Festival d’Avignon: tourments et légèreté

A 30° météo, Avignon est tempéré. Des spectacles passent, certains surprennent comme Jan Karski ou encore Life & Times et Éloge de l’oisiveté…

Les rues bondées jouent les habitudes: les touristes sont accostés par les artistes du off qui « tractent » en flyers et saynètes. Car, il faut absolument ressortir de la masse du off, plus de 1000 spectacles! Certes, le bon off existe mais méchamment noyé par des titres nazes: Les Cruellas, Comment élever un ado d’appartement, Je cherche un millionnaire pour manger des z’homards, Faire l’amour avec un Belge, Vendredi ravioli… No comment.

Coté in, on a pris en marche la 65ème édition du festival, concoctée avec le chorégraphe Boris Charmatz, artiste associé qui ouvrait le festival avec Enfant, près de 30 enfants sur scène jouant les « victimes puis bourreaux » des adultes. Pas vu mais jugé intéressant par beaucoup. Une chorégraphie « dérangeante » à découvrir au prochain KunstenFestivalsdesArts. Cette année, pas mal de spectacles filent sur le thème de l’enfance.

Life and Times

Ainsi, à minuit, couverture et cagoule, on assiste à l’ovni signé de la troupe Nature Theater of Oklaoma (connue du Kaaitheater), qui présente ici leur Life & Times (chroniques d’une vie), épisode 1 et 2. Ce projet fou est conçu par les artistes américains Kelly Copper et Pavol Liska à partir d’un entretien téléphonique de 36 heures avec une jeune femme racontant sa vie comme on papote au téléphone. Un texte balancé tel quel avec ses flopées de « Hum, you know, etc. ». L’épisode 1 – 3h sur la petite enfance – a apparemment gonflé le public, nous, on a eu le meilleur, l’épisode 2, chronique de la préadolescence. Le voyage est pétulant dans les tourments d’un gamine obnubilée et stressée par le baiser, les garçons, les seins, les fringues, la popularité à l’école, les copines, la découverte du rock ou, plus choc, des PLAYBOY du père! Mais le spectacle tient par sa forme inédite: une comédie musicale, en anglais, très « gym tonic » qui sublime ces anecdotes pré-pubères. Sur scène, une bande, cinq filles et un garçon, tous en jogging flash et basket assorties, se partagent le récit chanté dans une chorégraphie ultra-basique, boostés par une boite à rythmes très années ’80. Du sitcom à la comédie musicale « minimaliste et kitch », Life & Times est une création savoureuse, rigoureuse sous son côté déjanté. A voir au Kaaitheater à Bruxelles, au DeSingel d’Anvers et au Vooruit à Gand, la saison 2011-2012.

Comédiens d’exception

Loin de l’événement Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker, à 5h du mat’ en Cour d’honneur (lire par ailleurs), « l’exceptionnel », on l’aura vécu, avec le comédien français Laurent Poitrenaux dans Jan Karski de Yannick Haenel, mis en scène par Arthur Nauzyciel. Jan Karski est un résistant polonais catholique qui tenta de délivrer le message (l’extermination de juifs d’Europe), que lui ont confié deux juifs du Ghetto de Varsovie. A peine entendu par des Alliés indifférents, il va poursuivre sa vie dans le silence et ses fantômes, à raser les murs de sa propre vie. Il finira par témoigner dans Shoah, le film de Claude Lanzmann. Mon voisin verse une larme. Nous, on reste ébloui par Laurent Poitrenaux, élégant en costume terne, ébaudi à raconter la fin de l’Humanité, dans une intériorité de la parole et un déplacement du corps, tous deux d’une densité lente, époustouflante. Comédien d’exception sur le fil de l’émotion-réflexion: moment rare et précieux.

Du côté des Belges, on retiendra la prestation de Dominique Rongvaux dans Eloge de l’Oisiveté qui fait salle comble à 16h30 au Théâtre des Doms de la Communauté Wallonie-Bruxelles. Dans une espèce de conférence décalée, il se glisse avec une aisance impressionnante dans les mots du philosophe Russell sur la (fausse) vertu du travail. Avec un humour fin et trois fois rien, il y mêle sa biographie de jeune diplômé en management quittant le monde de l’entreprise pour le théâtre. Au détour, il partage des extraits de Denis Grozdanovitch dans L’Art difficile de ne presque rien faire. « Propre » comme un gars de bonne famille, sérieux avec humour retenu, Dominique Rongvaux nous offre – « tranquille » -un Eloge de l’oisiveté, subversif sous une apparence drôle et savoureuse de philosophie partagée. A revoir à Bruxelles, au Théâtre des Martyrs, cet automne.

Spectacle-sieste

Enfin, Avignon, ce sont des centaines de rencontres politiques, intellectuelles, artistiques, amicales ou tout simplement inattendues, notamment avec des artistes belges. On s’est fait ainsi embarquer dans Le Bazar des organes d’Isabelle Wery, un texte commandé et interprété par une troupe française de Lorraine (où joue l’auteure). Une petite salle pour une douzaine de spectateurs conviés à une… sieste. Nous voilà donc couchés en étoile, serré-serré, avec des inconnus, pieds nus, pour un texte qui égrène nos organes dans un hommage goulu au corps (marque de fabrique d’I. Wéry). Le tout baigne dans un joli bric à brac d’instruments où un sèche-cheveux côtoie une guitare basse. 35 minutes. Au réveil, c’est… apéro avec les artistes.

À Avignon, tout se mélange: le jour à la nuit, les spectacles à la vie, les tourments à la légèreté, la sieste à l’apéro, le soleil à la pluie, la mini jupe au K-Way… Surf in the city.

Nurten Aka

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