Kasabian, manifeste dansant

Tom Meighan de Kasabian © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

« I’m in ecstasy », hurle Tom Meighan sur le cinquième album de Kasabian, hallucination sonique gavée d’hypnoses dansantes. Rencontre à l’occasion de la sortie de 48:13.

Début mai, St John’s Wood. Ce quartier nord-londonien résidentiel au charme lascif -comptez 30 millions d’euros pour une villa- abrite les studios d’Abbey Road. Résidence ontologique des Beatles, l’ancienne townhouse géorgienne a connu, depuis son ouverture en studio dans les années 30, un échantillon probant du XXe siècle musical: Yehudi Menuhin, Pink Floyd, Pablo Casals, Radiohead, Syd Barrett, Lennon, McCartney et Harrison solos, sans oublier Fela Kuti venu y enfumer la moquette seventies à deux reprises. Invité à écouter « en compagnie de la presse internationale » le nouvel et cinquième opus de Kasabian, on aurait envie d’en renifler les recoins et de scanner les armoires, mais, y compris sur le chemin des gogues, un cerbère suspicieux veille aux intrus faussement égarés. Dans un couloir, on caresse du regard d’antédiluviennes tables de mix en pensant que Barrett y a peut-être couché une de ses chansons malades ou Lennon, glissé sa géniale bile misanthrope. Pas de doute, Kasabian a bien appris ses leçons de pop anglaise, et tout le pathos afférent, en louant ici pour quelques heures un espace d’écoute alors que le groupe n’y a même pas enregistré: « Fucking too expensive, it’s a rip off », justifie le lendemain Tom Meighan, seul membre de Kasabian à présenter aux journalistes -en deux phrases goguenardes- ce 48:13 qui exulte bientôt des enceintes robustes alors que les invités trempent le doigt dans diverses purées végétariennes, le vin accompagnant les vibrations khrisna de Levitation ou l’interlude floydien de Mortis. D’emblée, on se dit que plutôt que de choisir ce vertueux décor, l’expérience eût gagné des galons à faire péter ses sons goulafes sur un dancefloor aux carreaux gluants. Ou installer ses décibels extasiés au coeur de fantomatiques entrepôts décatis puisque cette musique a comme mission de nettoyer la rouille via une laque de rock psychédélique contemporain. Celui du single robotique, le moyen Eez-eh, dont la ligne-clé dit « Everyone’s on bugle, now we’re being watched by Google ».

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Fuck London

Le lendemain, un club privé de Mayfair abrite Tom Meighan sous des caricatures hideuses des Stones. « Fucking ugly, uh! », éructe le brameur de Kasabian, dont l’accent poisseux des Midlands fait penser à ces morceaux de viande qui ont la dent trop dure. « T’aimes le foot? Je crois que les Belges ont une chance énorme à la World Cup! », lance-t-il, changeant de sujet lorsque notre oeil de poisson mort exprime une insensibilité peu patriote aux choses du Mondial. Thomas Peter Meighan, né le 11 janvier 1981 à Leicester, 166 km au nord de Londres, y forme Kasabian en 1999 avec son pote d’adolescence Sergio Pizzorno. Cinq albums, en comptant le nouveau, dessinent une hyper-popularité au Royaume-Uni où le groupe de la lignée Oasis/Stone Roses s’apprête à headliner Glastonbury et fêter ses dix ans devant 60.000 fans à domicile. Tom, chanteur à réputation de party-freak et grande gueule encline aux bons mots sur la concurrence, baptisant Pete Doherty d’« enculé de clochard » ou Julian Casablancas d’« enculé de skieur snob », a le « fucking » aussi récurrent que le balancement qui agite sa jambe gauche hyperkinétique et son désir (inconscient?) de martyriser notre stylo pendant l’intégralité des 21min30 de « face to face ».

Ce qui le sauve instantanément du syndrome Liam Gallagher, c’est sa sympathie boulimique, et le chant, moins monomaniaque que celui du platane à franges mancunien. Tout en reconnaissant le leadership complice de Pizzorno: « Je dis toujours que c’est le Pete Townshend de Kasabian. D’ailleurs, c’est lui qui a tout fait sur l’album, y compris les textes et la production. Frustré? Non, parce que Sergio ne cesse de me proposer de m’impliquer: Sergio est le leader mais n’empêche aucune créativité. On s’est rencontrés au lycée alors que tout ce qui m’intéressait, c’était d’enfourcher mon BMX et de graffiter, mais sans ce truc anti-social, toujours avec un sourire. Dans 48:13, il y a des relents de notre premier disque, pas une copie parce que nous avons grandi. Cette fusion de rock’n’roll et d’électronique est pour moi une renaissance, avec des bouffées de psychédélisme, de chair de poule, de trucs fantomatiques. Je pense que c’est notre meilleur shit! Les drogues? Je n’en prends plus -sérieux- et on n’en a pas besoin pour écouter ce disque: je n’ai jamais considéré qu’elles étaient une forme d’escapisme, juste un truc de groupe rock. »

Prince prolo de la Nouvelle Angleterre, Tom reste de toute manière ancré loin au nord de la Tamise. « A nos débuts, j’ai habité avec Sergio quelques temps dans un appart à Londres mais les choses étaient un peu bizarres, sinistres, c’était notre période London Lost Weekends (1), donc fuck London, trop cher, trop peuplé, c’est pour les rats (rires). Je fais des allers-retours avec Leicester où vivent ma fiancée, notre petite fille et puis mon père, irlandais et catholique, ma mère anglaise et protestante. Et ils adorent ce que je fais, même s’ils ne me font pas de cadeau. » Un dernier « Fuck Off » sur le pouvoir de la working class et la messe laïque est finie pour aujourd’hui.

Kasabian « 48:13 » ****

Kasabian, manifeste dansant

Conçu comme manifeste dansant, l’album de 48 minutes et 13 secondes ne compte qu’une seule ballade: le final SPS, pastoral cousin de Crosby, Stills & Nash. Les trois quarts d’heure précédents brûlent les calories lysergiques d’un rock graveleux qui relance inlassablement l’hypothèse dancefloor: lorsque la fusion réussit (Bumblebee), on dirait du Led Zep sous acide. Ou encore une version contemporaine des Silver Apples, ces New-Yorkais électropsychés redécouverts avec le nouveau millénaire. D’autres références s’immiscent: Gary Numan (Explodes), le Floyd (Mortis) et même The Horrors vs Simple Minds (Clouds). Le talent de Pizzorno est d’unifier ces couches volubiles sous l’empreinte vocale de Tom Meighan, à la fois boussole, ancre et compas de la kasabianisation.

DISTRIBUÉ PAR SONY.

(1) ALLUSION AUX « WEEK-ENDS PERDUS » DE JOHN LENNON ALORS QU’EN EXIL DE YOKO ONO À LOS ANGELES EN 1973-74, L’EX-BEATLES MULTIPLIE LES BRINGUES D’IVROGNE ET ESCLANDRES DANS LES CLUBS.

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