Laurent Raphaël

Édito: La mère monte

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On en a tous une, même si on ne la connaît pas toujours. Depuis que le cuir des bonnes moeurs s’est assoupli, certains en ont même deux, voire trois pour l’enfant adopté d’un couple homosexuel. Jusqu’à preuve scientifique du contraire, la mère reste le relais exclusif de la vie.

Une sacrée dette biologique pas toujours facile à porter d’ailleurs pour la progéniture. Et source d’intenses conflits de conscience. Car même celui qui aurait préféré ne jamais voir le jour, et a donc des raisons de lui en vouloir, se sent redevable envers cette figure maternelle qu’on ne pourra jamais détester complètement.

Les premières années, on vit affectivement à ses crochets, jusqu’au moment crucial de franchir le col du complexe d’OEdipe théorisé par Freud pour accéder à cet autre versant pas toujours ensoleillé de l’existence qui marque le début de l’indépendance et de l’autonomie. Mais on n’en aura pas fini pour autant avec ce parent. Cimenté dans le liquide amniotique, le lien qui unit une mère à son enfant résiste à toutes les formes d’agression. Même loin des yeux, ce sera toujours proche du coeur, dût-il saigner abondamment à cause d’un dysfonctionnement chronique. Du genre de celui qui pourrit la vie du « couple » explosif dans Mommy de Xavier Dolan.

Rien d’étonnant dès lors à ce que cette figure obsédante infuse régulièrement la fiction (d’Albert Cohen avec Le Livre de ma mère à Arno avec Dans les yeux de ma mère), et avant cela la mythologie, éclusant tout l’éventail des mères répertoriées, de la castratrice à la protectrice en passant par la défaillante, la juive, la poule, la dévorante, la complice, la dévolue, la martyre, la sainte, voire la pute. Tout part d’elle et tout converge vers cette matrice obsédante, église au milieu de notre village intime. Les artistes, hommes et femmes confondus, la remettent constamment sur le métier pour lui tirer leur chapeau, pleurer son absence ou simplement baliser les nouveaux contours de cette maternité à géométrie variable. Parfois ce sont les mères elles-mêmes qui prennent la parole pour, par exemple, fouiller ce sentiment maternel qui ne va plus de soi et peut même devenir à l’occasion un fardeau, un sujet brûlant qui irrigue le roman Un heureux événement d’Eliette Abécassis. Le thème universel de la mère ressemble à un volcan qui ne s’endort jamais, il connait juste des périodes d’accalmie. Entrecoupées d’éruptions soudaines, comme en ce moment si l’on en croit le sismographe de l’actualité culturelle.

Dans le Focus de ce vendredi, on la retrouve sanctifiée dans la bouche d’Anderson .Paak, qui la place au même niveau que Hendrix, Prince ou les Beatles au rayon de ses sources d’inspiration. Elle est aussi cet aimant, dans les deux sens du terme, vers lequel est irrésistiblement attiré le chanteur Bill Ryder-Jones. Et elle est encore présente au coeur d’un dialogue artistique fécond au Bota initié par Vincent Glowinski.

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Même déferlante de lave maternelle en fusion ailleurs. L’une règle ses comptes, partagée entre amour et haine pour cette mère coupable de n’avoir pas vu ou voulu voir l’horreur de l’inceste (Christine Angot dans le très autobiographique Un amour impossible), une autre la ressuscite dans un film matelassé de tendresse humaine pour se consoler de sa disparition (No Home Movie de Chantal Akerman), une troisième l’extirpe du purgatoire à la faveur d’une enquête réhabilitant la femme libre et courageuse derrière la criminelle (Une allure folle, le nouveau roman d’Isabelle Spaak).

La mère est l’objet de toutes les attentions, dernier refuge dans la tempête. Alors que l’Occident a atomisé la cellule familiale en pensant la libérer et que les guerres jettent sur les routes des orphelins par centaines, le besoin de renouer avec ses racines originelles est sans doute plus fort que jamais. Comme une réponse instinctive à l’effritement de l’identité collective. Devant le danger, l’enfant qui sommeille en chacun de nous court se réfugier dans les bras de sa maman…

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