Franz Ferdinand: « Ce n’est PAS un album sur les asperges allemandes… »

Franz Ferdinand © Andy Knowles
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir frôlé le crash, les Écossais reviennent avec un 4e album pétaradant. Entretien avec les intéressés, où il est notamment question de Bowie, de Bouddha et des asperges allemandes…

Le rock est un monde cruel. Un pas de travers, une mauvaise passe et vous voilà aussi vite déclassés. Rappel des faits. Il y a dix ans, Franz Ferdinand emballait tout son petit monde avec une poignée de singles détonants (Take Me Out, Darts of Pleasure…) et un premier album épatant. Le 2e essai confirmera la capacité des Ecossais à pondre des tubes rock, avant qu’un 3e épisode (Tonight: Franz Ferdinand) ne donne un peu trop l’impression de voir le groupe se chercher déjà un nouveau souffle. Sans le trouver… C’était en 2009. Depuis, Franz Ferdinand n’avait plus trop donné signe de vie, hormis une série de concerts l’été dernier -notamment au Dour festival. « Il fallait rester affûtés, explique Alex Kapranos (chant, guitare). C’est un peu la différence entre un chat qui reste à la maison et celui qui file se balader dehors. Le chat domestique veut se la couler douce, bouffer, ronronner au coin du feu… Tandis que celui qui sort retourne à ses instincts de chasseur, se bat avec les autres chats… Il est plus sauvage! C’est la même chose avec un groupe. Si vous restez trop longtemps en studio, vous vous ramollissez. Par contre, quand vous sortez, que vous allez voir dehors, que vous jouez, l’instinct revient. »

Autant dire que ce n’était pas superflu. En quatre ans, la roue a tourné. Et dans un monde où l’électro et le hip hop ont pris le dessus chez les kids, l’idée d’un album pop-rock à la fois spirituel et excitant est devenue de plus en plus hypothétique. Right Thoughts, Right Words, Right Action est pourtant une excellente surprise. La patte de Franz Ferdinand, bande de scottish lads arty, fans érudits de pop à guitares, est directement identifiable. Mais le groupe a retrouvé un enthousiasme et une pertinence rafraîchissants. Explications en toute décontraction avec le susmentionné Alex Kapranos et Bob Hardy (basse), réjouis de voir arriver leur première pinte de la journée.

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Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’album précédent?

B.H.: Il y a des bonnes chansons dessus, mais je ne pense pas qu’elles étaient toutes abouties. Le processus d’enregistrement n’était peut-être pas le bon. Il y avait pas mal de pressions extérieures. Des problèmes internes aussi -pas entre nous, mais chez plusieurs membres… La tournée qui a suivi n’était pas non plus aussi drôle qu’elle aurait dû l’être. Bref, disons que l’on a beaucoup appris (sourires). Au fil des années, tout a été également très vite et on avait peut-être accumulé une série de choses que l’on n’avait pas eu le temps de débriefer. On a pu enfin prendre un moment pour ça.

Une grande remise à niveau autour d’une table, c’est ça? Avec un psy?

B.H.: Naaan, on n’est pas Metallica (référence au documentaire Some Kind of Monster, centré sur les problèmes relationnels du groupe de métalleux, ndlr)! Et puis un psy, ça coûte cher! On est écossais, ne l’oubliez pas…

A.K.: Pourquoi mettre de l’argent dans une psychanalyse alors qu’on pourrait le dépenser dans du bon whisky (rires)!

Avez-vous pensé abandonner à un moment?

B. H.: C’était une possibilité. L’autre était de faire un très bon disque. On a tenté de prendre la seconde option. Quel intérêt de faire un mauvais disque de toutes façons?

Peut-être de continuer à exister malgré tout?

A.K.: Ce groupe, c’est notre vie. Donc on a plutôt intérêt à apprécier ça. Sinon c’est une foutue perte de temps. Pour le même prix, vous pouvez aussi simplement ranger des étalages au supermarché. J’ai eu plein de jobs où j’ai compté chaque seconde passée à bosser là. Je détestais ces boulots. Je n’ai pas envie que la musique ressemble à ça. Donc, le but est de s’assurer que vous êtes là parce que vous adorez ça. Et que tout le monde soit dans le même état d’esprit. Après, il s’agit de trouver les bonnes idées, qui feront les bons morceaux et au final le bon disque. Ce qui n’est pas forcément toujours évident.

Franz Ferdinand au Pukkelpop 2013.
Franz Ferdinand au Pukkelpop 2013.© Noah Dodson

Quel a été le déclic?

A.K.: Je me rappelle d’un concert au festival All Tomorrow’s Parties, programmé par Belle & Sebastian. C’était en 2010. Cela faisait un bon moment que l’on n’avait plus joué ensemble. À cet instant-là peut-être, j’ai dû me poser la question: faire un nouveau disque, vraiment? Est-ce que le groupe est raccord avec ça? Puis on a donné ce concert, juste à quatre et un membre de notre équipe technique, mais sans notre ingé son, sans light show… On n’a joué aucun gros single. On s’est tenus à ce qui fait l’essence du groupe. Et le fait est que… j’ai adoré ça! C’était super! J’étais là sur scène, avec ces mecs, c’était parfait. J’ai ré-appris à apprécier ce qu’il y avait de bien dans Franz Ferdinand. Parfois vous pouvez l’oublier. Par exemple, quand vous vous retrouvez embarqué dans le grand cirque, la broyeuse disque-tournée-disque… (silence). Je ne suis pas en train de sortir le discours d’un album « retour aux sources ». On n’est pas là en train de recréer ce qu’on faisait il y a dix ans. Il est question de la chimie qui peut exister entre ces quatre personnes, de ce qui arrive quand elles se retrouvent, sans la moindre bullshit autour. En d’autres mots, ce qui se passe quand on arrête de donner des interviews, de parler au label, de penser au business…

Le webzine Pitchfork avait terminé sa critique de Tonight en écrivant qu’à ce stade, le groupe pouvait aussi bien se lancer dans un album folk ou électro que faire un nouveau disque typé Franz Ferdinand. Avec Right Thoughts…, vous avez clairement préféré la 2e option.

A.K.: Absolument. C’est l’autre enseignement du concert au festival ATP. J’ai réalisé que l’on n’avait pas besoin d’inventer quelque chose. Ce qui est là est déjà super. Ce qui n’exclut pas de faire de nouvelles choses avec Franz Ferdinand, là n’est pas la question: ajouter un neuvième accord dans le pont, glisser un saxo, un rythme cumbia, une section de cordes… Il y a plein de nouvelles idées dans Right Thoughts…. Mais la base des morceaux reste ce truc qui nous est propre, fondé sur nos quatre personnalités. Cela ne sert jamais à rien de faire semblant que vous êtes quelqu’un d’autre.

Schématisons: quand vous êtes un groupe de rock, vous avez le choix entre creuser le même sillon toujours un peu plus profond, ou alors vous appeler David Bowie…

A.K.: Cela n’est pas aussi simple! Au départ, je pensais aussi comme ça. Pourtant, à sa manière, Bowie creuse également de plus en plus profond. Mais en lui-même. Si vous regardez bien, il ne change pas tellement de disque en disque. OK, le son évolue un petit peu: il y a un saxo sur Young Americains, davantage de synthé sur Heroes, Ziggy Stardust sonne plus glam… Mais cela sonne surtout de plus en plus comme du « David Bowie ». Le basculement pour moi, c’est l’album Hunky Dory (1971). Là il a commencé à devenir l’artiste que l’on connaît. Avant il essayait d’être d’autres choses, s’inspirant par exemple d’Anthony Newley (célèbre chanteur-acteur britannique des sixties, ndlr)… Avec Hunky Dory, il a arrêté d’accumuler les influences et les a absorbées pour devenir son propre truc, construire son propre mythe.

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Franz Ferdinand a toujours eu le don de composer une pop avec une certaine distance. Sur la page Wikipedia consacrée au nouvel album…

A.K. (soupir):Here we go

… vous parlez d’un album qui traite de « l’idée d’une recherche cynique d’optimisme »…

A.K.: Ah oui? Bon, si c’est sur Wikipedia, c’est sûrement vrai… Après tout, cela sonne pas mal…

Vous faites notamment référence à Lanark, le roman sci-fi d’Alasdair Gray…

A.K.: Oui, bon, c’est vrai. C’est l’une des premières infos que l’on a dû lâcher sur le disque. Mais vous dites une simple chose et cela devient toute une histoire. Please, never read Wikipedia! (il se tourne vers Bob Hardy, ndlr) Tu sais pas quoi? L’autre jour, dans un magazine allemand, le journaliste expliquait à quel point tu aimais les asperges, simplement parce que tu avais dû expliquer ce que tu avais mangé à midi! (rires)

B.H.: Sérieux?

A.K.: Oui! Du coup, pendant deux ans, on va devoir expliquer qu’il ne s’agit PAS d’un album sur les asperges allemandes…

Right Thoughts, Right Words, Right Action, cela sonne presque comme un programme politique, non?

B.H.: C’est ouvert. C’est une instruction tellement simple, et en même temps une projection très positive, vous pouvez y mettre tous les aspects que vous voulez.

A.K.: Il me semble que c’est une assez bonne approche qui vaut pour plein de situations de la vie. Je l’ai volée directement au Noble chemin octuple du bouddhisme. On aimerait tous avoir une sorte de guide. A la fin de l’enregistrement, on s’est rendu compte que l’album tournait pas mal autour de cette idée: trouver un manuel pour vivre, un truc en lequel croire et qui aurait réponse à tout. Je ne suis pas bouddhiste. Mais même chez les plus grands sceptiques, il y a toujours ce désir.

Vous ne croyez pas en Dieu, mais bien en la pop music, c’est ça?

A.K.: J’adore ça, en tout cas. D’aussi loin que je m’en souvienne. Mais ma définition de la pop est probablement plus large que celle que peuvent avoir la plupart des gens. Mes groupes pop favoris par exemple sont les Ramones et Nirvana.

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Sauf votre respect, on pourrait même entendre l’influence d’un groupe comme ZZ Top sur le nouveau disque…

A.K.: Parfait! J’adore un album comme Tres Hombres (1973). Puis Eliminator (1983) reste quand même le premier disque rock où apparaissent des sequencers. C’était assez révolutionnaire à l’époque: ils amenaient la technologie disco et l’appliquaient à une musique blues rock. C’est génial! Vous imaginez, tous ces hardrockeurs qui quatre ans auparavant brûlaient leurs disques de Chic se retrouvant à danser sur des plans disco! (rires)

Le disco, il y en a aussi dans un titre comme Stand On The Horizon. La dance music est toujours aussi importante à vos yeux?

A.K.: Oui. Je pense toujours qu’on est un groupe dance. Au moins autant qu’un groupe de rock. Peut-être même plus. C’est marrant parce qu’aujourd’hui le terme dance music implique quasi forcément une musique créée par des synthés et des sequencers. Merde! On n’a pas attendu ça pour faire des disques « dance ».

Au final, quelle est la plus grande méprise au sujet de Franz Ferdinand?

A.K.: Cela revient moins ces derniers temps, mais il y a un moment où l’on nous décrivait systématiquement comme un groupe post-punk. Bullshit! Qu’est-ce que cela veut dire?!

Cela peut faire sens: un groupe rock qui fait danser…

A.K.: OK. Mais cela ne signifie pas qu’on est un énième revival post-punk. Le truc, c’est que cela arrangeait pas mal de journalistes d’un certain âge qui ont vécu le post-punk quand ils étaient jeunes, début des années 80. Ils pouvaient apprécier notre musique, mais en même temps la rabaisser en la limitant à un revival. Fuck! Je ne fais pas de revival, je fais ma propre musique! Je vais vous dire un truc: ce groupe, là, Gang of Four (l’un des groupes phares de la mouvance post-punk anglaise, ndlr), je ne peux pas encadrer ces mecs! Toute cette posture soi-disant politique, ces chansons en forme de « commentaires sociaux »… Quand ils se sont reformés au milieu des années 2000, ils n’arrêtaient pas de la ramener: genre, « oui, on a écouté Franz Ferdinand, mais on faisait déjà ça il y a 20 ans… » N’importe quoi! Je n’ai jamais entendu un seul morceau de Gang of Four avant qu’ils ne clament nous avoir influencés. Fuck!

Franz Ferdinand « Right Thoughts, Right Words, Right Action »

Franz Ferdinand:
© Domino

« Come home/Practically all is nearly forgiven. » Dès les premiers mots de Right Action, qui ouvre l’album, Franz Ferdinand met les choses au clair. Plus question de ressasser, de ruminer. Après l’emballement initial (deux albums en deux ans), puis un Tonight: Franz Ferdinand manquant un peu de souffle, les Ecossais ont fait le ménage, se sont donné un peu d’air. Résultat: leur art de trousser des bombinettes rock a retrouvé de belles couleurs. Le terrain de jeu est connu, mais les combinaisons épatent à nouveau, alliant fluidité et tactiques savantes. Tranchant (Evil Eye), beatlesien (Fresh Strawberries), funky (Stand on the Horizon), ou plus contemplatif (The Universe Expanded): c’est quasi dans le mille à chaque fois. Bien joué.

DISTRIBUÉ PAR DOMINO. 8/10.

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