Serge Coosemans

Et le Darwin Award de la fossoyeuse de la nuit bruxelloise de la semaine va à…

Serge Coosemans Chroniqueur

L’arrêté relatif à la diffusion de la musique amplifiée que mijote la ministre Huytebroeck fait jaser le milieu de la nuit bruxelloise. Encore un peu en vacances, notre chroniqueur aborde le dossier selon ses propres critères et en tire pour le coup une analyse quasi libertarienne. Sortie de route, S02E17.

Vu au pif, le fameux arrêté relatif à la diffusion de la musique amplifiée dans les établissements publics qui mijote en ce moment même au cabinet de la ministre bruxelloise Evelyne Huytebroeck n’a pas l’air de présenter grand-chose de neuf sous la boule à facettes. C’est un vieil arrêté royal de 1977 que la mandataire Ecolo entend dépoussiérer, notamment en prévoyant davantage de contrôles de terrain et en proposant des mesures à priori irréalisables. Paternalizmus und kontrol, il en faut rarement plus pour braquer les habitués des discothèques, des bars et des salles de concerts; milieu il est vrai par essence très libertaire. Voilà donc que l’on reparle d’Ecolo comme d’une belle bande de Khmers Verts et qu’Huytebroeck est suspectée d’être la réincarnation peroxydée de Pol Pot de Donnéa. Champagne, on tient la fossoyeuse de la nuit bruxelloise de la semaine!

La problématique du bruit dans la société moderne n’est pas une mince affaire. J’ai tenté de me documenter à ce sujet et je n’ai absolument rien compris à ce que j’ai lu. Ce que j’en retire, c’est que même si le seuil de douleur, les risques auditifs et les effets physiologiques du son varient d’une personne à l’autre, les conséquences néfastes du bruit sont scientifiquement avérées et indiscutables. Cela n’empêche pas beaucoup d’acteurs de la nuit d’y trouver matière à polémiques. Faut dire ce qui est, le noctambulisme est un secteur d’activités bien pourvu en abrutis. Le DJ qui détraque le matosse parce que son feeling prime sur la fiabilité des machines, les patrons fiers de leurs installations aussi onéreuses que totalement merdiques, les responsables de salles incapables de mettre le fil bleu sur le bouton rouge… A ces flèches, il est inutile de tenter d’expliquer que le décibel est une unité de grandeur sans dimension correspondant à un dixième du logarithme décimal du rapport entre deux puissances. Ni que dans certaines circonstances, 103 dB est le double de 100 dB. Autant essayer d’analyser la fin de Lost sur Twitter, en 140 caractères. Attention, je ne cherche pas ici à insulter qui que ce soit. Je me considère même comme faisant partie intégrante de ce bien beau lot de débilosses, puisque moi non plus, je ne comprends rien à tout cela. 100 dB x 2 = 103 dB? Huh?

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Pour tenter de limiter cette connerie, cette irresponsabilité même, Evelyne Huytebroeck entend donc lutter contre le son trop amplifié. On peut supputer ses dossiers validés par des experts, des acousticiens, des médecins. L’ennui, c’est que la ministre ne se contente pas d’une grande campagne d’information, elle entend aussi agir et cela, je trouve, en ratant pas mal le coche. Très sérieusement, je pense que l’on devrait prendre les mêmes précautions par rapport au bruit du monde de la nuit qu’avec les clopes, l’alcool, la drogue et le sida. Délivrer une information précise, maximale et indiscutable, sans le moindre jugement moral. Informer sur ce qu’est véritablement le son, quels en sont les dangers, quels volumes peuvent nuire à la santé. Il n’y a pas quinze ans, on se foutait royalement de la gueule de ceux qui sortaient avec des boules Quiès dans les oreilles. Aujourd’hui, c’est quasi le contraire. Comme quoi, l’info, la prévention, la sensibilisation, ça a l’air de bien marcher. Par contre, quand Huytebroeck parle de l’obligation d’aménager des zones de repos à 80 dB bouffant un tiers de la superficie totale d’une discothèque, c’est tout simplement ridicule. Ceux qui veulent du boucan n’iront jamais se perdre dans ce carton d’oeufs géant et ceux qui n’en veulent plus n’ont qu’à sortir prendre l’air. Sans compter que 80 dB, c’est 100 personnes éméchées qui parlent entre elles…

Quand on lit sur le bruit, on tombe sur des trucs qui relativisent pas mal les grandes envolées luddites Ecolo. Dans son encyclopédie, Pline l’Ancien (23 à 79 après Jésus-Christ) mentionne ainsi que ses contemporains qui vivaient à proximité des chutes d’eau avaient tendance à devenir sourds plus vite que les autres. Le pire boucan jamais perçu par une oreille humaine n’est ni un concert de U2, ni de Faithless, mais bien l’explosion du volcan indonésien Krakatoa, fin août 1883, feu d’artifloche qui s’entendit à 5000 kilomètres à la ronde. Aujourd’hui, il semble sinon acquis que les pires souffrances découlant du bruit naissent de l’exposition quotidienne au transport urbain et de la proximité des aéroports. On a dès lors un peu de mal à ne pas penser que c’est assez facile de s’attaquer au boucan généré par le milieu de la nuit alors qu’il ne représente pourtant qu’une marge de la problématique globale. Imposer des restrictions drastiques et des descentes de police à un secteur toujours perçu par une majorité d’électeurs comme étant celui des poivrots, des semi-maffieux et des empêcheurs de ronfler en rond, voilà bien un petit combat politique largement moins ardu que d’aller encore chicaner les nuisances bien davantage quantitatives des grosses firmes aéroportuaires et des entrepreneurs routiers. C’est d’autant plus politiquement problématique que lorsqu’on y pense, les salles de concerts, les bars et les discothèques sont aussi à peu près les seuls endroits au monde où le boucan relève du pur plaisir. Les gens recherchent ce tapage et payent pour se le voir délivré dans les oreilles. Ce n’est pas le cas avec les avions, les autoroutes, les volcans, ni les chutes d’eau.

Effectivement, il se fait que la musique n’est pas qu’un plaisir intellectuel. Dans le métal, dans la techno, dans la drum & bass, chez Motörhead, les Who, Gang of Four, Spiritualized, Leftfield, My Bloody Valentine ou encore Meat Beat Manifesto, le volume sonore élevé fait partie du projet artistique. Chez beaucoup d’autres, cela relève surtout de l’incompétence technique et d’une attitude irresponsable mais ce n’est pas une généralité. La musique peut tenir de l’expérience immersive et physique et il faut un seuil sonore élevé pour le permettre. Si on interdit cela, si on astreint ces artistes à une certaine normalité, on fait tout simplement disparaître une couleur de la palette de l’expérience humaine. Loin de moi l’idée de minimiser les risques d’acouphènes et de surdité partielle, mais vus qu’ils sont aléatoires d’une personne à l’autre, imposer une limite au son, c’est au fond comme interdire les sauces riches et le vélo sans casque, y compris aux coeurs en parfaite santé et aux cyclistes d’appartements. C’est le verboten général de facilité, la solution feignasse qui bride la liberté et le plaisir individuels plutôt que d’informer au mieux les gens afin qu’ils décident eux-mêmes en parfaite connaissance de cause si la potentielle dangerosité d’une expérience sonore amplifiée apporte ou non quelque-chose à leurs vies. Je n’ai personnellement rien contre Evelyne Huytebroeck mais je ne lui reconnais aucune légitimité à décider de l’avenir de plaisirs et d’envies qui me sont personnels. Cette bonne dame n’a pas à me paternaliser, ni à me pasteuriser le quotidien. Nous sommes entre adultes consentants et en boîte, quand ça doit péter, on veut que ça pète. C’est tout et cela reste de toutes façons nettement moins pétaradant que le décollage d’un avion cargo à 6 plombes du mat ou une déferlante de 200 bagnoles la minute sur un Ring à 12 bandes. En somme, il s’agirait de ne pas vouloir réguler de façon similaire le seul type de bruit recherché pour le plaisir qu’il procure et le genre de nuisances sonores que personne ne penserait à contester. Sous peine de plantage politique olympique.

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