Serge Coosemans

Hey boy, hey girl! Amnesic deejays, here we go!

Serge Coosemans Chroniqueur

Alors que ça caille trop à Bruxelles pour foutre un quadra dehors la nuit, sur le web, ça chauffe entre vieux de la house et jeunots de l’electronic dance music. Notre chroniqueur, mine de rien, défend l’a priori indéfendable. Sortie de route, S02E18.

Moitié des Chemical Brothers, Ed Simons, 42 ans, s’est ajouté il y a une dizaine de jours à la longue liste des détracteurs de l’EDM, l’electronic dance music, l’avatar actuel le plus commercial de l’art de fabriquer de la musique avec des machines. Le dédain du joufflu mancunien s’est porté sur une cible facile: Swedish House Mafia, dance de variétoche qu’il dit considérer « baveuse ». Mieux, c’est selon lui exactement le genre de projet bidon qui « tue » la dance music intelligente. Avec ses 22 ans de carrière, 5 albums des Chemical Brothers aux sommets des charts et encore 13 singles dans le Top 20 britannique, on peut difficilement suspecter Simons de jalousie envers le succès a priori nettement moins durable (le contexte, tout ça…) des trentenaires suédois. Ses critiques sont plutôt symptomatiques d’un malaise surtout palpable chez quelques stars des nineties, aujourd’hui au minimum quadragénaires. Avant Simons, des pointures telles que DJ Sneak, Scuba et A Guy Called Gerald ont eux aussi sorti quelques vacheries sur l’EDM et depuis, un autre « vieux », DJ Sasha, s’est à son tour lâché sur le sujet, tweetant que l’electronic dance music relève de « la pollution » et que ce n’est rien d’autre de la musique de « douchebags ».

Ce ne sont jamais que des opinions, voire même du pur troll de mâle alpha déclinant. Le magazine Mixmag, qui s’est fait l’écho de ces échanges d’amabilités, estime toutefois que cette mauvaise ambiance « divise la communauté des fans de dance-music ». La force d’hypnose chronophage des réseaux sociaux accentue bien évidemment le buzz de ces clashs et, à vrai dire, ce débat prend dans la sphère anglo-saxonne une importance assez démesurée. Pour quelqu’un comme moi, qui a pour ainsi dire le même âge et les mêmes goûts qu’Ed Simons, le même genre de background culturel aussi, c’est assez consternant de voir oeuvrer tant d’amnésies, de mauvaise foi et d’arguments passéistes. Comme beaucoup de kids de la Génération X, nous aimons des choses qui ont à un moment de l’histoire musicale sonné aventureuses et exigeantes, de la musique qui se différenciait de la mélasse qui s’écoutait à la radio. Ca forme les oreilles, détermine les goûts et les attentes. Aujourd’hui encore, c’est ce qui m’attire: les marges, l’expérimentation, une certaine maladresse même. C’est pourquoi je déteste moi aussi le R&B, Swedish House Mafia et toutes autres formes de musiques fabriquées pour cartonner. Je n’aime pas les évidences, le professionnalisme, le calcul, les formats, un certain cynisme. Contrairement à Ed Simons, je n’irais toutefois jamais sous-entendre que la dance-music du passé, dans son ensemble, était une alternative à tout cela et que son esprit est aujourd’hui dévoyé par des projets calibrés pour plaire à une majorité mainstream. Ce n’est pas seulement faux, c’est totalement con.

C’est oublier que dès le départ, il y a dans la dance-music énormément de putasseries artistiquement immondes. Du disco plouc, de la new-beat au kilomètre, de l’eurodance à deux idées, de la musique fonctionnelle pondue en quelques heures, bref, des projets qui n’étaient pas moins cyniques et putes que Swedish House Mafia. Je n’ai curieusement pas le souvenir que cela gênait qui que ce soit. Au mieux, cet aspect-là de la musique électronique était ignoré par les fans de sons plus pointus. Au pire, il était considéré comme utile au mouvement. A cette époque, il existait en effet cette sorte d’idéal communautaire autour des musiques électroniques. Autant dire que régnait un certain esprit de corps et c’est bien pourquoi des gens comme David Guetta ne sont aujourd’hui pas forcément critiqués par les « anciens de la house ». Guetta est un des leurs. Au fond, il n’est qu’une brave bite qui s’est retrouvé presque par hasard à mener une carrière très commerciale. Certains admettraient même que son succès est bénéfique à tout le monde impliqué dans la house, parce qu’il peut amener des auditeurs un peu plus curieux que la norme à découvrir, via ses disques, de la meilleure musique que la sienne. En somme, l’esprit communautaire des vieux fans de house perçoit Guetta comme un missionnaire un peu gaga, un peu trop zélé, qui en fait franchement trop, mais qui convertit, amène des sauvages à La Lumière, et c’est tout ce qui compte. C’est bien évidemment totalement absurde. David Guetta est justement un type qui a tourné le dos à un certain esprit. Il nivelle par le bas et trahit bien davantage l’idée communautaire de la house que ces jeunes mecs qui s’y mettent aujourd’hui alors que cette musique n’a plus rien de révolutionnaire, ni d’utopique, que ces aspects-là sont pour eux aussi ringards que les délires hippie ne l’étaient en 1985. Depuis 2010 et l’avènement de l’EDM, la house, c’est juste un genre musical duquel s’inspirer, facile à faire, qui fait partie du décor. Si les jeunes décident d’emballer leurs produits d’un esprit fun et festif, débarrassé du bullshit de science-fiction, sans plus aucune allusion à l’ouverture des consciences, au psychédélisme ou à la communication avec les dauphins, qui sommes-nous pour les juger, nous, les alpha déclinants de la Génération X? Ils fonctionnent dans leur monde bling, ils bouffent l’espace jadis occupé par ceux qui sont aujourd’hui un peu largués et cartonnent bien davantage puisque programmés sur des grosses scènes américaines et non plus des petits clubs européens. C’est dans l’ordre des choses. Notre jeunesse sous X a foutu le camp.

Je ne comprends dès lors pas très bien pourquoi s’attaquer à eux et passer sous silence les retournements de pantalons de types comme Guetta ou, pire encore, toujours montrer de la sympathie pour l’eurodance la plus pourrie des années 90, au nom de la nostalgie amusée et de l’ironie décalée. Swedish House Mafia à mon niveau, c’est Mireille Mathieu. Je me contrefiche de leurs existences, c’est totalement alien à ma vie. Par contre, l’ironie et la nostalgie, voilà bien des concepts qui « polluent » et « tuent » bien davantage la musique électronique que la variétoche qui fait boum-boum. Et voilà justement pourquoi j’estime que Simons, Sasha et les autres se raclent là les orbites oculaires avec le coude. En critiquant l’EDM, ils expriment leurs goûts, leurs opinions. Ils montrent surtout qu’ils confondent des approches musicales qui n’ont de commun que le matériel utilisé. Ils confondent house et pop comme n’importe quelle Audrey Pulvar devant Martin Solveig. Ils se font les gardiens de lois dépassées, talibans de recettes archaïques, rappellent les droits et devoirs des musiciens de ce qu’ils pensent rester leurs secteurs comme n’importe quel Marc Ysaye à l’esprit calé dans une époque morte. Ils se trompent de cibles, ratent complètement la pertinence de propos. C’est ce que l’on appelle mal vieillir.

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