Serge Coosemans

La guerre à la fête est déclarée

Serge Coosemans Chroniqueur

À Paris, quelques associations de riverains refusent désormais toute « médiation » dans leur croisade en pyjama contre le tapage nocturne. Les fêtards trinquent, le politique patauge, le Conseil de Sécurité de l’ONU entre en réunion d’urgence. Sortie de Route, S04E24.

Il ne se passe plus une semaine sans qu’un article de presse annonce un plan ou l’autre contre le tapage nocturne, le binge-drinking et les envies festives. À Londres, il est question d’installer des éthylotests à l’entrée de quelques discothèques: avoir bu dehors ou boire dedans, il va falloir choisir. Dans certains quartiers de la capitale britannique, si vous montez un poil dans les aigus en conversant la nuit en rue avec vos camarades de bamboche et avez de l’alcool sur vous, cela peut vous coûter jusqu’à 500£ d’amende. La guerre au tapage nocturne né de la fête et de la consommation d’alcool est déclarée. À grande échelle, par delà les frontières. Il y a quelques jours, Vivre Paris!, un rassemblement d’associations de riverains de quartiers festifs, a carrément annoncé que son réseau refuserait désormais tout « compromis » et toute « médiation » avec les patrons de bars, les fêtards et même la mairie d’Anne Hidalgo.

Comment en est-on arrivés là? Élémentaire, mon cher Watson. Tout ce délire autour des nuisances nocturnes remonterait bien pif-paf à l’époque où l’interdiction de fumer dans les bistrots a sorti la nuit plein de monde sur les trottoirs. Il était parfaitement prévisible que cela tournerait vite à l’aigre avec le voisinage. On peut imposer tout un tas de mesures visant à drastiquement réduire le bruit d’un bar, l’insonoriser, limiter la puissance de sa sono, mais comment empêcher les gens, dehors, de se parler? Les arrêter dès que leur rire dépasse 90 dB? Les disperser avec des ultrasons? Les abattre? Tant qu’existeront des raisons de se retrouver dehors plutôt qu’à l’intérieur, je ne vois absolument pas comment contrer ce genre de boucan. Il va falloir interdire totalement la clope. Instaurer un couvre-feu. Bousiller le climat pour que ça caille 365 nuits par an. En attendant, je crois bien que les riverains de lieux festifs vont encore devoir un peu prendre sur eux.

Ils devraient également moins s’en prendre aux fêtards bruyants qu’à cette tendance politique de fond, elle aussi internationale, qui privilégie la mesure immédiate à fort potentiel médiatique sans trop se soucier du long terme, des suites et des effets pervers. Tous ces problèmes à la con existeraient-ils si on s’était montré, au moment de sortir la clope des bars, un peu plus réfléchi, un peu plus flexible, un peu moins désireux de jouer avec panache son rôle du Némésis du Cancer? Ce n’est pas comme si personne n’avait prévu que surgiraient ces nuisances nocturnes, que des pochetrons habitués à beugler la clope au bec aux comptoirs allaient désormais avoir l’obligation d’aller également gueuler dehors. Que des crevards mêlés aux clients fumeurs picoleraient des cannettes sur le trottoir, histoire de profiter de l’ambiance des lieux sans avoir à trop dépenser au bar. Que, se diraient certains, tant qu’à fumer dehors, autant aussi téléphoner et pisser dehors. Qu’une porte de bar qui n’arrête pas de s’ouvrir et de se fermer, ce sont des bouffées de décibels qui s’en échappent à cadence soutenue. De tout cela, à l’époque, on s’en est bien battu les couilles. Tout ce qui comptait, c’était d’éviter le tabagisme passif.

Hé bien, bravo. À Paris, l’an dernier, un peu plus de 300 établissements de nuit ont été administrativement fermés, pas toujours pour tapage, mais souvent. Ceux qui « veulent dormir » se radicalisent, appellent la police au moindre décibel qui leur chatouille l’oreille sensible. Il y a quelques jours, dans le Journal du Dimanche, Gilles Pourbaix, vice-président d’une association de riverains parisiens, claironnait qu’était venu « le temps de l’action », car « de nouveaux quartiers qui étaient calmes sont devenus des lieux de fête, de concentration de cafés, comme le sud du Xe ou le nouveau Carreau du Temple. » Vivre Paris!, la plus remontée de ces associations, entend quand à elle maintenant s’allier avec ses semblables de Strasbourg, de Lyon, d’ailleurs; bref, de porter le débat à un niveau (inter?) national. Vivre Paris est encouragée dans sa démarche par ce que ses membres estiment être des exemples à suivre: ce qui se passe à Londres, comme expliqué en début de chronique, mais aussi les manifestations anti-touristes de Barcelone de l’été 2014 ou encore Genève, où la police patrouille les soirs de bamboche et tire l’oreille à celui qui mâchouille en rue son Toblerone un peu trop bruyamment.

Face à cette radicalisation, le politique patauge. À Paris, il existe depuis quelques mois un Conseil de la Nuit, c’est-à-dire une assemblée appelée à se réunir deux fois par an pour discuter des questions relatives à l’activité nocturne. Dans le dernier numéro de Technikart (n°188-février 2015), un petit reportage bien gonzo signé Thierry Théolier ricane de cette initiative jugée « bidon »; où se croisent autour d’Anne Hidalgo, des patrons de clubs, des élus, des flics, des associations de riverains, des commerçants de nuit et des organisations professionnelles, « bref, du lobby en veux-tu en voilà ». Les anecdotes recueillies sont très parlantes: au premier Conseil de la Nuit, la première intervention suivant celle des élus fut celle d’un représentant de Force Ouvrière qui tenait d’entrée de jeu à rappeler qu’un travailleur de nuit perd en moyenne cinq ans d’espérance de vie. Suite du sketch: les Pierrots de la Nuit, l’équivalent parigot de nos Gentlemen Noceurs (« les bouffons qui viennent dire aux cokés d’aller faire dodo », selon Théolier) ont l’an dernier raflé 125.000€ de subventions pour un résultat pas franchement déterminant. Le meilleur pour la chute: « Il faut que les différentes fonctions de la nuit, y compris le sommeil, soient conciliées, aurait dit Anne Hidalgo lors de cette assemblée. Mon rôle de Maire est d’être un médiateur, comme le sont certains maires africains dans des situations de conflit autrement plus graves que celles que nous rencontrons à Paris. » Bref, il y aura sans doute très bientôt des Casques Bleus le long du Canal Saint-Martin.

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