Iron & Wine @ AB: the folk explosion

À l’Ancienne Belgique, mercredi, Iron & Wine a repoussé encore un peu plus loin les limites du folk. Magique.

En 2005, Sam Beam, alias Iron & Wine, s’acoquine avec les joyeux drilles de Calexico le temps d’un EP, In the Reins, qui, rétrospectivement, présente toutes les apparences d’un véritable basculement. Et le lascar, en effet, d’ouvrir bientôt grand les fenêtres d’un cabanon qu’on imagine tout en rondins de bois rugueux pour faire entrer le soleil, et laisser respirer au grand air un folk pastoral jusque-là austère, aride, exigeant. Résultat: The Shepherd’s Dog, sorti en 2007, tète aussi bien le biberon soul que la mamelle pop, pour un disque dont la luxuriance n’a pour ainsi dire rien à envier à la barbe, pourtant particulièrement fournie, du bonhomme. Sans pour autant renier un postulat résolument et indéfectiblement folk, plongeant ses racines, profondes, dans la grande nappe phréatique d’un Americana hors du temps.

Dans sa lignée directe, Kiss Each Other Clean, l’une des plus addictives merveilles de ce début d’année, répond avec un engouement plus probant encore à l’appel du grand large, un alizé afro-pop et une risée blues conjuguant ponctuellement leurs efforts pour gonfler d’enthousiasme une voilure à même d’emmener l’embarcation du capitaine Beam vers des horizons où il fait bon vivre. Tout simplement. Fini l’ascétisme de mormon, mort et enterré le folk émacié. Pour autant, Iron & Wine ne cède jamais à la facilité mainstream, encore moins aux sirènes de la hype. Quand il égrène ses influences, Sam Beam n’est ainsi pas du genre à faire l’impasse sur la case Fleetwood Mac, encore moins sur le cas Elton John. C’est peut-être là aussi que, à l’instar des cousins velus de Midlake, réside la force de son projet: dans cet affranchissement naturel des codes, ce déni d’une certaine branchitude pop-folk, dans cette quête obstinée d’une musique vraie, authentique, débarrassée des oripeaux ostentatoires et des références racées. En clair: le mec n’en a rien à faire des canons du bon goût tels que définis en 2011 par des branleurs en slim. Et il a raison.

Sur la scène de l’AB, mercredi, il y a donc du poil aux mentons en veux-tu en voilà, forcément. De la chemise à carreaux et des physiques de bûcherons, aussi. Du talent à revendre, surtout. En tout, 8 musiciens se partagent entre gratte sèche, guitare électrique, banjo, basse, synthé, sax, flûte, clarinette, batterie, percus et choeurs. Le groupe prend son temps, lance la machine au pas, comme prise dans une séquence au ralenti. A l’image de ce Me And Lazarus placide. Plus loin, House By The Sea et son sax survolté mettent véritablement le feu aux poudres. Avant que Tree By The River, avec ses choeurs célestes intimant le chavirement immédiat des coeurs dans des rouleaux écumants de pop californienne, puis Half Moon, une splendeur comme David-Ivar Herman Düne n’en a plus écrit depuis des plombes, emmènent le concert vers des hauteurs quasi stratosphériques dont il ne redescendra pour ainsi dire plus.

La frontière est souvent ténue qui sépare le trivial du sublime. De même, il s’en faudrait parfois de peu pour que la musique, supérieure, du sieur Beam ne se résume à du folk à papa grabataire, à peine rythmé par le roulis d’un rocking chair sur la terrasse boisée d’une cahute texane. C’est un sens du détail qui fait mouche, un fourmillement de petites idées, discrètes mais renversantes, qui dynamitent constamment le genre. Et Iron & Wine de naviguer à vue dans sa discographie, alternant anciens et nouveaux morceaux, coups de tonnerre (un Wolves proprement orgasmique) et accalmies (un déchirant Flightless Bird, American Mouth en rappel). S’offrant au passage le luxe de tutoyer l’excellence du Lambchop période What Another Man Spills, ce disque majeur d’où perlait la moiteur soul de Curtis Mayfield, tout comme celui de venir corriger un Fleet Foxes sur son propre terrain, celui des harmonies vocales quasi mystiques s’élevant en gerbes solennelles vers le ciel. Décidément, dans la longue-vue d’Iron & Wine, l’étendue du champ folk semble infinie…

Nicolas Clément

Iron & Wine sera en concert le 10 juillet prochain à Bruges dans le cadre du Cactus Festival.

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