Critique | Musique

L’album de la semaine: Run the Jewels, le casse du siècle

Run the Jewels © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

HIP HOP | Avec le deuxième épisode de la « série » Run the Jewels, Killer Mike et El-P dépouillent le rap de tous ses froufrous pour lui redonner urgence et pertinence. Joli butin.

On aurait d’abord pu croire à une blague de sales gamins. Quand Run The Jewels a débarqué l’an dernier, le projet avait en effet surtout l’air de tenir de la récréation. Comme un pied de nez de deux outsiders du rap, El-P et Killer Mike, bien décidés à jouer leur rôle de poils à gratter. Jusqu’au nom même de l’association d’ailleurs: Run The Jewels, soit grosso modo « Chourave l’argenterie », au moment où le rap ne semble rien aimer tant que se vautrer dans le clinquant, le bling bling, arborer les montres en or et jouer de l’hyperbole aristocratique. Watch the Throne, comme disaient en 2011 ses Altesses royales Jay-Z et Kanye West. Pendant ce temps-là, on vous fait les poches, semblait répliquer Run The Jewels…

Jusqu’ici, le binôme a toujours frayé dans le maquis. Le rappeur/producteur El-P, alias Jaime Meline, s’est notamment fait un nom au sein de Company Flow, groupe essentiel pour comprendre le rap underground des années 90. Quant à Killer Mike (Michael Render de son vrai nom), s’il a pu bénéficier au début du soutien d’Outkast (il apparaît pour la première fois sur l’album Stankonia en 2000), il a aussi rapidement dû ne compter que sur lui-même, au fur et à mesure que le duo-vedette se mettait en « congé ». De toutes manières, le rappeur ne s’est jamais fait beaucoup d’illusion: né dans le Sud, à Atlanta -autant dire la banlieue de l’industrie rap, dominée par les deux Côtes-, et pas spécialement porté vers le côté le plus pop de la Force, Killer Mike a toujours vu le rap moins comme une frime facile et rémunératrice que comme un baroud d’honneur.

Bulletin d’infotainment

La rencontre entre Killer Mike et El-P s’est faite en 2012, à la faveur du R.A.P. Music du premier, l’une des meilleures sorties rap de cette année-là, produit par le second. Dans la foulée, ils mettront en route la « franchise » Run The Jewels. D’abord lâché en téléchargement gratuit, le disque sera tellement bien accueilli qu’il aura droit à une sortie physique. Et aujourd’hui à un deuxième épisode. La trame n’a pas changé, elle s’est juste densifiée.

Dans le magazine The Believer, Killer Mike expliquait récemment que « la classe prolétaire était sous-représentée dans le rap », qu’elle n’était plus assez mise en valeur dans cette musique. Killer Mike part donc de la base et fait remonter toute l’angoisse, voire la parano des quartiers noirs. A la manière de Public Enemy ou de l’info-tainment prôné par KRS-One dans les années 90, le binôme lâche une bombe après l’autre, évoquant les violences policières sur Early (remember Michael Brown et les émeutes de Ferguson?) ou appelant à prendre les barricades (Close Your Eyes (And Count To Fuck) avec Zack de la Rocha -Rage Against The Machine). L’offensive n’empêche pas le morceau-confession plus personnel (Crown), ni le dirty talk (Love Again): quand, comme Killer Mike, on a grandi avec un père flic et une mère dealeuse de coke, il est difficile de se laisser aller aux clichés…

Au final, Run The Jewels 2 sonne simplement comme l’un des essais rap les plus cohérents et convaincants de l’année. Un disque sombre, abrasif, enragé, tranchant, mais aussi fendard, culotté, excitant, contradictoire et, surtout, foncièrement libre. Indie rap’s not dead.

  • RUN THE JEWELS 2, DISTRIBUÉ PAR MASS APPEAL/V2.

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