Laurent Raphaël

L’édito: Juste une illusion

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Abba ou Maria Callas sur scène: au-delà de la prouesse technique, notre conscience a déjà intégré l’idée que des hologrammes puissent susciter des émotions d’ordinaire réservées aux interactions entre des êtres de chair et de sang.

Bruxelles, 2030, dans les environs de la place Flagey. Chez les Dewaele, on fête les douze ans du petit Simon. Un taxi volant vient de déposer devant la porte les pizzas commandées une demi-heure plus tôt sur le site Aerofood. Il y a du monde, et même du beau monde, autour de la table de la salle à manger. Simon et ses parents bien sûr, mais aussi ses grands-parents et ses arrière-grands-parents -une bonne centaine d’années au compteur chacun-, et surtout une dizaine de stars mondiales du foot, conviées ou plus exactement louées par le papa à une société de leasing de célébrités. Le gamin est ravi. Il rêvait de rencontrer ses idoles.

L’après-midi s’étire dans une ambiance décontractée. Simon est aux anges et personne n’a l’air de s’étonner de se trouver là, loin de son pays ou de son club du moment, dans cet appartement modeste. C’est vrai qu’à part les légers reflets bleutés qui enrobent les silhouettes de la plupart des convives et quelques mouvements parasites sporadiques, le tableau a l’air hyper réel. Et pourtant, les joueurs et les aînés des Dewaele, morts il y a 30 ans, ne sont en fait que des hologrammes. Mais des hologrammes de nouvelle génération, à la précision bluffante et équipés de logiciels d’intelligence artificielle leur permettant d’interagir quasi naturellement avec leur environnement.

Depuis que cette révolution technologique s’est installée il y a une petite décennie, notre regard sur la vie et la mort a changé. La première est devenue une denrée moins précieuse et la seconde une sentence moins définitive. Après tout, si on peut survivre à sa propre mort, même si c’est dans une enveloppe lumineuse, ne se rapproche-t-on pas de cette immortalité derrière laquelle l’humanité court depuis la nuit des temps? L’hologramme intelligent a pris de vitesse le transhumanisme. Plus besoin de trifouiller dans les entrailles des corps pour les améliorer, les customiser. Moyennant une mensualité qui n’excède pas le prix d’un abonnement à Internet, chacun peut désormais « ressusciter » un proche défunt et le réintégrer avec ses caractéristiques physiques et surtout psychiques dans sa vie quotidienne comme s’il n’en était jamais sorti. Le soir, on l’éteint et le matin on le rallume…

De nouveaux business ont fleuri sur ce juteux marché post-mortem. Les hologrammes de stars, sportifs mais aussi politiques, acteurs ou people, tous soumis à licence, sont très demandés. Pour des mariages, pour des anniversaires ou pour des festivals. Mais aussi les conjoints virtuels sur mesure, dont on aura déterminé à l’avance et dans le détail l’apparence comme le caractère. Un eugénisme toléré parce qu’il touche à quelque chose d’immatériel. L’éthique est donc sauve. En apparence en tout cas. Les Japonais sont très friands de ce concubinage virtuel pour meubler une solitude endémique. Et ce n’est que le début. Une société, Holo Toutou, propose des animaux de compagnie en projection 3D. Idéal pour ceux qui n’ont pas envie de se coltiner la promenade du matin et du soir…

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Pure science-fiction? Peut-être pas tant que ça. Ce qui était encore un délire futuriste dans Vanilla Sky en 2002 (lors d’un de ses trips hallucinatoires, Tom Cruise se retrouve dans une soirée où joue l’hologramme d’un musicien de jazz) est en passe de devenir banal. Après Michael Jackson, Tupac, Roy Orbison ou encore Claude François, ce sont les avatars d’Abba et de Maria Callas qui s’apprêtent à monter sur scène. Pas celle d’une attraction foraine ou d’une conférence high tech, non, sur la scène de Bozar en ce qui concerne La Divina (ce sera en novembre prochain). C’est dire qu’au-delà de la prouesse technique, désormais parfaitement maîtrisée (on annonce pour bientôt des smarphones holographiques), notre conscience a déjà intégré l’idée que des réplicants puissent susciter des émotions d’ordinaire réservées aux interactions entre des êtres de chair et de sang. Le cinéma d’animation a entrouvert la porte de cet anthropomorphisme, défoncée ensuite brutalement par le jeu vidéo et son mimétisme de plus en plus troublant, mais on entre ici encore dans une autre dimension où le faux et le vrai se superposent parfaitement pour ne plus former qu’un. La preuve avec l’enthousiasme des Japonais pour la chanteuse 100% synthétique Hatsune Miku. Bref, si George Clooney ou Cate Blanchett se présentent un jour à votre porte, pas de panique. Probablement qu’il y en a 1000 autres identiques qui se baladent dans la nature et très peu de chance que ce soit les modèles originaux…

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