Fallait pas m’inviter, semaine 8: Romeo doit courir

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle et de l’art. Pour y découvrir des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça se poursuit ce vendredi. Avec un ballet, au Cirque royal.

J’étais vierge, niveau ballet. Déjà, parce que mon aspirateur me donne entière satisfaction. Oui, je sais. Au temps pour moi. Mais puisqu’elle devra tôt ou tard être élaborée, je préfère expédier cette triste vanne en début de texte. Voilà. C’est fait. Oui, je sais j’ai dit! D’abord, c’est ma chronique, j’en fais ce qu’il me chante. Je peux continuer? Merci! Bref, en somme, il est passé 20h ce jeudi soir et, sans craquer ses coutures, le Cirque Royal est joliment garni. J’adore cette salle. Le Cirque Royal, avec son demi-cercle un peu spartiate, est à Forest National ce que la Margharita est à la pizza quatre fromages: pas trop lourd, juste bien, le bon équilibre. Au menu du soir, justement, une petite incursion chez Kespire (comme quoi, il était totalement possible d’entrer en matière avec une vanne plus rance encore), dit communément Shakespeare, dit communément the king of l’exagération. Je m’explique.

De Romeo et Juliette, je ne connais pas, ou plus, grand-chose. Si ce n’est que l’histoire finit mal. Salement mal. Avec un paquet de suicides, faux puis vrais, jusqu’à ce que tout le monde y passe. Vive l’obsession. Qui se poisonne la tronche en premier? Qui s’harakirise dans la foulée? Plus aucun souvenir. Dans mes adolescentes années, j’avais pourtant loué l’intégrale du grand William à la bibliothèque municipale, pour faire semblant d’avoir envie. Mais ceux qui connaissent mon grand âge savent que ladite adolescence commence doucement à prendre la forme évanescente et disgracieuse d’un chat écrabouillé dans le rétroviseur: malgré les multiples relectures (cinématographiques et autres) de ce classique parmi les classiques, je ne me rappelle, à 20h23 ce jeudi soir, absolument plus si, sur sa carte d’identité, y’a marqué Juliette Montaigu ou Juliette Capulet. PAR CONTRE. Grâce au programme trilingue distribué en échange d’un billet de 5 euros, j’apprends que notre chère Juliette, qui va quand même, si je ne m’abuse, s’enrouler à un moment donné avec Romeo, n’a que 13 ans! Willy, tu dérapes… Heureusement qu’il est là d’ailleurs, le programme. Je m’explique.

C’est un ballet = pas une parole. Pas un mot d’explication. Juste du mime de visage, des grands gestes, des collants, des costumes, des virevoltes, des sauts chassés. Pas une parole. J’oubliais: au commencement, il y a le Moscow City Ballet, en visite à Bruxelles pour cinq représentations. Et pas uniquement pour Romeo et Juliette, puisque la compagnie a également rapatrié ses costumes du Lac des Cygnes (2, 3, 4 et 5 décembre) et de Casse-Noisette (4 décembre), histoire de montrer à quelle point elle est polyvalente. Ici, on a Shakespeare au scénario, Prokofiev à la B.O., et Victor Smirnov-Golanov à la direction artistique: admets que l’association a de la gueule, même si Victor Smirnov-Golanov pourrait, dans ma culture gruyère, fort bien être un alpiniste (de toute façon, il est russe, il doit certainement maîtriser). Cela dit, quand le rideau s’ouvre sur le Cirque Royal, c’est la première fois que j’assiste à un spectacle de danse. Et deux constatations d’entrée: 1) le concept a bel et bien quelque chose de scotchant 2) accroche-toi pour capter l’intrigue. Pas une parole. Pas un sous-titre. Juste des intentions, des conversations corporelles. En clair: faut aimer voir d’autres gens danser. Et aimer la musique classique. Ah oui, troisième constatation: assister à un ballet après une harassante journée de boulot, en venant du froid tout mouillé de la rue, c’est compliqué. Je m’explique.

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Compliqué parce que je ne parviens pas à rester éveillé. Malgré l’émerveillement. Ou plutôt la douce fascination que me procure ce monde en costumes, dans ses chorés réglées comme les coucous d’une horloge suisse. Je lutte, tout le premier acte, pour respecter les artistes. Malgré l’incroyable minutie de la mise en scène, qui permet de se concentrer sur n’importe quelle danseuse, sur n’importe quel danseur, chacun évoluant dans un monde à la fois individuel et foncièrement organique. C’est beau. C’est élégant. Mais je suis vraiment cassé. Sale journée derrière. A l’entracte, un bar à champagne. Pas le moment. Me faudrait plutôt tout le café du thermo. L’acte 2 ne manque pas de punch, heureusement. Les Capulet et les Montaigu n’ont pas l’air bien urbains les uns envers les autres. Sauf Romeo, qui roule d’énormes galoches à Juliette (13 ans, je le rappelle), tout en continuant à sautiller dans son collant blanc plein de cuisses. A côté, une petit fille, à sa mère: « C’est canon! » Il faut le vivre, de fait, cet opéra sans chanson, ce film muet en couleur, cette farandole de grâce. Je suis rassuré. Je m’explique.

J’avais la crainte, en arrivant, d’être totalement laissé sur le bord de la route. D’être hermétique. De ne rien y comprendre. Et je n’ai pas tout compris. Malgré mes absences, le spectacle de ces grappes de danseurs virtuoses m’aura touché, émotionné même vers la fin, quand Juliette, malgré ses 13 ans, se plante un couteau dans le coeur. Rien à faire aussi, La Danse des Chevaliers, l’un des tubes de Prokofiev, fait frissonner: l’alliance de la musique et du geste a quelque chose d’absolument désuet, mais d’en même temps très immédiat. Quelle phrase toute creuse. On voit qu’il est 3h21 du matin. Et qu’il est temps de se laisser. Quant au ballet, je reviendrai. Quand je serai plus en forme.

Guillermo Guiz

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