Du plan, du plan, du plan et encore du plan

Comme chaque semaine, Guillermo Guiz s’incruste dans les replis de la nuit pour y dénicher le bon, le moins bon et l’insolite. Night in Night out, épisode 14.

Ca commence samedi, vers minuit. Par une remarque.  » T’as l’air bien allumé ce soir, toi « , me lâche un estimé collègue, quelques minutes après les dernières notes de Balthazar, venus avec Great Mountain Fire assurer les showcases du Focus Club N°4, au K-Nal. Allumé ? Seraient-ce les litres de saké engloutis, au cours des heures précédentes, en l’honneur des plus beaux mariés de la Terre ? Nope. C’est juste une cerise d’excitation sur un gâteau de frustration. Ou l’inverse. Mais pas de l’allumation.

Samedi soir, Bruxelles s’est transformée en boule de feu. Avec des brasiers dans tous les coins. Et moi je n’ai qu’un corps à balader. Aussi long soit-il. Emoticône-tête-triste. Un 31 avant la lettre, ce 11 décembre. Parée d’une robe de nuit aussi fourre-tout que scintillante, la ville semble décidée à clouer le bec aux grincheux et aux geigneurs, aux paresseux et aux mal informés : oui, quand elle se résout à se bouger la croupe, Bruxelles a de la dynamite dans le ventre. Les autorités locales devraient en être fières. Les Bruxellois aussi d’ailleurs.

Déconcertante capitale tout de même… Le week-end passé, le programme des soirées avait la consistance feignasse d’un gaspacho Michel Drucker. Ou quand un flasque menu laisse place à l’explosion festive, dans le pointu comme dans l’hystérie placetobesque (de homard) : DJ Premier au Nexx ? Blindé. Le Bal in the Box avec les Glimmers et Optimo ? Blindé. L’anniversaire du Spirito Martini ? Blindé. Du monde aussi pour Prins Thomas au Libertine, pour Spirit Catcher à la Strictly Niceness, pour l’Electric Park avec Union Match au Wood, pour la Onda Sonora au Beursschouwburg, pour la Bide et Musique chez Madame Moustache, pour la High Needs Low à la gare du Congrès, pour la I Feel… Jungle au Louise, pour la soirée NRJ à l’Axess, sans compter le Fuse, les Jeux et tous les autres. N’en jetez plus, la coupe devient dingue. Et moi aussi.

Samedi, minuit, faut sabrer, élaguer, trier, trancher. Par où commencer ? Par où continuer ? Par où terminer ? Choix n°1 : suivre ou non mes collègues de Focus, partis au grand complet téter du houblon chez  » Madame Moustache et son freak show « . Sont cool mes collègues. Moins night-addicts que moi. Largement moins superficiels aussi. Sont heureux avec une bière et ambiance chill. Pas moi. Me faut de l’action. De la vodka. Des femmes. Du line-up en marcel, musclé, incisif. Du DJ Premier. Ca fait plaisir de voir le Nexx aussi garni. Quinze euros l’entrée, ça fait moins plaisir. Mais Premier n’est pas venu pour deux tomates et un Bi-Fi. Faut payer la légende. Je l’avais vu jouer au Pacha de Madrid, en 2005, et là, j’ai une grosse envie de bisser. Même à quinze euros.

Premier, dans le milieu du hip hop, c’est un peu comme Yvette Horner dans le monde de l’accordéon roux. Un patron. Un patron East Coast façon Pharrell Williams me vénère, Kanye West aussi, façon j’étais la moitié de Gang Starr et j’ai produit tout le monde, Jay-Z, Mos Def, Mobb Deep, Notorious B.I.G., Nas, Common, Rakim et Manau (ou pas). Un monstre que le boss de One Nation Under A Groove et du Nexx a déjà booké trois fois cette année. Je m’informe :  » Il aime bien Bruxelles ou quoi ?  »  » Il aime bien son cachet. Mais on commence à bien s’entendre. On est allé manger des gaufres ensemble cet après-midi « , me souffle Seydina, ancienne tête pensante de l’excellent et défunt Living Room. De fait, quand Premier reprend les plaques, ça donne un surexcité  » Bruuussssellllss, where the wafels at !!!! « , avant l’arrivage en bande, attendu, mais jubilatoire, d’un set spécial hipopeurs for real, calibré trampoline et main en l’air, Mos Def, Mobb Deep, Common en tête. Ca saute à la barbare, ça chauffe, ça prend du plaisir, des blacks aux blancs, des Arabes aux mèchus (deux dans la salle, dont moi), des baggys à cette vraie casquette d’hipopiste délicatement vissée sur la version chair et os 3D de Milhouse (prononcez Milouze).

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Premier, faut bien l’avouer, avait gagné d’avance. Son CV parle pour lui.  » This is real hip hop shit Brussels ! « , et il mène le public à la baguette, alternant les beats fracassants et les breaks un peu bavards, perdants en fluidité ce qu’il gagne en complicité, notamment au moment de la séquence émotion dédiée à Guru, son complice de l’immense duo Gang Starr, décédé récemment :  » When I scratch Big L (RIP lui aussi, c’est dit dans Full Clip, Premo a bien mangé depuis), you say Guru « . Pas de souci. Cela dit, Seydina ayant eu l’amabilité de compenser en tickets boissons ce que j’avais dépensé à l’entrée, Anna-Margeline Vodka-Perrier commence à me dilater dangereusement l’espace-temps. Presqu’au point d’oublier que, cette nuit, BX est sous ecstas.

Et la grande classe, quand il est 3 heures du mat, c’est que trouver une place devant un KVS archibondé n’a plus rien de rocambolesque. Il est 3 heures du mat et les portiers, très clairement d’anciens agents secrets kirghizes (on ne me la fait pas à moi), doivent encore juguler les arrivées. Comme si la faune entière des Bruxellois flamands alternatifs (= pléonasme) s’était massée pour écouter jouer les Glimmers à la soirée Bal in the Box. Dans la boîte noire, c’est complet, ça déborde. La dernière fois que j’avais assisté à un set des Glimmers (à réécouter : le truculent album Are Gee Gee Fazzi), après une prestation mémorable il y a deux ou trois ans à Anarchic, c’était justement à l’inauguration du Nexx. Mais las, sur la scène, pas de duo gantois en vue.  » Excuse-moi, tu parles français ?  »  » Comme ça comme ça…  »  » Tu sais si les Glimmers ont déjà joué ?  »  » J’espère bon, mais je sais pas. «  Je souris. Puis je pense à ce que la même question m’aurait inspiré comme réponse en néerlandais. Et j’ai honte.

Trop tard ou trop tôt pour les Glimmers, mais pas si grave, JG Wilkes (du club et label Optimo) semble en toute grande forme électro. Le temps de claquer du talon on the dancefloor, comme disait la Reine Fabiola, et je profite de mon élan. SMS.  » T’en es où ?  »  » Rien de glorieux, mais toujours chez Madame Moustache pour ma part.  »  » J’arrive ! «  Nicolas C., mon vénérable collègue, défend encore l’honneur alcoolique de Focus à la soirée Bide et Musique, du nom de cette très improbable mais chouette webradio française. Pas étonnant que Nicolas C., membre émérite du collectif platineux Not So Many DJ’s, tienne encore la cadence, puisqu’il est wallon (blague inaboutie à l’heure de boucler ce texte)…

Madame Moustache, elle aussi, a fait le plein.  » Et kwé, ça donne comment ici ?  »  » Ben c’est du vieux populaire, comme prévu, mais je m’attendais à du plus décalé, à du plus crapuleux que ça « , confie le joli Nicolas C., en plein Tchiki Boum de Niagara quand même… Après, ça se corse. Grave. La vie, tu le sais probablement, est un bichon quelques fois bien curieux. En ce samedi d’hiver, ma meilleure amie avait eu la décence d’éliminer de son mariage toute forme de kitscherie beauf, pourtant chevillée au corps des cérémonies du genre. Pas de serviettes à tourner, pas de Queue-leu-leu, pas de Danse des Canards ni de vieux oncles tout déchirés twistant oblique sur Daddy Cool. Tout le gras avait été gratté jusqu’à l’os, celui de l’enthousiasme amoureux simple et funky. L’ironie, donc, c’est d’échapper à un mariage en forme de mariage pour tomber, une douzaine d’heures plus tard, sur une FARANDOLE.

Une farandole ? Forcément, faut voir la stupéfiante playlist mitonnée par Bide et Musique. Pour toi d’ailleurs, qui a eu la force d’arriver jusqu’ici, une sucrerie de lyrics aux punchlines rageuses :  » Minuit, toute la ville dort. Seule une voiture circule. C’est la voiture 27, la patrouille de nuit. Soudain, un appel très important. Centrale appelle voiture 27 : prière de nous apporter un sandwich au jambon, deux pistolets américain, deux sandwiches au fromage, un pistolet au pâté, deux boudins noirs et trois sachets de frites. Over. «  Juré.

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Purée quoi, le Grand Jojo et son accent marollien sur fond de disco, à cette heure-là de ma vie, allelujah !!!! Cela dit, c’est bien drôle et tout, mais la farandole s’approche dangereusement de nous, au son de J’monte dans le train y’avait du monde de Patrick Topaloff. Et dans ce genre d’ambiance loin de chez loin, y’a intérêt à l’avoir pris bien plus tôt, le train de bourritude. Je m’éclipse, en prenant le temps de rendre grâce à Madame Moustache d’avoir investi un créneau plutôt vierge jusque-là, avec ses progras ouvertes et variées. Pourvu que le cabaret règle ses stresses de voisinage…

Passé 4h30, au Libertine Supersport. Autre registre. Bien que… Au premier, Prins Thomas vient d’écourter son set, laissant les clubbeurs aux mains de So’Lex, un étage plus bas. Comme souvent, quand un résident du cru achève les chevaux au Supersport, ça sent la nostalgie de fin de week-end, mais sur des tracks que je prends mon pied dessus. Ici avec un vieux Justice, là avec le cultissime Go, de Moby. Sur la piste, Jérémie Renier et Nader Boussandel, le héros des Barons, festoient à leur aise (à la bruxelloise en fait), entre mecs ou entourés de quelques pouliches locales. Boussandel, acteur assez savoureux croisé dans l’Akoibon d’Edouard Baer, danse en pitre, drague alternatif. Une amie :  » Dis, le mec des Barons, il m’a dragué. Il m’a dit : ‘T’as vu les Barons ? Je t’apporte une gousse d’ail.’ Et puis il est revenu avec un radis. Je te jure, un radis. «  De source sûre, voyant que j’allais raccompagner mon amie et sa mini-bombitude, je sais qu’à 5h18 du matin, aigre mais drôle quand même, Nader Boussandel m’a traité de radis. C’est ta soeur le radis. Emoticône-qui-sourit. Rideau.

Guillermo Guiz

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