Graham Coxon, « avec Damon, on garde une espèce de distance »

Alors que Damon Albarn révèle avoir failli enregistrer un album avec David Bowie et le Kinks Ray Davies, Graham Coxon, le guitariste binoclard de Blur, dégaine A+E, un album solo brut de décoffrage. Grosse claque…

« Under the Westway est peut-être l’ultime titre de Blur. » »Le concert avec les Specials pour la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques pourrait être le dernier. » Alors que les déclarations de Damon Albarn se répandent sur la Toile comme une trainée de poudre dans le tarin de Jean-Luc Delarue, Graham Coxon déballe dans un relatif et déplorable anonymat l’un des meilleurs disques de ce début d’année. Présentations.

Votre disque précédent était un concept album qui racontait l’histoire d’une vie, de la naissance à la mort. De quoi parle Accident & Emergency?

A+E parle d’événements nocturnes, de sorties. Il y a à la fois un côté sombre et beaucoup d’humour sur ces morceaux. Ce disque évoque la vulnérabilité des gens quand ils font la bringue, sont complètement ravagés. Je sais ce que c’est. Mais je m’inquiète un peu quand je vois ces programmes à la télé en Angleterre qui montrent ce que s’enfilent les kids. Il y a une part de souvenirs dans ce que je raconte, mais il y a aussi sans doute le père qui voit sa fille grandir. J’espère qu’elle ne voudra pas essayer d’oublier qui elle est. Ce qui explique à mon avis l’alcoolisme de beaucoup de gens. Des mecs pour qui la vie est une tragédie, une torture.

C’était quoi l’idée, quand vous vous êtes mis à plancher sur ce disque?

Quand j’en ai eu fini avec The Spinning Top, je n’avais pas vraiment de plan. J’avais juste compris que le finger picking en tournée est éreintant. J’ai commencé à improviser, à enregistrer des démos à la maison en partant de la drum machine et en utilisant une basse plutôt qu’une guitare. Tout ce que j’entreprenais avec une gratte s’était mis à m’ennuyer. Je suis donc parti de trucs très simples. Des chansons comme The Truth et City Hall sont nées dans l’impro et à partir d’idées brutes. J’avais la batterie et la basse. Parfois quelques paroles et une voix. Mais j’ai tout mis de côté en me disant que je développerais ces morceaux plus tard. Ce que je n’ai jamais fait. J’ai fini par réaliser que j’aimais ces chansons telles qu’elles étaient. Et j’ai décidé de contacter Ben Hillier. Je me suis souvenu de mon album Golden D sur lequel nous avions bossé ensemble et d’une chanson complètement dingue comme My Idea of hell. C’était très cheap, nasty, noisy. Et c’est comme ça que je voulais sonner.

Damon Albarn déclarait dans une interview que vous aviez des obsessions. Que pendant six ou sept mois, vous pouviez vous focaliser sur un certain type de musique…

J’écoutais beaucoup de punk américain à l’époque. Je regardais énormément de vidéos de skateboard. Je bouffais aussi des trucs comme Iron Maiden. Et j’avais flashé sur la bande originale de Gummo, le film d’Harmony Korine. Un groupe comme Sleep puis aussi du black et du death metal norvégien. Il y a sans doute de ça dans mon nouveau disque. Avec un peu plus de prog. J’imagine que j’aime ce que j’ai toujours aimé. J’ai réécouté des trucs comme Van der Graaf Generator, Wire, Chrome. Il y a aussi une influence kraut. City Hall a par exemple été marqué par Can… Andy Ross, qui dirigeait Food Records, et qui en gros a découvert Blur, était un grand connaisseur. Il m’a fait découvrir Can, Neu!, Faust au début des années 90… Mais sur A+E, j’entends aussi du punk, de l’électronique, du Velvet Underground.

Pour une fois, ce n’est pas une de vos peintures ou un de vos dessins sur la pochette. Marre du crayon et du pinceau?

Je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu trop précieux dans mes peintures. Je n’ai donc pas voulu que ce soit l’une d’entre elles qui serve cette fois de pochette à l’album. Il y aurait eu un trop grand décalage… Le disque a été enregistré assez rapidement dans un esprit d’urgence et d’excitation. Il n’y avait pas vraiment d’image qui se dégageait dans ma tête. Je me suis mis à penser à la saturation. A la pixellisation. A l’utilisation détournée qu’on avait faite des technologies en enregistrant. J’ai donc décidé d’utiliser une photo un peu cheap elle aussi. Un cliché tiré à la va-vite avec ce téléphone ici sur la table. Perso, j’aime le graffiti. Les expressionnistes abstraits du New York des années 50. Modigliani, Picasso… J’ai aussi un faible pour l’art symboliste de l’ère victorienne. Le dessin a été le premier moyen que j’ai trouvé pour échapper à mon propre cerveau. J’ai souvent été embarrassé, anxieux ou mal à l’aise. Et tout ce que j’ai eu l’occasion de faire dans ma vie pour chasser ces sentiments, je l’ai fait. Que ce soit dessiner, picoler ou donner des concerts.

Vous avez travaillé avec Pete Doherty sur son album solo. Ça pouvait sembler surprenant mais il y a pas mal de points communs entre vous. Vous êtes déjà tous deux des fils de militaires…

C’est vrai. On a aussi la même date d’anniversaire. A tout juste dix ans d’intervalle. En fait, Stephen Street, qui a produit ce disque, est venu me voir. Il est passé à la maison avec les démos de Pete. Il voulait que je donne un coup de main. Que je l’aide à mettre ces chansons en forme. J’ai accepté. J’avais croisé Pete une paire de fois. La première doit remonter à 2001. C’était à un réveillon de nouvel an. J’ai d’ailleurs écrit une chanson sur cette fête. Elle s’intitule No Good Time et figure sur l’album Happiness in Magazines. Stephen voulait que je vienne jouer sur Grace/Wastelands mais il cherchait surtout, je pense, quelqu’un qui s’asseye avec Pete. Quelqu’un qui puisse lui apporter du soutien, de la confiance afin de structurer les chansons et de lancer le processus d’enregistrement. Au final, pas mal de ces morceaux tiennent juste sur Pete et moi à la guitare acoustique. Je l’ai même accompagné en concerts.

Carl Barat et Pete avaient le sentiment d’être en compétition dans les Libertines. C’est aussi quelque chose que vous avez ressenti au sein de Blur?

Je comprends, oui. Forcément. Avec Damon, même si on ne se le dit pas, on a de l’intérêt, du respect pour ce que fait l’autre. Mais on ne s’appelle pas: « Tiens, est-ce que tu as écouté mon nouveau disque? » On garde plutôt une espèce de distance. Il me semble évident qu’il n’aime pas tant mes trucs que ça. Il a été dans un groupe avec moi. Il aime probablement un peu la touche Graham quand elle figure sur un album de Blur mais un disque complet, ça doit être un petit peu trop pour lui. Je ne sais pas. Je peux comprendre qu’il dise: « Euh, waw, c’est trop Graham. » Ça doit le rendre dingue. Et c’est la même chose de mon côté. En même temps, on ne peut pas comparer. Il n’arrête jamais. Il touche à plein de choses différentes. Dans des univers souvent très éloignés du mien.

Vous écoutez quoi aujourd’hui?

J’aime des groupes récents comme Band of Skulls, St Vincent. Mais c’est dur de se tenir au courant. Je ne cherche pas beaucoup, en fait. Je regarde trop la télévision. Je suis un téléphage. Je n’arrête jamais: infos, films, séries, documentaires… Les news sont une grande source d’inspiration. C’est de là que me vient mon pessimisme. Les émeutes de l’an dernier à Londres étaient flippantes. D’ailleurs, une bande traînait au bout de ma rue. Et à un moment, j’ai pensé que je devrais peut-être me procurer une arme pour défendre ma maison. Je n’ai pas acheté de flingue. J’avais juste une massue et un stick de hockey. Mais je me disais: « Ne laisse pas les couteaux en évidence dans la cuisine ou quoi que ce soit d’inflammable dans le jardin. » J’ai fini par réaliser que je délirais, mais une chose est sûre: il est difficile de contrecarrer la volonté d’une foule décidée…

On peut s’attendre à un nouvel album de Blur alors?

On s’est bien marrés lors des concerts de reformation mais on va voir. Cette année va déjà être très chargée pour moi. Je ne sais pas si je suis le plus rockeur du groupe. Perso, je pense surtout que je suis le morveux. Tout le monde essaie de grandir un peu alors que je reste un gamin stupide et puéril.

Entretien Julien Broquet

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