Serge Coosemans

Jonathan Richman & The Modern Lovers: vous avez aimé le disque, voici le livre!

Serge Coosemans Chroniqueur

Le premier album de Jonathan Richman, celui avec Pablo Picasso, She Cracked et Astral Plane dessus, celui qui sonne « rock » donc, fait désormais l’objet d’un bouquin de la collection 33 1/3. Voici la fiche de lecture de Serge Coosemans, fan absolu du disque depuis 30 ans. Hippie Johnny et carambolages, c’est le Crash Test S02E21.

Lorsque s’écroulera la société occidentale et qu’il faudra décamper vers la fameuse île déserte avec juste 10 albums de musique sous le bras, c’est certain, Jonathan Richman & The Modern Lovers sera dans mon petit baluchon. Peut-être même que s’il devait n’en rester qu’un, ce serait celui-là. Mon album préféré de tous les temps. Un coup de coeur absolu vers lequel je reviens régulièrement, beaucoup plus régulièrement que vers les Smiths, Bauhaus, les Doors et Bowie. Tout est parfait sur ce disque: la patate, la niaque, les paroles. Tout est parfait autour de ce disque: sa légende, son influence, ses ramifications. Le comble, c’est que ce n’est même pas vraiment un album: une partie en a été enregistrée en 1971, une autre en 1972, et quand sort finalement The Modern Lovers, en 1976, non seulement le groupe n’existe plus mais Jonathan Richman n’en a que faire. Il considère ça comme un document pas très intéressant retraçant ses premières années « rock », une compilation de vieilles démos de jeunesse, et n’en a accepté la sortie que pour faire plaisir à son label, Beserkley Records, de qui il attend surtout beaucoup de soutien pour Rock and Roll with The Modern Lovers, son premier véritable album, appelé à débouler un peu plus tard, en août 1977. Celui-là est bon aussi mais très différent. Malgré le nom, ce n’est pas le même groupe, et encore moins du rock & roll. Jonathan Richman y présente pour la première fois ce style bien à lui qui est toujours le sien 40 ans plus tard, mélange très improbable bien que souvent séduisant de folk naïf, de « reggae égyptien », de sérénades en espagnol et de chansons sur les petits insectes qui font « buzz buzz ».

J’avoue n’avoir jamais beaucoup gambergé au sujet de Jonathan Richman, jamais cherché à comprendre ce qui me plaisait et me parlait chez lui. Je n’ai aucun souvenir de la première fois que je l’ai entendu. Il a à son actif des tas d’albums que je n’ai jamais écoutés. Cela fait une dizaine d’années que je l’ai vu en concert et je ne sais toujours pas si j’ai trouvé ça génial, consternant ou juste okay; contrairement à un public majoritairement flamand qui avait surtout l’air d’être là pour se foutre de sa poire. Pas besoin de plus, The Modern Lovers me suffit amplement. Inlassablement, quasi chaque mois, ça fait 30 ans que j’y reviens et la magie opère à chaque coup. Pas seulement pour sa musique, le genre qui déménage. Ce disque est aussi un véritable manifeste. Un album dont on ne tombe réellement dingue que si on a soi-même une vision « un peu particulière » de la vie, de la musique, des relations sentimentales et de la façon de mener une carrière dans un milieu que l’on méprise. Bref, c’est une bonne petite bible de l’anticonformisme.

A positive contrarian

Jonathan Richman & The Modern Lovers: vous avez aimé le disque, voici le livre!

« Une bonne petite bible de l’anticonformisme », c’est en gros l’idée à retenir d’un bouquin tout récent consacré à cet album par le critique musical américain Sean L. Maloney. The Modern Lovers est le premier volume à sortir cette année de la collection 33 1/3, cette série qui a pour principe de parler d’albums plus ou moins célèbres en autant de chapitres que le disque ne comporte de plages. Et donc, Maloney y décrit un moment Jonathan Richman comme « a positive contrarian », ce qui peut se traduire par un « anticonformiste positif », même si on y perd quelques nuances. C’est que lorsque l’on parle d’anticonformisme, on suppose souvent une volonté de se montrer différent, de provoquer. Or, la grande particularité de Richman, qui est pourtant perçu comme un punk avant la lettre, c’est qu’il a beau débiter tout au long des chansons de l’album de la punchline démente sur les hippies, le refus de la drogue, le besoin de relations sentimentales saines et la nostalgie de l’Amérique à papa, il n’est jamais dans la provocation, il ne joue pas du tout au troll réac à une époque de défonce, de permissivité sexuelle, de rock and roll outrancier et de défiance envers l’ordre établi. Ce n’est pas non plus le Delerm américain. Jonathan Richman est tout simplement d’une honnêteté crasse dans un contexte où ce n’est pas une vertu et c’est ce qui en fait quelqu’un à part.

Le bouquin nous fait effectivement bien comprendre que Jonathan Richman est sans doute beaucoup moins zinzin qu’on ne le pense souvent. Il n’en existe pas deux dont le cerveau fonctionne comme ça mais l’image d’imbécile heureux qu’il se coltine depuis 1970 ne correspond pas forcément à la réalité. Pour Maloney, c’est clair: l’astuce, la soluce, c’est que depuis toujours, ce type n’en fait qu’à sa tête. Et donc, alors que les maisons de disques bataillaient pour signer The Modern Lovers, l’un des groupes chaud-boulette de la scène rock de Boston en 1970, notre ami a fait traîner les choses, histoire de voir qui était le plus sincère du lot, qui allait vraiment soutenir une vision artistique et pas juste exiger du tube FM. S’est ensuite permis de penser que les démos produites par John Cale et Kim Fowley n’étaient pas formidables et donc insortables en l’état. Lassé des concerts rock aux États-Unis, il est aussi allé jouer avec son groupe du calypso de façon anonyme dans un hôtel des tropiques durant des semaines et en est revenu persuadé que le rock américain des seventies était une musique beaucoup trop négative, qu’il ne pratiquerait donc plus. Bref, le genre d’effronteries dont sont tissés les cauchemars de Pascal Nègre. Mais qui peut aussi tenir du mode d’emploi, quand on a soi-même des tendances à fuir le conformisme et à détester les manies de milieux soi-disant très créatifs mais qui n’appliquent pourtant le plus souvent que des formules.

Bien entendu, le bouquin est moins bon que l’album. Maloney parle certes mieux de Richman que Coljon de Stromae mais, de un, il n’a pas pu interviewer l’idole, qui fuit la presse comme la peste, et de deux, s’éloigne tout de même pas mal de son sujet quand il s’embarque pour des pages et des pages dans l’historique politique et urbanistique du Boston d’il y a 40 ans, ce qui est certes intéressant mais n’a pas forcément sa place dans un bouquin sur un disque. Pour ce qui est de l’histoire de ces Modern Lovers première mouture et du contexte d’une scène rock locale où le groupe est alors en concurrence avec des hippies, ces gros balourds d’Aerosmith et le relativement piteux J. Geils Band, c’est en revanche parfait. Un vrai scénario. Cela dit, pourvu qu’il ne tombe pas entre les mains de Wes Anderson!

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