Serge Coosemans

Est-ce qu’un Blouson Noir s’inscrit aux Croisières Age Tendre & Tête de Bois?

Serge Coosemans Chroniqueur

Le temps d’un apéro avec de jeunes clubbeurs de 25 balais, notre chroniqueur fait le grand écart entre Carl de Moncharline et le féminisme. Animaux de zoo d’un côté, bête de cirque de l’autre, leurs vues étaient sans doute incompatibles. Sortie de route, S02E24.

Je prends l’apéro en compagnie de jeunes clubbeurs de 25 balais et lorsque, « sans indiscrétion », ils me demandent mon âge et que je leur donne, ces fervents du Wood en concluent que je suis un contemporain de Carl de Moncharline. Ils me posent plein de questions sur son passé. Est-ce que je le connais? Oui, de loin. Est-ce que je l’apprécie? A titre personnel, pas du tout. Ses events, ça dépend desquels. Est-ce qu’il a toujours été « grave »? Oui, du moins, si « grave », c’est commencer sa carrière en enfonçant de petits drapeaux belges accrochés à des cure-dents dans des crottes de chien. Ils n’en croient pas un mot, estiment que c’est surtout mon humour qui est « chien ». Je concède que je ne suis plus vraiment certain que c’était vraiment Moncharline qui faisait le truc avec les petits drapeaux sur les cacas de toutous. Par contre, la piste tournante au Mirano, –« C’est sans aucun doute grâce à lui que le dancefloor ressemble depuis à un Poney Club. » Ça ne les fait pas vraiment rire. Eux, aiment bien l’idée de cette piste tournante, « c’est un truc de malades », « ça permet de mater les bonnes ». Comme un présentoir à tartes, en gros, je dis. Ils se marrent mais ne trouvent pas cela très respectueux. Hahaha, on pourrait se lancer dans un débat féministe.

Tandis que l’on déblatère, les kékés matent sur Facebook les photos de l’un des profils publics de Carl de Moncharline. Verdict: « il s’amuse toujours ». Il fait des « trucs oufs ». Il sort « des bonnes meufs ». Continuer de s’amuser la quarantaine venue, voilà une idée qui divise la petite clique. Certains la trouvent plaisante, plusieurs estiment toutefois cette possibilité carrément effrayante. Moncharline, c’est son business et moi, j’écris là-dessus, donc ça leur reste acceptable que l’on sorte encore en boîte malgré nos dates de naissance d’il y a très très longtemps, dans une galaxie très très lointaine. Il y a tout de même un de ces gusses pour m’avouer que si à 40 balais, il n’a ni femme, ni maison à crédit, ni enfants, et continue la nouba irresponsable, il considèrera sans doute avoir raté sa vie. C’est moi que ça effraye. Ce conformisme, le Cauchemar climatisé d’Henry Miller. Je tiens cette mentalité pour responsable de la grisaille du pays, bien davantage que la météo ou la politique. A 40 ans, il sera peut-être divorcé, sa maison saisie et ses enfants affiliés aux Jeunesses MR. Ca ne l’empêchera pas d’éventuellement toujours s’amuser, peut-être même de se découvrir des ressources insoupçonnées dans la légèreté de vivre. Je le pense mais je m’autocensure. D’autant que si je voulais être parfaitement honnête avec ce gamin, il me faudrait ajouter qu’à voir tout ce qu’il se fout dans les narines et binge-drinke comme immondices liquides (du prémix en cannette, du bourbon du Lidl, des bières polonaises de clochards…), je ne suis même pas certain qu’il sera, la quarantaine venue, encore en état de faire quoi que ce soit. Rire du cancer, ça non plus, ça ne lui paraîtrait pas très respectueux. Je m’abstiens donc.

La bouillie deep-house qui sort des baffles n’aide pas à la conversation suivie et, comme beaucoup de représentants de la Génération Y, mes camarades d’un soir ont cette manie de suivre vaguement ce que je raconte, vaguement ce qui se passe sur les iPhones et vaguement ce qui sort des multiples fenêtres Facebook sur l’écran télé relié à l’ordinateur. Ça fait beaucoup de vagues, donc de flottements, et il y a des doses massives de ritaline qui se perdent. Vu que je critique la musique qui passe, ils me demandent ce que je « kiffe comme son ». Moi qui n’ai des substances illicites qu’une expérience très limitée, j’adore la musique de drogués, la plus extrême possible. Eux qui se défoncent trois nuits par semaine semblent ne pas connaître grand-chose en dehors d’un boumboum aussi inoffensif qu’une chanson de Marc Lavoine. Je leur parle d’acid-house. C’est rétro. En me demandant si je vais à des soirées rétro, on frôle l’incident diplomatique. Est-ce qu’un Blouson Noir s’inscrit aux Croisières Age Tendre & Tête de Bois? Est-ce qu’un punk de l’Agora sort au Nostalgia? Je leur fais le coup du « what happened in Boccaccio stays in Boccaccio » mais ils ne sont pas certains de savoir ce qu’était réellement le Boccaccio. « Une boîte où tu entrais le jeudi soir pour ressortir le lundi matin. » Le Berghain, donc? Oui, mais à Gand. Berlin n’a rien inventé.

Ils ne comprennent rien à mes histoires de coeur. Moi non plus, d’ailleurs. Ils sont plus malins que Derrick mais moins que Colombo: « il te faut une gonzesse comme toi, qui aime les mêmes choses, sortir et s’amuser. » Non, Padawan, je tombe amoureux de personnalités, pas de hobbys, et si ta vie de couple se limite à regarder ta femme s’habiller, se défoncer, danser et dormir, bonjour le destin d’Hannibal le Cannibale. Là, on décrète que je suis un poil cynique. Que c’est mieux une meuf qui sort et tape un peu de coke qu’une qui ne prend rien et soit jalouse dès que tu vas en boîte avec tes potes. On frise décidément le Nobel de Féminisme. Ils me proposent de la défonce, s’attendant visiblement à ce que je fasse des cabrioles comme un caniche à qui on souffle de la fumée de joint en travers de la truffe. Je refuse poliment, sans leur dire qu’à vue de pif, justement, leur truc, c’est le Bicky Burger de la dope, que je les pense dès lors capables de s’aspirer de la poudre à lessiver mélangée à du jus de chaussette sans y trouver à redire. Je les dépeins ici comme d’aimables andouilles mais à vrai dire, à degrés variables, ils sont plutôt ouverts, éveillés et sympas, ces types. Jeunes mais désinhibés, certains ont déjà vécu plus que je ne vivrai jamais et d’autres ont juste une grande gueule avec pas grand-chose pour la tenir ouverte. Tous ont été à Ibiza, fréquentent avidement Tomorrowland et les festivals d’été. Clients du loisir industriel, je les observe comme j’observerais des animaux au zoo et eux me voient plutôt comme un vieil animal de cirque, irrécupérable ado pourtant né quasi en même temps que leurs parents. Des jeunots qui rêvent de baraques et de chiards. Un vioque qui finira sans doute par écrire des pamphlets misanthropes dans un monastère bouddhiste. Vient forcément un moment où l’on n’a plus grand-chose à se dire, où la suite logique, c’est d’aller se perdre sur un dancefloor, dans nos bulles respectives. Il est 3 heures du matin, leur soirée commence vraiment. Moi, je vais me coucher.

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