Extorquer le pigeon, flatter la pouffitude

Bilan du week-end de Pentecôte: 7 terrasses, 3 plats avec des frites, trop de pastaga, ronfle-ronfle, ambiance Dikke Willy en vacances. Sous le soleil, toutefois, une conversation sur les discothèques. Sortie de route, track #32.

Il faut s’entendre sur ce qui rend une discothèque meilleure que les autres. Il faudrait des critères objectifs mais avec des critères objectifs, on ne va pas forcément loin dans ce genre de réflexion. Objectivement, à niveau européen, les meilleures discothèques, la meilleure vie nocturne, c’est en été, dans les stations balnéaires du pourtour méditerranéen et adriatique: décors pharaoniques, lasers déments, sonos de dingues, public hétérogène, ambiance paillarde. Sur base de quelques critères pourtant à priori pertinents et neutres, on en viendrait donc très vite à un résultat d’enquête où Berghain et Fabric seraient à égalité, voire même en position de faiblesse, par rapport à l’un ou l’autre Macumba Club ou Starlite Dance Tempel de Torremolinos ou Rimini. Ce sont là essentiellement des critères de revues professionnelles de l’horeca et de devis d’équipementiers. Si l’on devait suivre ceux-ci, nous du public, je pense sincèrement que nous aurions devant les yeux la meilleure discothèque du monde, nous ne nous en rendrions tout simplement même pas compte!!!

Il y a 30 ans, le Mudd Club new-yorkais a coûté 15.000 dollars, de nos jours, de quoi à peine payer le mobilier. Pourquoi est-il devenu légendaire et d’une certaine façon considéré comme l’un des meilleurs clubs de l’histoire? Réponse évidente: le Mudd Club ne s’est pas contenté d’être simplement un établissement de nuit à l’investissement minimal. Son aura a imprégné la culture, la société. Au Macumba et au Starlite, on danse, on s’amuse, on rit et puis, on rentre baiser. Au Mudd Club, la même chose, mais en étant confronté de plein fouet à une culture qui peut drastiquement changer une vie, par extension, influencer la société. Le voilà, le critère primordial, selon moi, pour désigner et définir une meilleure discothèque que les autres: il faut qu’existe la possibilité que l’on ressorte de là bien différent qu’au moment d’y entrer. Bouleversé, transfiguré. Que les quelques heures passées là-bas puissent relever de l’expérience élévatrice, « mystique », plus que de la simple consommation.

Une constante, c’est qu’à la direction artistique des discothèques considérées comme exceptionnelles, il y a souvent sinon de véritables freaks du moins des mecs avec une vision. Mégalomane, libertaire, aventurière, rebelle, esthétique, révolutionnaire… Une vision. Une autre constante, c’est que pour marquer véritablement l’histoire culturelle, un club a tout intérêt à participer à l’essor d’une musique novatrice. Le Mudd Club avait le punk, d’autres le disco, l’acid-house, le hip-hop, la new-beat, la techno. Des musiques à l’origine plutôt radicales. Or, le radicalisme, ça ne dure jamais: dès que les oreilles d’une masse critique s’y sont amadouées, il devient même totalement ringard.

C’est pourquoi quand une discothèque transfigure son public, c’est généralement sur une période donnée. Ce qui se passait par exemple au Fuse en 1994 a transformé des vies, donné naissance à des vocations, émancipé des personnalités. Cela n’a pas duré, tout au plus quelques années, peut-être même quelques mois: 1994-1996 pour sûr. Après… Si la techno n’avait pas rencontré son public, servi de bande son à une révolution des mentalités, cela n’aurait pas fonctionné de la même manière et dès que la techno est devenue une habitude en Belgique, c’était fini: de lieu où expérimenter ses limites, le Fuse est redevenu un simple établissement horeca. Un bon établissement horeca. Un lieu où danser, s’amuser et rire, avant de rentrer baiser. Bref, un Macumba. Un Macumba d’un genre particulier mais un Macumba quand même.

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Avons-nous aujourd’hui quelque part en Europe autre chose que des Macumba en tous genres? On a de bons gestionnaires, de bons communicateurs et de très mauvais journalistes soi-disant spécialisés. Ce qui fait des conditions idéales pour se la péter rois du pétrole quand on tient juste bien sa pompe sur une route secondaire. Je ne dis pas ici qu’il ne se passe rien, que le clubbing est mort. J’avance simplement qu’il s’est fait plus confortable, ces dernières années, moins aventureux, moins générateur de mystique. Qu’il est à nouveau très orienté clientèle: une musique qui plaît sans effort, le cirque VIP qui courtise le beauf, le DJ invité qui se fait prestataire de service plutôt que diable sorti de sa boîte. Ce n’est pas la première fois que cela arrive et cela peut très vite changer: un disque, une drogue, une mode, un mouvement. Ou alors une direction artistique un peu wild, un DJ un peu frappé et le pire bouiboui devient du jour au lendemain un endroit miraculeux. N’en demeure pas moins qu’après les années rave et la lente agonie de l’esprit house nation égalitaire et partageur, trop de discothèques sont de fait revenues aux fondements de leur core-business: extorquer le pigeon, flatter la pouffitude.

Serge Coosemans

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