Critique | Musique

L’album de la semaine: Damon Albarn – Everyday Robots

Damon Albarn © Linda Brownlee
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

POP | Quelques jours avant sa sortie officielle, le lien pour écouter l’album est arrivé dans la boîte mail. Nom de code: Carmina Burana. Les maisons de disque -ou plus probablement Damon Albarn himself- ne manquent décidément pas d’humour.

L'album de la semaine: Damon Albarn - Everyday Robots
© DR

Rien ne pourrait être en effet plus éloigné de la cantate pompière de Carl Orff qu’Everyday Robots, contemplatif et dépouillé… C’en est presque troublant. Là où tout le monde crie toujours plus fort pour attirer l’attention, Damon Albarn sort un premier disque solo presque en dilettante. Pour Everyday Robots, il se plante sur un tabouret, prostré, laissant son esprit divaguer. Ce n’est pas du spleen, pas vraiment de la mélancolie. Le leader de Blur et Gorillaz regarde juste les paysages défiler par la fenêtre du train, pensif, l’iPad collé à la vitre pour enregistrer le décor de la méditation. C’est d’ailleurs comme ça qu’a été monté le clip de Lonely Press Play, l’un des deux premiers morceaux sortis en éclaireur, compilant des images prises par Albarn sur la route. « If you’re lonely, press play », insiste-t-il. Et peut-être tomberez-vous alors sur la voix de Scarlett Johansson, comme Joaquin Phoenix dans Her, le dernier film de Spike Jonze sorti récemment. L’ultramoderne solitude se vit aussi paradoxalement hyperconnecté…

Comme quoi, même sur un disque solo, Albarn ne peut s’en empêcher: tout en partant de l’intime, il vire volontiers vers la chronique sociale (et vice-versa). « We are everyday robots on our phones », lance-t-il, sans s’exclure du débat. Car on a beau s’appeler Albarn, posséder l’un des carnets d’adresses les plus fournis du show-biz musical, baser sa carrière sur les collaborations et les rencontres, à la fin de la journée, chacun se retrouve dans sa bulle. Même à deux, on peut d’ailleurs se retrouver seul, et c’est encore pire: au milieu du disque, The Selfish Giant remue le palpitant (« I had a dream that you were leaving… me ») et appuie là où ça fait mal: « It’s hard to be a lover when the tv’s on/and nothing’s in your eyes. »

Esprit de groupe

Voix posée, presque murmurée par moments. Des morceaux contemplatifs qui avancent à découvert, se déploient lentement comme des confidences –History of a Cheating Heart, qui tient sur une guitare acoustique, le bouleversant Hostiles. Décrit comme cela, Everyday Robots pourrait passer pour monochrome, voire monotone. L’album a cependant sa propre dynamique. En fin de disque, Heavy Seas of Love, entonné par Brian Eno, ravive l’esprit de groupe, la joie du jeu collectif. Plus tôt, Mr Tembo tranche carrément avec la tonalité générale. Mr Tembo, c’est le nom de l’éléphanteau orphelin, accueilli dans une réserve tanzanienne, que visitait alors Albarn. La rengaine est naïve, presque enfantine, mais permet une pause. On y entend le Leytonstone City Mission Choir, le choeur du petit bled où a grandi Albarn, à l’est du grand Londres. Car, oui, forcément, Everyday Robots est aussi l’album le plus personnel et « autobiographique » du bonhomme. Hollow Ponds, par exemple, fonctionne comme on feuillette un album photo: la canicule de l’été 76, le séjour au bord de la Mer Noire en 79, « Modern life is rubbish » peint sur les murs en 1993…

A 46 ans, Albarn réfléchit au temps qui passe et aux relations humaines dans un monde hyperconnecté. Sans jamais pontifier, mais avec un disque de folk-soul tout en retenue. Dans Photographs, un sample tiré d’une interview de Timothy Leary annonce ainsi: « This is a precious opportunity: be aware of the photograph you are taking now. » C’est exactement ce qu’a fait Albarn.

  • DISTRIBUÉ PAR PARLOPHONE.
  • EN CONCERT LE 03/07, À ROCK WERCHTER.

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