Kangding Ray, point d’orgue de la Bozar Night

Kangding Ray, lors de son live à la Bozar Night le 30/04/14 © Thom P
Pauline Serrano Izurieta

Interviewé avant sa prestation ce mercredi 30 avril à la Bozar Night, l’artiste français en a profité pour définir sa musique, faire le pont entre ses études d’architecture et ses compositions et évoquer son dernier album, Solens Arc, sorti cette année toujours sur le fidèle label Raster-Noton. Rencontre.

La Bozar Night a, cette année encore, drainé plus de 2.200 visiteurs mercredi soir. Durant 7 heures, différents univers artistiques se sont tutoyés dans une atmosphère unique et pointue, à l’image du Bozar Electronic Arts Festival. Après avoir profité de l’ouverture nocturne des expos du moment et flâné devant l’installation Pavilion de Lawrence Malstaf, nous nous sommes en quelque sorte réveillés en sursaut: et la fête dans tout ça? On avoue n’avoir rien compris au line up du Terarken. D’après nos déductions, Om Unit aurait mixé une heure quart de plus pour combler le retard d’Actress. Celui-ci s’est pointé de 00h45 à 01h15, pour une demi-heure de longue intro évolutive, tout en lenteur et… ennui. Inutile de préciser que ceux qui ont fait le déplacement pour Darren J. Cunningham sont rentrés bredouille et déçus, vidant bien la salle. Evian Christ a alors repris le relais en dj set et Kangding Ray, enfin, s’est illustré dans un live percutant. Nous avons eu l’occasion de rencontrer ce Français – installé à Berlin il y a 13 ans pour terminer ses études d’architecture – dans sa loge, plus tôt dans la soirée.

Vous clôturez ce soir avec votre live la salle principale de la Bozar Night, qui s’est toujours montrée exigeante côté programmation. Comment définiriez-vous votre musique à un public pas spécialement averti?

Je produis de la musique et je sors majoritairement sur un label allemand qui s’appelle Raster-Noton, actif depuis 1996. Il est plutôt expérimental à la base, mais a fait cette connexion avec la musique des clubs, dérivés de la techno au fil des années. Il y a aujourd’hui beaucoup plus de porosité entre ces deux mondes qu’il y a quelques années. Le public est à présent prêt pour cela, et certaines boîtes suivent le mouvement, comme le Berghain à Berlin, où j’ai joué plusieurs fois. Je trouve ça très intéressant et excitant. Je me situe donc un peu à cette charnière, entre l’expérimentation et le dancefloor.

Je jette déjà un peu le pavé dans la mare, mais en parlant de cette charnière, n’êtes-vous pas dans un rapport en émotion et raison, entre l’intellectuel et le sensoriel, le dansant?

Oui, en me positionnant de la sorte, j’essaie toujours d’avoir ces deux niveaux, notamment dans la production des albums. C’est clair qu’il y a un concept artistique assez fort, autant formel que dans le contenu, qui lie tous les morceaux ensemble. Raster-Noton est un label connu pour cela, ce sont des disques qui s’écoutent réellement. Mais la forme aussi est importante: la façon de présenter l’opus, le packaging, le design, l’environnement visuel… J’ai quand même l’ambition qu’il y ait une réaction émotionnelle et physique avec le son, pour parler à la fois à la tête et au corps.

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La question est classique mais tentante: dans d’autres interviews, vous avouez souvent que le lien entre votre profession d’architecte et la musique ne réside qu’en la conception d’un album comme un projet. N’y a-t-il cependant pas d’autres ponts à lier?

Il y a des connexions qui existent dans l’histoire même de l’architecture, avec des gens comme Iannis Xenakis, collaborateur de Le Corbusier. Musicien, il est aussi compositeur, créateur de grands projets tels que le Pavillon Philips ou la façade du couvent de la Tourette. Le lien évident entre l’architecture et la musique se trouve dans la résonnance, le son, l’acoustique d’un lieu. En tant que musicien, on est obligé de se confronter à cela. Ça été un sujet majeur dans mes études, je m’y suis toujours intéressé. Dans la composition sonore, on est plus dans l’ordre de l’abstrait où le medium musical transcende la vision spatiale. Une espèce de synesthésie mêle un sens à un autre. C’est une façon basique de travailler chez moi, je me dis que telle sonorité nécessite tel aspect rugueux par exemple. Ça m’aide à composer les différentes couches, pas de façon structurelle mais plutôt organique. Les softwares actuels permettent de visualiser la musique graphiquement. Le processus de composition est ainsi aidé par la représentation de formes, couleurs ou espaces. J’ai l’impression que l’on peut être encore plus complet, plus proche de la matière, du nano, peut-être du moléculaire.

Dans votre actualité, il y a Solens Arc, votre dernier album sorti cette année, toujours sur Raster-Noton. En quoi cet opus se différencie-t-il du reste de votre discographie?

Je pense qu’il se démarque par le processus de création qui a été beaucoup plus physique, avec bien moins de contrôle. J’ai travaillé par sessions, sur des machines analogiques, des synthétiseurs, des compresseurs, etc. Les défauts ont leur place sur ce disque, où il y a même une certaine emphase sur la saleté des enregistrements, pour ainsi dire. Mes premiers albums étaient beaucoup plus propres et précis, tout en filigrane et mélodies, influencés par ce qu’on appelle l’electronica. Finalement, au fur et à mesure, la techno est arrivée dans mes compositions avec l’ouverture de cette scène et de ma rencontre avec Carsten Nicolai (Alva Noto), un des fondateurs du label Raster-Noton. Au départ, je travaillais avec lui sur des installations, des structures puis seulement nous avons commencé à parler musique. Pour en revenir à Solens Arc, j’ai voulu faire passer au premier plan des aspects qu’on a normalement l’habitude de gommer. Il y a du laisser-aller, du flottement dans ces douze titres.

Vous l’avez dit, vous êtes très attaché au format physique d’un album, d’une production. Vous n’êtes pas fan du digital, qui est pourtant assez répandu dans les milieux électroniques. J’ai cru comprendre que votre dernier disque rend hommage au vinyle…

Solens Arc a effectivement été conçu comme un double LP. Il y a quatre faces de trois morceaux, d’où son nom: j’ai souhaité bâtir des arcs entre chaque partie de vinyle. Cela a un début et une fin marquée, comme lorsqu’on jette un objet dans l’air. La trajectoire est sculptée par la gravité. Cette forme est assez difficile à décrire car certes, on peut la calculer en équations, mais elle est déterminée par la force de jet et par l’angle de départ. Mais une fois que le projectile est parti, seule la gravité entre en fin de course. On retrouve ça sur chaque face du vinyle, mais c’est conçu comme un seul grand arc. Sortir un album aujourd’hui, c’est pratiquement anachronique. Tout sort en morceaux séparés, pour les singles, en numérique, bien que je ne sois entièrement contre le MP3, je ne me balade qu’avec ça aussi. Mais j’ai voulu honorer le format vinyle, à l’ancienne, vers un retour aux sources.

Les photos de La Bozar Night sont à découvrir ici.

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