Julien Sagot: retour à l’artisanat solitaire

Julien Sagot © Sandra Larochelle
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Il a fait partie de Karkwa, héros indie rock québécois. Naviguant aujourd’hui en solitaire, voici Julien Sagot, sa voix de grizzly et ses chansons joliment cabossées. Présentation avant son concert bruxellois pour lequel nous vous offrons 5×2 places.

Sur disque, sa voix peut faire penser à celle d’Arthur H: même grain de voix, mais autre grain de folie -toujours en français dans le texte, mais plus dissonant pour le coup. Un peu ogre, un peu conteur louche d’histoires tordues. En interview, le chanteur est loin de tout ça. Il a le verbe joyeux et l’oeil qui pétille. Et puis aussi un accent qui ne trompe pas: Julien Sagot vient bien du Québec. Ou presque…

C’est toujours un peu la même rengaine: à chaque fois qu’un artiste issu de la Belle Province vient tenter sa chance sur le Vieux Continent, on a l’habitude de gloser sur les différences/similitudes entre les deux côtés de l’Atlantique. Julien Sagot les connaît mieux que personne: il a fait lui-même le trajet. Mais dans l’autre sens. Né en France il y a 37 ans, il en a treize quand il arrive au Canada. « Mes parents avaient une boulangerie en banlieue parisienne. Mais ils en ont eu marre. Des inspecteurs passaient souvent, pour constater que telle table dépassait soi-disant de 2 cm les prescriptions légales, on devait alors s’arranger (sourire). Il fallait aussi souvent passer à la mairie avec une bouteille de champagne… Tout ça a fini par les fatiguer. » La famille décide donc de larguer les amarres: ce sera l’exil nord-américain, le (North) American dream. « On est vraiment partis à l’aventure, sans aucun contact sur place. Mes parents avaient juste 50 000 dollars en petites coupures. Ce qui a évidemment inquiété la banque, qui a rechigné. Il a fallu les déposer en plusieurs fois. Cela a donc pris un peu de temps pour se poser. Mais au final, mes parents n’ont aucun regret, au contraire… Evidemment, depuis, on a toujours un peu le cul entre deux chaises. Mais après un moment, on s’y fait. Puis cela donne des couleurs. « 

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Justement, elles ressemblent à quoi, ces couleurs? Comment sonne le nuancier « érable » côté Québec -au-delà des plans Vegas à la Céline Dion, de la chanson-variétoche ou, pardon my clichés, du rock de bûcheron? Comment avance-t-il aussi, coincé entre l’imposant voisin américain et l’héritage francophone? « Il y a quand même quelque chose d’assez typique au Québec, c’est qu’ado, tu te mets très vite à jouer d’un instrument. Même en autodidacte, comme moi. C’est à cause de l’hiver. Au Canada, c’est une période assez longue et intense. Tu es coincé dans l’appart, tu te fais chier et, du coup, tu empoignes plus rapidement un instrument pour passer le temps. C’est l’occasion de se réunir également. De ce fait, la scène artistique à Montréal est très vivace. Tout le monde joue un peu. Avec aussi l’influence anglo-saxonne: soit toute une culture très portée sur l’aspect technique des choses. « 

Le fond et le son

Plus que jamais, les musiciens québécois semblent ainsi tracer leur route entre deux points de chute. La nouvelle scène rap québécoise, par exemple, a réussi à inventer tout un langage propre, mais qui ne cache pas ses inspirations américaines. C’est un peu la même chose en rock ou en pop. Quitte à parfois vexer certaines susceptibilités indépendantistes locales ou simplement attentives à la protection de la langue? « Ça change. Le parti québécois perd des plumes, notamment parce qu’il n’arrive plus à renouveler son discours. Le fait est que Montréal s’est aussi construite avec des anglophones -qui ne sont pas les mêmes que ceux de Toronto, qui ont fait le choix de vivre dans une ville francophone. Puis il n’y a pas qu’eux. Il y a une importante communauté italienne aussi, qui a beaucoup pesé sur le paysage architectural de la ville, par exemple… » L’hypothèse serait donc que la nouvelle génération préfère célébrer l’originalité du Québec sans céder aux crispations identitaires. Les exemples rock sont connus, comme notamment Malajube, ou encore Karkwa, héros indie de Montréal, et premier groupe francophone à avoir remporté le Polaris Prize (équivalent canadien des Grammys américains ou du Mercury Prize anglais). Karkwa, c’est d’ailleurs là que Julien Sagot a fait ses armes. Ce n’est que quand le groupe a décidé de « faire une pause » qu’il a choisi de se lancer en solo.

« Avec Karkwa, on avait fini par nous dérouler le tapis rouge. On commençait à être confortables. Moi-même, je me rendais compte que j’étais un peu en pilotage automatique. Or, c’est un peu triste à dire, mais je crois que pour faire ce métier, il faut avoir un peu faim, pour rester réveillé. » Rapidement, Julien Sagot pond donc un premier album solo, Piano mal, sorti dans la foulée de la dernière tournée du groupe. Il passe notamment deux semaines à la Frette, studio installé dans une ancienne demeure XIXe, à quinze minutes de Paris, « dans de super conditions ».

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Pour le suivant, Valse 333, sorti l’automne dernier en Belgique, il décide toutefois de changer de méthode. Radicalement. Fini les gros moyens. Retour à l’artisanat, au DIY, en prenant le temps cette fois-ci. Les premières ébauches naissent dans la cave des parents –« mais dès qu’on enregistrait une basse, on entendait les miroirs et les porte-manteaux trembler » (rires). Soit. Le pari restera de ne pas trop s’éloigner de l’esprit bricolo de départ, là où « les contraintes poussent à être plus créatif ». Quand la charpente du morceau est assez solide, Sagot consent alors seulement à « rajouter une couche de velours » sur les boîtes à rythmes primitives. « En fait, quand tout était placé, j’ai appelé des amis et on a passé deux jours dans un vrai studio. » Cela donne des chansons comme Avion, « basée sur un son super lo-fi, avec un gros Casio pourri, mais sur lequel on a remis tout un arrangement ». Ou encore des comptines joliment bancales comme Ficelle, des angoisses noueuses telles que Fripper

C’est beau, souvent bizarre, un peu cagneux aussi, et vaguement cinématographique. Avec cette voix qui n’est jamais très loin du parlando pour raconter ses drôles d’histoires. Car oui, la langue reste malgré tout l’un des principaux enjeux. « C’est vrai que c’est un défi, réussir à placer les bons mots au bon endroit… » Où le son compte donc autant que le fond.D’ailleurs, « l’autre jour, j’ai vu ce film thaïlandais, Cemetery of Splendour. J’ai complètement capoté (sic)! La langue, notamment, est magnifique. Sur le générique, il y a un spoken word. J’en ai eu des frissons. Je me suis dit que sur le prochain album, il y aurait du thaï, c’est certain! » C’est noté…

JULIEN SAGOT, VALSE 333, DISTR. SIMONE RECORDS/ICI D’AILLEURS. ***

EN CONCERT LE 03/03, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

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