Gregg Allman vs. Dick Annegarn: Baby Blues

BLUES | Le blues, c’est l’enfance de l’art: on y revient toujours. Double exemple contrasté avec Dick Annegarn et Gregg Allman.

Dick Annegarn, Folk Talk, distribué par Pias, 3/5.

Gregg Allman, Low Country Blues, distribué par Universal, 4/5.

Annegarn, né à La Haye en 1952, a passé sa jeunesse à Bruxelles, papa étant fonctionnaire européen. Ado, il craque pour les disques de Dylan et les trouvailles du musicologue Alan Lomax, explorant avec avidité partitions blues et folk. Fin 1973, il trouve dans le tube Bruxelles un passeport pour le succès qu’il délaisse assez vite pour mener 2 décennies de vagabond de la chanson. Depuis son « retour » en 1997 avec le superbe album Approche-toi, Dick a sorti 5 autres disques studio, toujours entre allusions roots et poésie annegarnienne. A 58 ans, il décide enfin de saisir de façon plus formelle l’héritage américain en enregistrant 14 titres US, traditionnels ou signés d’illustres ancêtres (Woody Guthrie, Dylan, Rosetta Tharpe…). Il y chante de sa drôle de voix des machins qui ont 50 ans ou plus: c’est dépouillé comme un vieux hareng saur qui a le cafard , Annegarn jouant d’un larynx éternellement yodelant. Parfois, sa relecture semble vaine, tellement elle a été précédée de versions supérieures, comme dans Fever, à d’autres moments, la reprise se met à vibrer au son d’une pile inaltérable. Quand il traite Love Me Tender, la berceuse d’Elvis, ou, plus étonant encore, Georgia On My Mind, rendu célèbre par Ray Charles, il dépouille les mémoires pour les aspirer dans son propre univers, ce qui est l’ultime indice du talent.

Patine rugueuse

Gregg Allman (1947) est très loin d’Annegarn dans le style comme dans le parcours. Quand il fonde en Floride, en mars 69, The Allman Brothers avec son aîné Duane, il ne sait pas que ce groupe marquera l’histoire de la musique américaine et que son frère se tuera 32 mois plus tard à moto. Le temps de graver un blues fantastiquement improvisé et, pour Duane, de devenir un guitar hero bluffant Clapton avec lequel il duettise sur le mythique Layla. Quatre décennies plus tard, les Allman Brothers ont toujours un large et fanatique public américain et Gregg, récemment pourvu d’un nouveau foie, réalise son premier album solo en 14 ans. Lui aussi, à une chanson originale près, puise dans le blues qu’il ressert d’une voix formidablement grogneuse. Le gamin qui découvrait BB King à l’âge de 10 ans (c’est quand même mieux que Justin Bieber) se lance dans les 12 titres avec une science mirifique du genre, donnant à King, Skip James ou Muddy Waters, une épaisse patine rugueuse qui colle à l’émotion humide de la voix. Là-dessus, la superbe guitare électrique de Doyle Bramhall II et la production de T Bone Burnett confortent un album tellement authentique qu’on y entend même de lointains échos africains (cf. Devil Got My Woman). Roots mais jamais vieux. Et très recommandé.

Philippe Cornet

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