Laurent Raphaël

L’édito: Hip-hop à tous les étages

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Comme hier le rock, le rap est parti de la marge pour arriver au centre du jeu au terme d’un parcours du combattant plus tortueux qu’une demande d’asile. »

Pour certains -en gros tous les 15-35 ans plus les quadras et quinquas qui sont tombés dans la marmite NTM ou IAM quand ils étaient jeunes-, c’est déjà de l’histoire ancienne, comme une évidence qui ne se discute même plus. Pour les autres, soit la population qui n’a pas d’ados sous son toit et qui a coupé son transistor à la fin des années 70, c’est une gifle sonore pas toujours facile à encaisser: en 2018, le hip-hop est roi, ses punchlines ricochant sur les parois d’une époque qui a l’espoir dans les sneakers. Comme hier le rock, le rap est parti de la marge pour arriver au centre du jeu au terme d’un parcours du combattant plus tortueux qu’une demande d’asile. On l’a connu infréquentable, subversif, provocateur, caricatural, replié sur ses ghettos, puis à mesure qu’il infusait les autres genres musicaux et profitait de la pieuvre numérique pour coloniser les esprits juvéniles, vu devenir générationnel, et enfin, par capillarité néolibérale, se lover dans le divan moelleux du mainstream.

Avec des Kendrick Lamar, Kanye West ou Travis Scott à la barre du navire, le hip-hop et sa flottille r’n’b contrôlent désormais un quart de la musique aux États-Unis d’après l’institut Nielsen. Soit plus que le rock, la country ou même que les scies électropop. Il suffit de se promener dans les festivals l’été pour prendre la mesure du phénomène. De Couleur Café au Pukkelpop en passant par les Ardentes, qui en ont carrément fait la colonne vertébrale de leur programmation (démonstration -de force- encore l’été prochain avec l’armada NTM, Damso, Orelsan, Niska…), le rap fait bouillir les veines de la jeunesse. Plus symptomatique encore car plus proche du coeur du pouvoir, les poids lourds de l’audiovisuel s’en accommodent également (Tarmac à la RTBF et bientôt une chaîne dédiée aux cultures urbaines dans le giron de RTL), dans une tentative de ramasser les miettes tombées du Net où se concentre le gros de l’activité, via Soundcloud, plateformes de streaming ou sites spécialisés. Même les musées (expo Yo à Bozar) s’intéressent aujourd’hui à cette forme d’expression polymorphe née pour rappel dans les années 70 sur les trottoirs de New York. La machine est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Dans quelques jours, ce sont les D6bels Music Awards en Belgique et les Victoires de la musique en France qui viendront très probablement amplifier une lame de fond qui a déjà submergé ces dernières années des concours plus confidentiels et plus pointus comme les Red Bull Music Awards. Hip-hop par-ci, hip-hop par là… Même la BD s’y met avec l’excellente série Hip Hop Family Tree d’Ed Piskor (éditions Papa Guédé) racontant la genèse agitée du mouvement.

Les rappeurs fidu0026#xE8;les u0026#xE0; la rhu0026#xE9;torique sale et mu0026#xE9;chante, pourtant inscrite dans l’ADN hip-hop, ne font toujours pas l’unanimitu0026#xE9;. Et c’est tant mieux.

Même si notre pays a traîné à reconnaître ses talents maison, il fait mieux que rattraper son retard. D’autant qu’on n’est pas au bout de nos (bonnes) surprises. Un arbre peut cacher une forêt. Prenez L’Or du commun. C’est un collectif bruxellois (Zeppelin, L’Origine…). C’est aussi Roméo Elvis, un de ses satellites. Et c’est enfin Swing ( lire notre interview), dernière et talentueuse branche de ce prolifique arbre à paroles. L’emballement gagne les ondes radio, au point de faire de l’ombre à la chanson française, désormais concurrencée sur sa gauche et sa droite par les poids lourds de l’internationale pop mais aussi par les camarades amateurs de samples et de rimes au napalm.

Seule ombre au tableau: il aura fallu que des « Blancs » -musiciens versant une dose de mauvaises graines dans leur rock comme Kasabian, jeunes de la classe moyenne en quête d’une BO pour l’époque et leurs représentants (Roméo Elvis, Orelsan, Lomepal…)- embrassent la cause pour que les portes s’ouvrent. L’acceptation de la différence a ses limites… La preuve avec le ramdam autour du choix de Damso pour l’hymne des Diables à la prochaine coupe du monde. Populaire mais clivant. Et Noir? Les rappeurs fidèles à la rhétorique sale et méchante, pourtant inscrite dans l’ADN hip-hop, ne font toujours pas l’unanimité. Et c’est tant mieux a-t-on envie d’écrire. Car si ce courant devenait complètement soluble dans le mainstream, donc lisse, on se demande un peu où irait se nicher la contestation, la voix d’en bas. Depuis un siècle, la jeunesse invente de nouveaux sons pour porter sa révolte, son mal de vivre, son envie de changement et secouer ses aînés. Or derrière le rap, dernière grande liturgie sonique, il faut bien constater l’avancée du désert musical…

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