L’interminable tirade du dingue

Lundi, c’est Moustaki. De bizarres choix nocturnes, des aventures nazes et rigolotes: c’est Guillermo Guiz, notre chroniqueur, pour qui la nuit est une patrie. Night in, Night out, épisode 39.

Ca commence par un moment de solitude. Un long, pénible, silencieux et étrange moment de solitude. Milfé, mûr comme Demi Moore, le printemps consommé traîne dans son sillage les velléités méditerranéennes de promoteurs de soirées. Les apéros succèdent aux petites sauteries sur les toits de restos, qui succèdent aux coupettes dans les jardins d’hôtels, qui succèdent aux rassemblements fredperrysés à l’air libre, dans les parcs, sur les places publiques, entre deux volées d’automobiles. Bientôt l’été. Alors on danse. Ou on dansotte, doucettement, au son lyophilisé d’une house-lounge ménagée par un baffle lointain. Dans ce ballet aseptisé, rougi aux joues (à l’occasion) par une fin d’après-midi généreuse, la Terrasse de l’Hippodrome fait figure, avec les Apéros urbains, d’enfant prodigue devenu cadre dynamique. La première de la première citée, jeudi soir, s’offrait uniquement aux invités triés sur l’autel du sponsoring, de l’influence, de la richesse, de la beauté et du copinage, dans l’ordre. Pour des raisons purement professionnelles, j’avais réussi à me dégoter un sésame en carton, histoire d’aller tâtouiller l’ambiance d’une inauguration qui s’annonçait, pour entrer dans l’euphémisme, un tantinet ucclo-waterlootoise. Et surtout archi-totalo-foncièremento-horriblemento bondée. Se garer? Dreams are my reality. Richard Sanderson en personne eût dû, à mon instar, filer à la britannique pour investir, près d’un kilomètre plus loin, un improbable parking isolé dédié aux promeneurs de la forêt. Concentré de style, chemise repassée blazer cintré, chaussures à pointes, jeans juste un poil rebelle, mèche ultra-mèchée, parfum parfait, dents époussetées, haleine conquérante, chaussettes Carrefour, peau blanc cassé, pilosité mitigée, confiance alpestre, j’aurais pu serrer n’importe qui, Natalie Portman et Nathalie Malleux, Penelope Cruz et André Cruz, Clara Morgan et Morgane, celle qui veut des violons et des statues de pierre, mille ans de tradition des sentiments dans l’air. Dans l’air, justement, flottait l’odeur des pins et du Nutella, sur un sentier battu par le sens pratique: persuadé d’emprunter un raccourci (du genre où tu te dis « putain, c’est quand même la classe d’être intelligent ») de chien, un truc de dingue, je parcourrai donc la Forêt sur un chemin de terre, seulement croisé ça et là par deux joggeuses à l’accent est-allemand. Cette route, elle fut ma Road 66 à moi, mon entrée dans l’infinie longueur des éléments. Alors qu’en empruntant la chaussée de La Hulpe en sens inverse, j’eus pu retrouver le bal ultime du paraître en quelques minutes à peine, je découvris des territoires inexplorés, là où les animaux urbains, la nuit approchante, tiennent réunion. Ces territoires, fidèles à l’imagerie des frères Coen dans Miller’s Crossing, m’avalèrent littéralement, des dizaines de minutes durant, interminables tours d’horloge durant lesquels, en m’enfonçant, je réalisai qu’un retour en arrière, outre le lamentable sentiment d’échec qu’il me procurerait, se révélerait quasiment impossible. Il me fallait sortir de l’ornière, avec mes habits du dimanche. Après plus d’une demi-heure de marche dans les zones sauvages de la ville, je finis par me trouver nez à nez, ou plutôt, par souci de précision déontologique, nez à 50 mètres de nez d’une golfeuse, une vraie, pas une farce comme la semaine passée, une vraie golfeuse d’un golf qui, je l’apprendrai bien vite, était né sur les cendres de la Terrasse de l’Hippodrome. Comme à Werchter quand, après trois quarts d’heures de marche, les notes de Snow Patrol (qui joue toujours quand t’arrives au festival, vers 18h30) commencent à te résonner distinctement dans les tympans, je finis par entendre les percutions électroniques dégagées par la grande bamba friquée que j’essayais, dans de pénibles circonstances n’est-il pas (?), d’atteindre depuis près d’une heure. Je dus faire un grand tour pour atteindre le parking officiel, débordant de cylindrées, mais ma ténacité ne fut pas déçue. Une vieille, la cinquantaine mixée avec un look d’institutrice primaire de Saint-Ghislain, m’alpagua directement, sans que je puisse en croire un mot. Elle me complimenta, un peu saoule, sur la qualité de ma parure, sur l’exquise viabilité d’une mèche qui, malgré les circonstances, s’était bien gardée de me laisser en plan. J’étais beau, j’étais fort, les vieilles m’adoraient, j’avais mon invit’ en main, des potes à l’intérieur, des perspectives foudroyantes dans une fête où, par milliers, d’importants bruxellois étaient venu emplir l’ancien hippodrome d’un parfum de victoire. Je suis resté 17 minutes. Dire de cette fête qu’elle sentait la moule fainéante travestirait sérieusement la réalité, mais je te mentirais, Heinz mon bon Heinz, en te racontant que deux milliers d’individus rassemblés sur un site conçu pour en recevoir la moitié, ça donne envie de festoyer. L’idée même d’aller au bar ressemble au supplice du pal, celui qui démarre bien mais finit très mal (ils se reconnaîtront) (pour les autres, Google), et il s’avère donc exclu, même si la marée humaine et endimanchée daigne s’ouvrir pour te laisser avancer, d’imaginer t’hydrater d’une quelconque manière. Après, franchement, c’est un bel endroit, y’a des belles planches de bois, la piscine est mignonne et les alcôves doivent clairement gonfler l’élastique de ceux qui peuvent s’y glisser. Mais trop de monde, une Miss Belgique, des gens, des gens riches, des gens bronzés, des gens avec des pulls de riches et des visages bronzés et puis des chemises aussi, plein de chemises, des filles en talons qui matent si on les mate et qui les mate, au cas où on les materait. Cocktail! Après un retour plus rationnel vers la Ploucomobile, toute heureuse d’avoir pu respirer les senteurs vertes et forestières de cet improbable parking (8 minutes gsm en main), je m’en fus donc, dans un registre aussi différent qu’improvisé, suivre les conseils de l’ami David S. qui nous enjoignit d’aller voir ce qu’un joueur de guitare classique espagnole, accompagnée d’une chanteuse de flamenco, avait dans l’intestin grêle. Que du bon, à la réflexion et il flottait un air de Vicky, Christina et Barcelona au Marchés aux vins, quartier Flagey où le garçon, des doigts à rendre jaloux n’importe quel amant perfectionniste, triturait ses cordes avec un talent bluffant. Et la fille, l’Espagnole, avait la voix plaintive des caissières amoureuses à qui on laisserait, au micro du Smatch, chanter leur désamour de la profession. Quelle belle soirée, un sentiment d’être ailleurs, perché sur un havre d’authenticité, à douze, pas plus, dans un bar tenu par deux Belges old-school. Tous les jeudis, c’est pareil. Et j’y retournerai. Parce qu’il m’en faut, de l’authenticité, pour garder les pieds dans mes chaussons. Tu le sais peut-être, si on est amis dans la vraie vie: les aléas pince-sans-rire de mon destin professionnel m’emmèneront, cet été, du côté de la côte belge, où des fonctions que je détaillerai peut-être un jour m’attendent dans un tout nouveau club. J’étais donc à Knokke samedi, « pour le boulot » (comme on dit quand on est un vieux vingtenaire qui se la raconte), avec la grimaçante perspective d’assister à une soirée Only White dont je savais, comme son nom l’indiquait, qu’elle puait le déguisement immaculé. J’avais pris un tee-shirt blanc, pensant être paré, au cas où. « En jeans, tu rentres pas mon vieux », m’indiqua, avec une délicatesse toute spartiate l’un de mes amis-collègues pour qui, manifestement, ma présence nocturne à Only White semblait importante. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû m’acheter un pantalon blanc (or pantalon en lin, ça, ça compte pas). Je ne te dis pas ça pour que tu me prennes en pitié, pour que tu m’envoies une lettre enflammée de soutien. Non, je t’explique. J’ai dû m’achetant un pantalon blanc chez Massimo Dutti à 50 euros sa mère la tortionnaire, rien que pour pouvoir entrer dans une fête à laquelle j’avais autant envie d’assister qu’à un dîner en tête à tête avec Charles Michel. Pour couronner le bout (du bout), une amie chère m’envoya un sms dans lequel elle me précisa que cette tenue, je cite, « de Johnny », irait parfaitement avec l’allure de mon automobile tunée. Je me déguisai donc en plouc, l’habit blafard, avec pour seule consolation l’image de mes potes, costumés de blanc, mocassinnés de blanc, chemisés de blanc et, tee-shirts-en-V-isés de blanc pour pénétrer au Casino de Knokke, où la soirée, au bas mot, finit par réunir pas moins de 3.000 corps drapés dans l’innocence. Avec une musique parfaitement adaptée, et la chanteuse de Milk Ink, dont je connaissais à peine l’existence (dis, Heinz, les différences culturelles sont quand même saisissantes, entre nos deux patries), vint rapidement montrer l’énorme capacité d’ouverture de sa gorge à un public conquis. HELP. I need somebody Help. Ah, les Rolling Stones, quand même, quelle santé. Mon sens de la survie, bien aidé par une consommation d’alcool frôlant l’absence totale de consommation d’alcool, finirent quand même par m’extirper du bazar, assez rapidement de d’ailleurs et, vers 2h15, après avoir pris le soin de me rhabiller de manière civilisée, je repris la route vers Bruxelles, où j’allai rejoindre les amis de la Strictly Niceness, qui fêtaient leurs 9 ans (ceux de la soirée, mes amis ayant tous, sans exception, largement entamé leur puberté). Je ne vais pas te répéter 9000 fois que la Strictly, c’est la meilleure soirée de Bx, mais bon, la Strictly, en ce moment, c’est la meilleure soirée de Bx. Pour une simple raison, que tu vérifieras toi-même si tu y mets les pieds dès l’année prochaine: le public danse (normal) et s’arme globalement d’un sourire benêt de public heureux. Ca ne trompe pas. Sur ce, me faut y aller. Pour le boulot. Rideau.

Guillermo Guiz

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