Serge Coosemans

DJ Guy Free, accessoirement Ministre des Finances de la Région bruxelloise…

Serge Coosemans Chroniqueur

Ce samedi soir, Guy Vanhengel, Karine Lallieux, Evelyne Huytebroeck et quelques autres de nos représentants politiques étaient aux platines de la soirée de clôture de Politricks, une semaine de débats et d’expositions organisée par le Beursschouwburg bruxellois. Serge Coosemans a tout vu et témoigne. Sortie de route S03E27.

Samedi 29 mars 2014, il est un peu plus de 22h30. Je savoure tranquillement une Zubrowka à une table du Beurs Café, devisant avec mon amoureuse et trois amis, quand soudainement, shazam, Guy Vanhengel, le Ministre des Finances du gouvernement bruxellois, surgit devant nous complètement boudiné dans un t-shirt noir passé par-dessus sa chemise blanche. Sur sa poitrine, en grossières lettres argentées, est marqué DJ Guy Free. « Een beetje te smaal, hé! », nous sourit-il, tapotant sa bedaine compressée. Plus tard, plus allumé encore, Vanhengel s’emparera des platines, accompagné d’une assistante blonde et d’un sosie de Stephen Colbert. Il nous balancera Gala, cette horreur eurodance, qu’il enchaînera à un remix techno d’Eddy Wally. Encore plus à fond dans son rôle d’ambianceur que Quentin Mossiman, il tapera dans les mains, dansera, hurlera, invitera les gens à bonder le dancefloor: « alleï, alles geven! »

Guy Vanhengel aka DJ Guy Free
Guy Vanhengel aka DJ Guy Free© SC

Cette Twilight Zone d’un soir, c’est la Political Party du Beursschouwburg, autrement dit la fête de clôture totalement surréaliste de Politricks, une semaine de débats et d’expos autour du concept politique. Pour l’occasion, la progra du Beurs a demandé à des représentants de partis de venir passer chacun trois morceaux, histoire de faire danser les gens et d’éventuellement délivrer des messages. Voilà pourquoi un ministre régional des finances nous balance de la oumpapa flamoutche-friendly digne du Camping Cosmos. Voilà pourquoi Karine Lallieux (alias DJ Lady K) et Philippe Close (PS) passent de la musique arabe et que Pascal Smet (SPA) débute son set par Don’t Stop Thinking About Tomorrow des Fleetwood Mac (attention, message!). Voilà pourquoi les Ecolo Evelyne Huytebroeck et Arnaud Pinxteren tentent de jouer aux plus branchés et modernes que les autres en nous proposant Depeche Mode et Daan. Leurs petits camarades verdaches de Groen balancent quant à eux du gros punk-rock qui tâche –Ça plane pour moi et Fight for Your Right to Party– morceaux pourtant censés s’écouter à fond, pas à 90 pauvres db (haha, la pique gratuite!). Autre facteur fun: c’est en fait le type de la NVA, un jeune faquin tiré à 4 épingles mais à 4 épingles tirées d’un magasin de confection comme on en voit beaucoup le long de l’ancienne route vers Anvers, qui propose la meilleure sélection: Elvis et Bowie. Evidemment -denken, durven, doen-, son choix n’est pas totalement innocent et même carrément empreint d’un message d’une rare subtilité. Le titre du King: A Little Less Conversation. Celui de Bowie: Changes… »Zet da ploet af! », j’ai hurlé.

C’est du lourd, tout ça, mais cela n’en reste pas moins un tout petit kilo de plumes à côté du véritable clou de la soirée: DJ Brigitte Grouwels. Madame la Ministre des Travaux publics et des Platanes de l’Avenue du Port, pourtant pas réputée délurée, est déchaînée. Totalement. Sa prestation tient à la fois du cours d’aérobic et de l’imitation de Chantal Goya. « I want you happy », hurle-t-elle d’entrée de jeu et Grouwels danse les doigts en l’air, un sourire extatique en travers du visage, vraiment le trip « ce matin un lapin a fumé un gros joint ». Sa sélection musicale est assez poussive et puputte, Pharrell et Aretha Franklin, mais mes amis et moi, plus hystériques qu’un car de nonnes défroquées à un spectacle des Chippendales, ça nous fait monstrueusement marrer. On est en pleine hallu, vous imaginez bien.

Malgré le torrent de lol, on ressent aussi vite comme un malaise. Pour ma part, il peut s’expliquer par cette impression que l’on n’est sans doute plus très loin du moment où l’on pourra lancer des politiciens en combinaisons de velcro sur des murs en mousse, comme les yuppies le faisaient avec les nains dans les années 90. À voir Grouwels et Vanhelgen s’improviser deejays caricaturaux sans la moindre honte, cela me semble bien parti pour que l’on arrive très vite au débat seins nus, au featuring de Di Rupo chez Stromae, à Bart De Wever déguisé en panda. Je ne vais pas faire semblant de m’en désoler, d’autant moins que c’est précisément pour ça que je me suis déplacé ce samedi soir: voir le politicien se ridiculiser plus ou moins consciemment. Mon type d’humour. Qui fait éventuellement un peu tâche au milieu de cette soirée tenant plus du team-building pré-électoral que de la grande partie de rigolade publique. À vue de pif, sur un peu moins de 300 personnes, on doit en effet être moins de 30 à n’avoir absolument aucun lien avec le monde politique et c’est bien ce qui génère le second malaise. Cette impression d’être perçu comme du mobilier animé par des gens pour qui vous n’existez pas si vous ne faites pas partie de leur milieu.

Il n’a en effet pas fallu un quart d’heure pour que notre table, que nous occupions pourtant de façon ostentatoire, serve à la fois de vestiaire improvisé et de bulle à verre où se débarrasser des vidanges pour tout un tas de guignols. Dès que l’un de nous partait nous ravitailler au bar ou esquisser un petit pas de danse, un (gros) cul d’attachée parlementaire envahissait sa chaise pourtant bardée d’effets personnels ou alors, une tripotée de verres vidés par une équipe de com’ atterrissait sur notre table, que cela plaise ou non. Oui, l’atmosphère était imprégnée de cette arrogance crasse et de ce manque de savoir-vivre intégral qui parfument généralement les lieux de pouvoir, les institutions, les cabinets politiques. En grattant l’aspect bon enfant, cette soirée tenait en fait du petit jeu social consistant à répéter en tant qu’humains ce que font les chatons: se frotter le pif aux meubles et lâcher du pipi invisible pour bien montrer qui est l’alpha du mètre carré. Franchement, ce zoo n’avait pourtant pas de quoi pavoiser: roitelets gays ultra prétentieux en All Stars de chez Brantano, roquets patachons à qui Dieu a collé une queue de renard sur le front pour masquer la calvitie et qui s’habillent comme Frédéric Jannin mais au premier degré, poignées de mini-jupes portées sur des gambettes d’éléphanteaux… On a connu des morts de honte pour moins que ça. Bref, une fois de plus, c’est bien davantage le choc esthétique que le malaise éthique qui nous a poussé vers la sortie. « Il me faudra prendre beaucoup de MDMA pour un jour revoter », m’a dit une amie. J’ai alors imaginé un cacheton avec le sourire dément de Brigitte Grouwels dessus et j’ai pensé que cela ferait fureur dans la nuit bruxelloise. À quelques semaines du bain de sang électoral, on en est là, oui. Mais nous sommes légion dans le cas, non?

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