Critique | Musique

L’album de la semaine: Underworld – Dubnobasswithmyheadman

Underworld © the perou
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

RÉÉDITION | En 1994, Underworld sortait de l’impasse rock en choisissant le côté électro de la force. Vingt ans après, la réédition mastoc de Dubnobass… confirme son impact.

Une révolution peut parfois en cacher une autre. En 1991, Nirvana éclatait la bulle pop FM eighties en restaurant les guitares, la hargne et le bruit. Au-delà du boucan, une autre idée, plus définitive, percolait: celle que la musique « alternative » pouvait aussi être « bankable » et quitter la marge pour occuper le centre des débats. Tout à coup, l’underground devenait overground. Les autres courants s’en souviendront… Car le véritable bouleversement musical est ailleurs. Pas tant dans le retour des décharges électriques que dans la pollinisation de toute la culture pop par la dance music.

L’année 94, par exemple, est décisive. Au moment où la Grande-Bretagne lance sa riposte pour contrer le grunge US en inventant la Britpop (Parklife de Blur, Definitely Maybe d’Oasis), Underworld sort son premier album. Rectification: son troisième. En effet, Dubnobasswithmyheadman n’inaugure pas la discographie du groupe. Par contre, il marque la rupture. Underworld plonge alors définitivement dans la dance et les musiques électroniques. Il ne reviendra plus jamais en arrière. Jusque-là, sous le nom de Freur, puis d’Underworld, Karl Hyde et Rick Smith avaient louvoyé entre rock, électropop et aspirations new wave. Au début des années 90, ils sautent le pas. Pendant que Hyde joue les guitaristes de session pour Blondie, à New York, Smith a commencé à bosser avec une jeune DJ, Darren Emerson. Le ravalement de façade sera radical.

Vingt ans plus tard, le disque ressort avec le remastering et les inédits de rigueur. Premier constat évident: Dubnobasswithmyheadman n’a rien perdu de sa pertinence, ni de son pouvoir de séduction -ce truc vicelard et entêtant qui joue sur la répétition et les ambiances urbaines nocturnes. Dans sa version super deluxe, l’album est gonflé de pas moins de quatre disques supplémentaires: les singles (l’hymne Rez), les remix, les inédits et même un CD constitué de jams enregistrées en studio -preuve qu’Underworld n’a pas tout à fait abandonné l’idée d’impro rattachée au rock.

À l’époque, ce n’est évidemment pas la première fois que des rockeurs lorgnent du côté de la dance. En 91, Primal Scream s’était déjà arrimé à l’acid-house et à la culture rave avec le crucial Screamadelica. Ici aussi, un DJ (et producteur), Andrew Weatherall, avait sorti le groupe de l’ornière rock. Avec Dubnobasswithmyheadman, Underworld fait un pas supplémentaire, vers la house et la techno, pondant des classiques comme Cowgirl ou Dark & Long. De l' »ancien monde », il reste encore quelques lambeaux. Comme cette volonté de passer par le format album -quand la dance se contente de balancer des maxis. Hyde continue aussi de ponctuer les morceaux d’Underworld de paroles -même si celles-ci ressemblent désormais plus à des mantras dada drogués. Mais pour le reste, Underworld ouvre toutes les vannes, alignant une dizaine de longs trips techno (la plupart des morceaux tournent autour des sept, huit minutes).

Cela fait de Dubnobass… un drôle d’objet bâtard, mais aussi un formidable disque émancipé. Libéré du rock, il passe par la case dance en en gardant l’esprit « communautaire » et le pouvoir euphorisant, tout en lui dégageant de nouveaux horizons. Certains ne s’en sont toujours pas remis…

  • DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

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