Gregory Porter, soul maestro

Gregory Porter © Bruno Bollaert - Wahwah vzw
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Samedi soir, le Gent Jazz clôturait une édition record, avec un Gregory Porter tout bonnement éblouissant.

38 000 spectateurs. C’est le nouveau record de fréquentation engrangé cette année par le Gent Jazz festival, qui a étalé ses 7 soirées du 10 au 18 juillet. Le secret? Notamment une programmation jamais braquée, qui a su rassembler quelques tout gros noms, de Van Morrison à Tony Bennett et Lady Gaga. Mais aussi certainement, du côté de Gand, une certaine idée de la convivialité. Mieux: un vrai confort, malgré la foule. Toujours amarré au magnifique site du Bijloke, le festival chic – mais pas guindé – ne joue pas la démesure, ni l’overdose musicale. (Arriver au Gent Jazz après une journée passée à Dour s’avère ainsi particulièrement déboussolant (et reposant). Un peu comme passer d’une jungle moite et touffue à un délicat jardin d’été anglais – les deux ayant leur charme, là n’est pas la question).

Evidemment, le raffinement a un prix. Mais puisqu’à peu près tous les festivals – rock, électro et autres -, ont cédé à l’inflation, les tarifs pratiqués à Gand ne sont finalement plus spécialement excessifs. Surtout quand on a droit à une soirée comme celle de samedi, qui est passée d’un temps fort à un autre.

Porter au sommet

Arrivé en fin d’après-midi, on a loupé les Anglais de GoGo Penguin, mais dès 18h30 on tombe sur Snarky Puppy, collectif de Brooklyn qui prouve que l’idiome jazz n’est en rien une langue morte, comme d’aucuns le prétendent parfois. Ici un beat hip hop à la J Dilla, là une guitare électrique à la Led Zep, ou un clavier qui frôle la muzak de salon avant de dérailler, et de s’emballer virevoltant. A neuf sur scène, le collectif du bassiste Michael League frétille, bouillonne, laissant de la place à chacun (sans pour autant tomber dans la démonstration gratuite), jusqu’au final pris en main par le batteur Larnell Lewis et le percussionniste Nate Werth, deux soli pour le prix d’un. Bluffant.

Neneh Cherry
Neneh Cherry© Bruno Bollaert – Wahwah vzw

Pas facile d’enchaîner après ça. Même quand on s’appelle Neneh Cherry. A Gand, la belle-fille de feu Don était juste accompagnée du duo Rocketnumbernine ( Ben Page aux machines, et Tom Page à la batterie). Un peu court pour rivaliser avec la luxuriance musicale du band précédent. Surtout sur la grande scène du festival. Soit. C’est aussi tout le mérite de l’événement gantois de montrer les « many faces of jazz », comme l’a expliqué sur scène la principale intéressée. Même si on l’a vue mieux à son affaire en club, Neneh Cherry s’est donc employée à déployer les expérimentations de son récent Blank Project, avec son investissement habituel. Elle glissera bien l’un ou l’autre tube nineties, comme Manchild, ou en rappel Buffalo Stance. Mais les versions qu’elle en donne pratiquent le même sens de l’abstraction que les nouveaux Bullshit ou Everything. Soit un groove cubique parfois un peu froid, mais jamais distant – on parle de Neneh Cherry tout de même.

Puis, qui voulait danser plus franchement n’avait qu’à se rendre un peu plus loin, sur la deuxième scène, minuscule, planquée au fond du jardin. Avant Stuff !, elle était occupée par BRZZVLL, qui, au cours de la soirée, a joué par trois fois les interludes de luxe : quand il monte dans les tours, le groupe flamand rejoint par Anthony Joseph devient une formidable machine afro-funk. « Your mind is a jungle/Confusion all the time », tonnera notamment le chanteur/poète né à Trinidad, mélangeant propos bien senti et groove incendiaire.

Le clou de la soirée restait cependant le concert de Gregory Porter. Casquette de gavroche vissée au crâne, le visage matou coincé comme d’habitude dans sa cagoule, l’Américain a la prestance des plus grands. Et le talent qui va avec. Accompagné d’un quartet vibrant (épatant Yosuke Sato au saxo), le vocaliste a ainsi donné pendant une heure et demi un concert qui a touché au sublime, pas moins.

Même s’il ne bénéficie pas toujours d’une couverture médiatique idéale, le jazz vit actuellement une période de renouveau passionnante. Elle passe notamment par un rapprochement enfin avoué et assumé avec la soul, accointance dont Porter est l’un des exemples les plus brillants. Il y a du Sam Cooke dans le baryton du chanteur (Work Song), qui cite encore ailleurs les Temptations (Papa Was A Rolling Stone), ou même Marley (le band qui glisse des notes de War sur Musical Genocide). Plus souvent qu’à son tour, Porter part aussi dans des ballades, qui, au crooning amoureux désabusé, préfère la chaleur universelle et fraternelle du gospel. A filer le frisson. Surtout que Porter a l’élégance de ne jamais en faire trop, de ne pas multiplier les effets, toujours pertinent. Bien sûr, il n’y a ici rien de neuf. Mais si les thèmes ont beau être connus, Porter les incarne avec une telle justesse, qu’il semble les réinventer en direct. « There will be no love dying here tonight », assurait-il en début de concert. Devant tant de beauté et de majesté soul, c’était en effet impossible.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content