FAUVE ≠ qui peut

FAUVE ≠ © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Fameux avant son premier et nouvel album complet, Vieux frères – Partie 1, le collectif parisien Fauve impressionne par un spoken word pétroleur, même si le pari de rester « anonyme » paraît enfantin. Rencontre parisienne.

« Non, pas de photo, non non, même pas de dos. Il existe des images que l’on vient de faire à destination de la presse, et franchement, on préfère en rester là. » Même si l’on connaît plus ou moins les noms des protagonistes -Quentin Postel, Pierre Cabanette, Simon Martellozo, Stéphane Muraire, Nicolas Dardillac-, le noyau de Fauve face à nous exprime d’emblée l’irrépressible envie d’être une chose globale et anonyme. « Au début (vers 2010, ndlr), on laissait faire les photographes professionnels à nos concerts en leur demandant de ne pas prendre les visages. Ils disaient oui oui et le lendemain, on était en gros plan dans les journaux. Et puis Le Monde a publié des images où l’on nous reconnaissait. » Vu que les visages de ces jeunes gens de 26 à 30 ans ne sont pas inconnus d’Internet -les fans sont libres de photographier en concert…-, à quoi bon perpétuer ce secret éventé? Celui qu’on appellera Frère n°1, chanteur, précise: « Au début, on était déjà réfractaires à l’idée d’être identifiés, mal à l’aise avec la projection d’une image, mais on a laissé faire. Aujourd’hui, on est beaucoup plus chiants là-dessus, même si nos parents ou notre grand-mère peuvent difficilement prouver à leurs relations qu’on est connus (rires). On aime cette idée de nier l’individualisation, c’est une conviction profonde, pas un truc esthétique ou publicitaire. Faut chérir cette discrétion et la protéger même si on passe pour des casse-couilles, des connards (sic) ou des autistes. »

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Dans le resto asiatique de Ménilmontant, Fauve précise le « Corp » parfois accolé à son nom, citant les Peace Corps, ces volontaires envoyés prioritairement hors des Etats-Unis, et à l’autre bout du spectre collectif, le crew Wu-Tang Clan… Peut-être une façon d’apparenter une musique à la fois physique et virevoltante, sur laquelle se greffent des cargaisons de syllabes giclées. Comme sur l’album Vieux frères – Partie 1 (lire la critique du disque) où Frère n°1 les récite, les expurge, les propulse comme des enfants sales, davantage qu’il ne les chante, même si à l’un ou l’autre moment, il quitte le strict parlando rageur (Infirmière). Restent ces paroles-slogans égrenés au coeur d’une rage boulimique: « suis-moi comme le choléra » (Voyous), « écoeuré par la montée des nouvelles tyrannies » (Tunnel), « maquisards, résistants » (De ceux) ou ce « conscience de petit(s) blanc(s) » (Lettre à Zoé). Décalés si on regarde les auteurs attablés autour de nous, jeunes gens fort propres sur eux qui ont fait des études de droit ou la Fac d’Eco. Frère n°1: « On est peut-être des ados attardés, mais notre démarche, qui part d’un constat pas très joyeux, s’inscrit dans un processus d’acceptation de soi, de retrouver une estime de soi. » Là encore, la volonté d’être un absolu collectif se heurte à une prosaïque réalité: c’est bien Frère n°1 qui écrit et interprète la majorité des textes, même si certaines phrases venant d’ailleurs (des fans) sont insérées au maelstrom communautaire. Et tout cela par des admirateurs des Nuits fauves, oui, le film scandaleux de Cyril Collard, sorti en 1992. « On était trop jeunes pour voir le film, mais tout le reste, le poster, la réputation, les images aperçues ci et là, nous ont marqués. Fauve est comme un jalon, un idéal régulateur, qui a rapatrié tous les sens de cette époque-là. »

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Frère n°2

Outre les textes crus déballés comme une liste pressante de matériel de survie émotionnelle, c’est bien le vecteur « vidéo » qui constitue le véritable carburant original de Fauve. Agréablement étranger aux esthétiques en cours, ce travail évoque une Nouvelle Nouvelle Vague où décalage, gêne, honte de soi, errance, pauvreté aussi -comme dans Voyou– pétrolent à tout cran. Alors que Frère n°4 et Frère n°5 mangent en silence la soupe aux nouilles, Frère n°1 explique la genèse de Blizzard, court-métrage qui voit les deux protagonistes principaux embarqués dans un road-movie à mobylette: « L’idée, c’est de raconter la peur pour l’autre. Un des deux mecs a la patate (sic), il tente tout pour tirer son compagnon de la mouise, quitte à le démolir pour voir s’il va vraiment se réveiller. Là comme ailleurs, on a regardé dans notre entourage qui avait envie d’y aller: un des deux acteurs était l’un de mes potes d’école, effectivement au chômage et un peu déprimé. » Pour boucler ce huit minutes d’anxiogène inspiration, les Fauve partent à sept dans une camionnette de Paris à Fécamp (Normandie) et filment l’épopée en Canon 5D. Là comme ailleurs, l’idée d’autarcie domine. « On part d’un constat pas très joyeux, on râle sur nous, tout en sachant que Fauve n’est pas le véhicule pour exprimer nos convictions politiques personnelles, précise Frére n°1. D’autant qu’on ne parle que de ce qu’on connaît, de l’affectif. »

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Arrivé à ce stade-ci de la soupe tonkinoise, on se rappelle aimer certains textes et leur façon de brûler les calories. On se demande aussi comment Fauve va pouvoir gérer ce soi-disant anonymat alors que le succès gronde tel un Bart de Wever à la porte graisseuse de Weight Watchers. Exemple de ce trémoussement potentiellement commercial, les quinze (!) dates complètes -au Bataclan parisien- soit l’équivalent de pratiquement trois Forest National… Cinq autres concerts au même endroit viennent d’ailleurs de s’ajouter. Alors, que faire de la célébrité et du fric? Frère n°2 -l’autre gars à lunettes- précise: « Fauve pratique son économie propre: on regarde toujours ce que l’on peut se permettre. Au Bataclan, le ticket coûte 23 euros alors que le prix habituel est au moins de 30. L’EP Blizzard s’est vendu 10 euros en magasin. On ne pratique pas une marge importante: pendant deux ans, notre situation a été difficile et là, on commence seulement à gagner notre vie. De toute façon, il y a toujours un décalage entre la notoriété et l’argent véritablement gagné. »

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