la fois », clame l’organisation. On pourrait donc s’attendre à un public plutôt arty, genre Bozar, mais comme la soirée est gratuite avant une certaine heure, ce sont en fait tous les crevards et autres crapuleux de ma strotje qui rappliquent, ce qui génère une ambiance assez électrique, nerveuse et sauvageonne, où l’on ne comprend très vite plus rien. Il nous a ainsi fallu près de trois heures pour capter qu’il y avait en fait deux salles et Jay Haze alias Fuckpony, de loin le nom le plus intéressant de l’offre DJ de ce soir, y avait déjà terminé son set quand on a eu la curiosité de pousser une porte qui laissait passer de la lumière bleue pour découvrir une sorte de temple techno improvisé où ça bastonnait de façon jouissivement sévère. S’y trémoussait malheureusement Jérôme Naturel, figure naturiste de la nuit, pas méchant, un peu vain, comme à son habitude complètement à poil. Vu la promiscuité des lieux et mon manque de penchant à l’idée que ma manche de cardigan cogne par inadvertance un pénis, fut-il très propre et bien dégagé derrière les oreilles, nous avons de fait vite décampé, rejoignant notre poste d’observation initial. En se laissant soi-même alors aller à quelques mouvements de danse, tout cela toujours sans risquer de gagner la floche en soufflant dans l’éthylotest. Bref, si on s’était radiné là avec un tortueux scénario de mise en scène, force est de reconnaître que l’on s’est rapidement pris au jeu, survivant non seulement à une soirée pas forcément à notre goût perso (moins de monde, plus d’acid, les gamins à l’internat!) mais reconnaissant aussi que cette Opus a mis immanquablement à l’amende pas mal de concurrents malgré sa gestion un poil dépassée, un usage intempestif du stroboscope ainsi qu’un modus operandi relativement cryptique quant à l’aspect plus artistique et moins fêtard des choses. Endroit exceptionnel, du monde, des cons, des vestes perdues, des Rambo de flics à la fin… Certains iraient jusqu’à parler de soirée de l’année. Cinq verres de plus et on aurait sans doute fait comme eux.

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