Critique | Musique

L’album de la semaine: The Roots – …And Then You Shoot Your Cousin

The Roots © Mark Seliger/NBC
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

HIP HOP | Avec leur 11e album, court mais dense, les rappeurs de Philadelphie plongent dans le passé des musiques noires pour mieux régénérer le genre.

L'album de la semaine: The Roots - ...And Then You Shoot Your Cousin

The Roots a toujours joué avec les limites. Dès le départ, il y a plus de 20 ans maintenant, le band de Philadelphie se différenciait de la masse des formations hip hop: The Roots, c’était le groupe rap « qui joue avec de vrais instruments ». Ce n’est pas tout. Là où l’ego des rappeurs prenait le dessus, il réinventait également le jeu collectif. Quasi jusqu’à l’effacement. Depuis 2009, par exemple, The Roots sert de backing band de luxe au late show de Jimmy Fallon. Certains ont cru y voir l’évanouissement de la formation. C’est tout le contraire: les Roots n’ont jamais été aussi prolifiques, et radicaux dans leurs partis pris.

Au moment de sortir son 11e album, l’entité Roots est donc dans cette étrange position: représenter à la fois une « institution », quasi un label de qualité, tout en restant l’un des groupes les plus aventureux du rap, honorant le genre tout en le questionnant de l’intérieur. Cela commence d’ailleurs dès le titre. …And Then You Shoot Your Cousin paraphrase une rime de KRS-One, rappeur old school qui pensait que le hip hop pouvait échapper au tout entertainment, en éveillant éventuellement les consciences. « MC’s more worried about their financial backin' », glissait notamment KRS-One en 1997 (Step Into A World). C’est bien l’idée ici: à côté des rappeurs-business men, The Roots continue de chercher ailleurs des raisons de s’agiter et de s’élever.

Il les trouve d’abord chez Nina Simone. En passant, The Roots revisite l’idée même de « sample »: le Theme From Middle of The Night de la diva est ici repris tel quel, en intégralité. Après tout, pourquoi redire les choses différemment quand elles sont parfaitement énoncées dès le départ? Never enchaîne. Soutenu par de lourdes basses dub, traversé de cordes crispées, le morceau ressemble davantage à du Portishead qu’au dernier Jay-Z…

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En général, le propos est ici largement désenchanté, récit d’existences broyées par la machine économique. « I live in a trap », chante Patty Crash sur When The People Cheer. Le disque enchaîne avec The Devil, un extrait du morceau éponyme de Mary Lou Williams, pianiste jazz qui a bossé avec Duke Ellington, Thelonious Monk, Charlie Parker… Le dernier emprunt explicité du disque est Dies Irae, du Français Michel Chion, critique cinéma et compositeur de musique concrète. A l’image de la pochette du disque -un collage de l’artiste afro-américain Romare Bearden-, il donne une indication sur l’humeur musicale du moment: remplie de dissonances et de fractures sonores. Même un morceau comme The Coming commence par se balader sur une ligne de piano, avant de se fracasser sur un mur de cordes angoissantes et bruitistes. La seule éclaircie arrive en fin d’album. Un brin ironique, Tomorrow se termine avec ces mots: « It costs nothing to help sometimes »

…And Then You Shoot Your Cousin est un album court (à peine 33 minutes), mais dense. Cultivé, il voit les Roots continuer à explorer de nouvelles pistes tout en célébrant le glorieux passé des musiques noires. Et c’est à nouveau brillant.

  • DISTRIBUÉ PAR DEF JAM/UNIVERSAL.

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