Serge Coosemans

Harmoniser les heures de fermeture des discothèques? Le Dormeur doit se réveiller!

Serge Coosemans Chroniqueur

Une députée PS propose d’harmoniser les heures de fermeture des discothèques, au nom de la tranquillité publique, de la sécurité routière et de la lutte contre la drogue. Notre chroniqueur y voit une vraie menace, vu le pauvre contexte actuel de la night. D’où un vrai cri du coeur. Sortie de route, S02E26.

Quelques semaines après les propositions de la verte ministre Huytebroeck visant à limiter considérablement les décibels dans les lieux de sortie, c’est au tour de la députée socialiste Isabelle Emmery de servir la soupe à la grimace au monde noctambule. Avec quelques-uns de ses collègues de groupe à la Chambre, l’Anderlechtoise entend en effet règlementer et harmoniser les heures de fermeture des discothèques, ce qui relève actuellement de la compétence communale. Emmery s’en justifie dans les colonnes de la DH en pensant aux « riverains qui, chaque week-end, subissent les puissants décibels d’un dancing ouvert pendant plus de cinquante heures (…), aux jeunes appelés à consommer des substances illicites (…) ou encore aux accidents de la route causés principalement par des jeunes conducteurs sur le chemin du retour. » Bref, plutôt que de voir le monde noctambule comme un secteur économique dynamique, une attraction touristique génératrice d’impôts appréciables ou encore un havre de cultures alternatives et émergentes, cette brave dame nous ressort le bon vieux cliché de la discothèque apparentée au véritable « puits de danger », à la parfaite nuisance. Ce n’est pas neuf. Cela fait des années, des décennies même, que le monde politique, de droite comme de gauche, nous remixe la même chanson, souvent d’ailleurs sans qu’au final, rien ne bouge vraiment.

Ailleurs, pas forcément loin, il est pourtant de plus en plus commun que la nightlife, y compris un peu plus borderline que franchement touristique, soit considérée comme un élément déterminant de l’identité culturelle locale. Une vie nocturne trépidante participe à la dynamisation d’une image urbaine, à l’attrait touristique d’une ville, à la modernisation d’une région. On ne parle pas ici que d’horeca. Idéalement, on devrait pouvoir écouter des concerts classiques dans des églises la nuit, nager dans les piscines communales à l’heure du loup, visiter des expos, acheter des pulls et des livres à 4 plombes du mat. Dans un tel environnement, la discothèque serait vue par tous pour ce qu’elle est réellement: un endroit banal où se trament des choses banales (sociabiliser, danser, draguer…). Les boîtes de nuit ne sont pas des lieux de perdition où s’abrutissent tous les rebuts de la société. Il s’agit plutôt d’un service qui répond à différentes demandes, à l’instar d’un supermarché ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou de la possibilité, à la nuit tombée, d’utiliser les transports en commun. Dans un pays où il est pour ainsi dire toujours un poil socialement déviant d’ouvrir un commerce après 20 heures et où il reste pour certains syndicats carrément sacrilège de travailler le dimanche, on peut comprendre qu’une telle vision a toujours du mal à passer. Dans la nuit belge, vous demandez un peu de lumières ailleurs que sur les autoroutes et hop, vous voilà taxé d’infâme suppôt de l’ultra-libéralisme le plus débridé.

Très bien, alors allons-y avec la plus grosse rengaine libérale qui soit: la responsabilisation. Le type qui se tue en voiture ivre mort et camé sur le chemin du retour du Macumba Club est responsable. De sa conduite et de ce qu’il a ingéré. Le barman est responsable d’avoir servi ce pochetron au-delà de la dose raisonnable et le dealer de lui avoir vendu des produits illicites, éventuellement même douteux d’un point de vue sanitaire. La responsabilisation du taulier n’entre par contre selon moi pas en jeu. La sienne, c’est d’insonoriser correctement son bouiboui et de faire en sorte qu’il est possible de s’en griller une dans un lieu autre que là, dehors, sous la fenêtre de Madame Michu, qui estime les jeunes bruyants depuis 1963. Autrement dit, à mes yeux, nous avons trois problèmes distincts là où la députée Emmery n’en voit qu’un. Elle a tendance à « charger » le dossier alors qu’une discothèque n’est en principe pas plus propice à la consommation de drogue et d’alcool qu’une habitation privée, une fête de village, un festival rock, un parc, un bois, une ruelle sombre, le bord d’un lac ou même la cafétéria du PS. Fermez les discothèques à 3 heures du matin et la drogue et l’alcool se consommeront ailleurs, peut-être même dans des raves et des afters totalement insécurisées (*). Les gens se tueront sur d’autres routes que celles qui séparent les uns des autres les mégadancings du Tournaisis. Ou chez eux, en oubliant d’éteindre la gazinière ou par overdoses de sale dope et d’ennui, englués dans ces divans où ils s’emmerderont plus que jamais.

Tenter de diminuer la consommation de drogue et d’alcool, cela demande une meilleure éducation, une information maximale, une meilleure prévention. Cela exige aussi l’accès à une vie moins ordinaire, à de meilleurs jobs, à une société plus riante. A une meilleure offre de services, en d’autres termes. Or, nous savons bien que la société belge n’est pas riante et que son offre nocturne n’a plus rien de très compétitif. Nous savons qu’en Belgique, il suffit d’un seul riverain grincheux et insomniaque pour mettre en balance le permis d’exploitation d’un établissement animant un peu la morosité de 100, 500 ou même 2000 personnes, ce qui relève tout de même d’une interprétation assez bizarroïde de la démocratie. Nous connaissons les fantasmes de villes-musées et autres villes-dortoirs entretenus par certains politiciens. Nous savons que la moyenne d’âge de la population est assez élevée, la mentalité plutôt bourgeoise, et que ce n’est pas forcément propice à l’épanouissement des jeunes kékés. Nous savons aussi qu’en ce moment, dans la night, l’ambiance n’y est vraiment pas: trop d’events mal gérés, de vols de téléphones aux comptoirs des bars, de comportements parfaitement crétins. Pas assez de bons soundsystems, d’accueils généreux et de respect du public. Le monde de la nuit va mal, tellement mal que ces propositions d’Evelyne Huytebroeck, Isabelle Emmery et autres politiciens tapant sur des cibles faciles puisque mal aimées de la population vieillissante, pourraient très bien finir par s’imposer, malgré leurs aspects critiquables, chipoteurs ou même carrément mal informés. La fête n’est pas un droit, c’est un combat. Que l’actuel monde noctambule pourrait très bien perdre, faute de combattants pugnaces, intelligents et capables d’argumenter face à des élus pourtant nourris au cliché et à l’approximation. Le Dormeur doit se réveiller. Plus que jamais.

(*) A partir du milieu des années 90, c’est précisément pour éviter la dispersion de la population festive dans les raves au fond des bois, les afters incontrôlables et les fêtes illégales que le Royaume-Uni a considérablement élargi les horaires jadis très drastiques de ses pubs, bars et autres discothèques.

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