Ibrahim Maalouf: « Je n’ai cessé de voyager entre Liban et France au gré des guerres »

Ibrahim Maalouf © DR
Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Trompettiste né au Liban, devenu le musicien de jazz français le plus en vue du moment, Ibrahim Maalouf se fend de deux nouvelles créations simultanées, Kalthoum et Red & Black Light.

Trompettiste (l’instrument dont il joue a été créé par son père, qui lui a ajouté un quatrième piston afin de pouvoir jouer les quarts de ton de la musique arabe) et enfant prodige de la musique classique, Ibrahim Maalouf, élève de Maurice André, est aujourd’hui un musicien de jazz que connaissent les amateurs de Sting, M, Salif Keita, Vanessa Paradis ou Grand Corps Malade. Lauréat de plusieurs concours de trompette classique, compositeur de musique de films (Yves Saint Laurent de Jalil Lespert), consacré par une Victoire de la Musique en 1994 dans la catégorie Musique du Monde avec Illusions (premier album instrumental jamais récompensé dans cette catégorie), Ibrahim Maalouf a dès ses débuts su toucher des publics très différents.

Cet éclectisme, ainsi que l’exposition médiatique qui s’en est suivie, semble avoir quelque peu irrité le milieu ronronnant et subventionné du jazz hexagonal. A aucun moment pourtant, le musicien n’évoque la bouderie de ses pairs, au fil d’une conversation entamée sur la trilogie qui constitua le coup d’envoi de sa discographie. « Au départ, c’était juste de la musique que j’avais besoin de sortir de moi. Un travail très instinctif avec plein d’idées en tête. La première partie, Diaspora, tenait la route toute seule et des gens m’ont dit: »Tu devrais en faire un album, ça te fera connaître et t’aidera à faire des concerts. » Quand on l’a sorti, il a été bien reçu. Et comme cela faisait déjà pas mal de temps que je travaillais sur les deux autres, j’ai très vite sorti Diachronism et, trois ans plus tard, Diagnostic. C’est seulement après la publication du premier disque, dont le début est pourtant constitué de sons captés dans le métro parisien, que j’ai réalisé que la musique était liée à mes origines, à mon vécu pendant la guerre. Le deuxième ressemblait, pour sa part, à un patchwork avec plein de choses un peu folles, comme lorsque je rappe ou, qu’au milieu, j’entame un duo avec Matthieu Chedid. Enfin, le troisième, beaucoup plus posé, en constitue la conclusion logique et souligne mon intégration à une culture occidentale devenue aussi la mienne. Il faut comprendre que je n’ai cessé, toute mon enfance, de faire l’aller-retour entre le Liban et la France, au gré des périodes d’accalmies et des reprises de la guerre. Et quand ça n’a plus été possible, nous sommes définitivement restés en France. J’avais onze ans, j’étais scolarisé et j’allais entrer au collège. Ces trois albums, surtout lorsque j’ai eu l’occasion d’en parler, ont constitué, pour moi, une vraie thérapie.  »

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Deux facettes

A travers les nouveaux Kalthoum et Red & Black Light, Ibrahim explore à nouveau les deux facettes de son inspiration: l’hommage à ses racines dans Kalthoum, qui emprunte son nom à la légendaire chanteuse arabe, avec une musique modale au parfum moyen-oriental paradoxalement interprétée par un quintette majoritairement nord-américain (Mark Turner, Clarence Penn et Larry Grenadier) et un disque de fusion enregistré exclusivement avec des musiciens franco-belges (Eric Legnini, François Delporte et Stéphane Galland d’Aka Moon). « On ne soupçonne pas les liens qui existent entre la musique arabe et le jazz. Ce sont des cultures cousines. La musique orientale comme le jazz prennent leurs racines en Afrique. C’est la même source et les points communs sont nombreux, comme l’art de l’improvisation et sa recherche de la transe artistique à travers la transformation du matériel musical originel. Le quart de ton de la musique arabe et la blue note du jazz, c’est pareil. Au final, il n’y a qu’un constat possible: c’est qu’on se ressemble tous. Bien sûr, les différences existent. Mais elles ne sont pas suffisantes pour amener les gens à se dresser les uns contre les autres. »

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Première expérience d’un jazz fusion, Red & Black Light nous a nettement moins convaincus que Kalthoum. Mais cela n’empêche pas le musicien de le défendre avec conviction. « Pour tout vous dire, je pense que c’est ça, le jazz d’aujourd’hui: un pied dans l’histoire de cette musique et un autre dans l’inconnu. Ceux qui vous disent que le langage du jazz s’est arrêté dans les années 60 et qu’il n’y a plus que des emprunts faits aux époques passées ont simplement peur de voir leurs habitudes musicales changer. Je sais que dans ce disque je respecte mes origines, la tradition du jazz et tout ce qu’on m’a enseigné. Mais j’essaie aussi d’avoir un pied dans le futur afin de produire un jazz vivant qui n’a pas peur des rythmes binaires ou des sons électroniques. Ce qui fait véritablement de cette musique du jazz, c’est moins ce que l’on a produit que la façon dont on l’a produit: dans le partage, et d’une manière pas très différente de celle de Miles Davis, lorsqu’il réunissait son quintette. »

KALTHOUM, DISTRIBUÉ PAR IMPULSE. ****

RED & BLACK LIGHT, DISTRIBUÉ PAR IMPULSE. **

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