Kendrick Lamar au Sportpaleis: longue vie au roi!

Kendrick Lamar au Sportpaleis. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

« Quitte à en devenir parfois agaçant, Kendrick Lamar est à la fois le n°1 du rap, et sa (bonne) conscience. » Compte-rendu d’un concert au Sportpaleis qui démarrait pourtant mal…

D’abord les emmerdes. Le management de l’artiste qui annule toutes les accréditations presse la veille; la grève; les bouchons pour arriver jusqu’à Anvers; les parkings complets; et enfin la file, encore, pour rentrer dans le Sportpaleis et espérer voir un bout de la première partie de James Blake (loupé, puisqu’il a fallu près de 45 minutes (!) pour réussir à mettre un premier pied à l’intérieur). Il y a des soirées qui ont déjà mieux commencé…

Mais voilà, une audience royale, ça se mérite. Et le roi, aujourd’hui, c’est lui: Kendrick Lamar. Le King du rap, l’Excellence hip hop. Souverain éclairé, il a le charisme et le talent qui le placent non seulement sur le trône, mais aussi au-dessus de la mêlée, un peu à part: pendant que ses contemporains les plus roublards font pleuvoir les dollars en mettant les têtes à l’envers, lui tente encore de les remplir. Le rap made in 2018 se décline en ad lib monosyllabiques et en gimmicks « sirupeux » martelés à l’infini? Kendrick Lamar, lui, peut encore se permettre de faire reprendre par la foule des rimes à rallonge – « I’m so fuckin’ sick and tired of the Photoshop/Show me somethin’ natural like afro on Richard Pryor/Show me somethin’ natural like ass with some stretch marks », genre. Quitte à en devenir parfois agaçant, Kendrick Lamar est à la fois le n°1 du rap, et sa (bonne) conscience.

À bien des égards, son règne ressemble ainsi à celui du personnage de King T’Challa dansBlack Panther, le dernier blockbuster afro-futuriste de Marvel: un roi bienveillant, qui ne profite pas de son pouvoir pour écraser, mais bien pour émanciper son Royaume, et l’ouvrir à l’extérieur. Du film en question, Kendrick Lamar en a dirigé la B.O. Elle ne sera jamais évoquée pendant son concert anversois. À la place, le rappeur de Compton fouille dans ses quatre albums précédents – y compris la compilation d' »inédits », Untitled Unmastered, dont il ressort Untitled 07. « Levitate, levitate, levitate », répète Lamar, qui en effet donne l’impression de planer au-dessus du lot. Sur le morceau Pride, il rappe même à l’horizontale, comme en apesanteur…

Kendrick Lamar au Sportpaleis: longue vie au roi!
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Black Turtle

Sur scène, Kendrick Lamar porte une ample tenue blanche, qui lui donne volontiers des airs de prophète. « Let’s continue the prayer », lâche-t-il d’ailleurs entre deux morceaux. S’il y a cinq ans lors de son premier passage belge, à l’Ancienne Belgique, le concert avait ressemblé à une grande fiesta, le Damn Tour tient plutôt de la grand-messe… Par exemple quand le public reprend des passages entiers de Humble ou Money Trees à son compte. Ou plus généralement par la posture engagée, déterminée de Kendrick Lamar himself: un vrai « Black Moses » venu délivrer la bonne parole. Tout cela n’exclut pas de balancer des bangers – King Kunta, Swimming Pools ou le diptyque Goosebumps de Travis Scott/Collard Greens de Schoolboy Q. Mais plus souvent qu’à son tour, le rappeur affiche des airs messianiques.

De fait, au-delà même du rap, Kendrick Lamar incarne aujourd’hui une conscience noire réaffirmée, une figure pop engagée comme il n’en reste quasi plus aujourd’hui. C’est ça, aujourd’hui, la « marque » Lamar. Et c’est aussi le produit – propre, net, sans bavure -, qui a été délivré au Sportpaleis. Ce rôle, le principal intéressé l’a évidemment cherché, revendiqué et accepté. Mais comme Dylan avant lui, il ne veut toujours pas s’y résumer. Bono a eu le même problème, débordé par son propre lyrisme. À l’époque, le chanteur de U2 s’était sauvé par l’ironie, en incarnant le rockeur glam grandiloquent d’Achtung Baby!. Il se faisait alors appeler The Fly. Kendrick Lamar, lui, a choisi la Tortue… Régulièrement, des vidéos en fond de scène le présentent en étudiant shaolin, façon Kung Fu Panda ou Karate Kid. À un moment, Black Turtle aka Kung Fu Kenny met l’un de ses adversaires au tapis, qui a quand même encore le temps de lui glisser: « tu crois vraiment que tu vas pouvoir sauver le monde? »… Plus tard, il poursuit sa quête et finit par trouver le Graal, en plongeant littéralement entre les cuisses d’une strip-teaseuse. « KUNG FU KENNY FOUND THE MOTHAFUCKIN’ GLOW! », annonce le clip, ponctué par le sourire béat du rappeur. Un peu de second degré, cela ne fait jamais mal…

Ego strip

Kendrick Lamar au Sportpaleis: longue vie au roi!
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Kendrick Lamar est le roi? Oui, mais comme le veut l’adage, le pouvoir, aussi, isole. Pour le coup, littéralement. Sur scène, le rappeur est seul (une danseuse-ninja se contente de le rejoindre à deux, trois reprises). Même son groupe est planqué dans la fosse. En cela, on est très loin des grands happenings barnumesques balancés lors des cérémonies genre Grammys ou MTV Awards. Ici, Lamar fait au contraire dans la sobriété. Quitte à en laisser certains sur leur faim? Il reste en effet encore un écart entre la perfection de ses albums, l’engagement et la musicalité qu’il y met, voire son statut de superstar, l’une des plus importantes et singulières de son époque, et leur traduction scénique: ce n’est pas que les concerts soient mauvais, c’est juste que les disques sont (vraiment) très bons, et les attentes (vraiment) très hautes.

Dans tous les cas, le show du Sportpaleis a eu le mérite de la cohérence. Avec un minimum d’artifices, ne pouvant compter que son aura et son flow, Kendrick Lamar impressionne. Un ego trip? Un ego strip alors, tant le rappeur réussit à glisser de la nuance dans son discours et sa posture engagée. « I don’t love people enough to put my faith in men/I put my faith in these lyrics, hoping I make amend », glisse-t-il sur Pride. On a connu des « Jésus » moins misanthropes. Pour Lust, il apparaît au milieu de la foule, enfermé dans une cage: la rançon du succès, le poids des responsabilités qui enferment? Plus loin encore, l’écran qui le surplombe descend petit à petit, pour finir par quasi l’écraser. Sous la lumière blanche, il défile comme sur le plateau d’un peep-show. Le Messie se transforme en pute, les fidèles en voyeurs: voilà aussi ce que raconte entre les lignes Kendrick Lamar, placé sur un piédestal, assumant cette position, mais en n’étant pas dupe de ce que le succès peut aussi avoir d’inconfortable.

En toute fin de concert, il remercie quand même, non pas d’être venu, mais bien de l’avoir amené jusqu’ici, lui, le prolo de Compton. « Ce n’est pas parce que je suis ici sur scène que je suis meilleur que vous », glisse-t-il encore. Longue vie au roi!

Setlist: DNA. / ELEMENT. / King Kunta / untitled 07 | 2014 – 2016 / Goosebumps (Travis Scott) / Collard Greens (Schoolboy Q) / Swimming Pools (Drank) / Backseat Freestyle / LOYALTY. / LUST. / Money Trees / XXX. / m.A.A.d city / PRIDE. / LOVE. / Bitch, Don’t Kill My Vibe / Alright / HUMBLE. /// GOD.

Kendrick Lamar au Sportpaleis: longue vie au roi!
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