Dionysos, l’art dans le sang

Mathias Malzieu (au centre), sans pyjama, entouré de son groupe Dionysos. Vampire, vous avez dit vampire? © Roberto Frankenberg
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Atteint d’aplasie médullaire et momentanément devenu un vampire en pyjama, Mathias Malzieu s’est fait sauver la vie. Il en tire un livre, journal d’un gentil suceur de sang, et un album, le huitième de Dionysos. Rencontre.

Novembre 2013. Mathias Malzieu tourne le clip de Jack et la Mécanique du coeur. Le chanteur de Dionysos, lapin Duracell de la scène rock française, est épuisé. Blanc comme un linge. Il ne le sait pas encore mais il est atteint d’aplasie médullaire. Pour faire simple, sa moelle osseuse arrête de fonctionner. L’aventure la plus extraordinaire de sa vie, Malzieu, le parolier, le romancier, aurait pu l’inventer. Finalement sauvé par du sang de cordon ombilical congelé à Düsseldorf dans les années 90, il n’aura qu’à se raconter… Ce qu’il fait dans un livre touchant (Journal d’un vampire en pyjama) et un album de folk moderne grand public (Vampire en pyjama tout court). Epaulé par sa complice Babet, le réfugié poétique, grand enfant qui allait à ses consultations en skate, a tombé le T-shirt Spiderman pour le costard et le chapeau. Rencontre avec un quadragénaire nouvellement né…

Quel est le point de départ de ce projet? Le coup de fil du docteur qui vous envoie aux urgences?

Mathias Malzieu: Non. C’est le retour à la maison après le diagnostic. Je venais de passer une première semaine à l’hosto. Complètement sonné. Pas encore sur des réflexes créatifs. J’étais trop fatigué. J’enchaînais un tas d’examens. Mais quand je suis rentré chez moi et me suis mis en tête que j’allais enquiller les transfusions deux fois par semaine, je me suis dit: « Je vais tenir un journal qui s’appellera Journal d’un vampire en pyjama. » C’était un titre de travail. Je ne savais pas s’il s’agirait d’un roman, de chansons, des deux… Je ne savais pas combien de temps ça allait durer: quand je pourrais être greffé, ni même si ça arriverait… Je ne partais pas sur un concept. Je voulais créer de la matière. Envisager ce qui m’attendait.

Ce journal, l’idée est tout de suite de le partager?

M.M.: Non. Au départ, il est purement cathartique. Il y a trop de chocs. Alors, je mets de la distance. Je glisse un peu d’humour. Je couche sur papier des choses que j’ai besoin d’écrire. Rapidement, je conçois huit chansons que le groupe part enregistrer pendant que je suis en greffe. Je continue de tenir le journal et d’écrire des morceaux. Six mois après ma sortie, je n’ai plus besoin de transfusion. Ça fait à peu près un an maintenant. C’est là que je commence à me relire. J’ai préféré garder le format du journal plutôt que de me tourner vers le roman. Conserver sa vérité, son ton. Bien sûr j’ai coupé des passages, parce que j’écrivais tous les jours, que je me répétais. Mais j’ai aussi décidé d’approfondir certains sujets. Des choses que je n’avais fait qu’effleurer. Que j’avais dites mais que je n’avais pas racontées.

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Le groupe apprend ce qui vous arrive comment?

Babet: Par téléphone: « Mathias vient de sortir de l’hôpital. » Ça nous est tombé sur la tête. C’était le chaos: qu’est-ce qu’on fait? Quand il pond ses premières chansons, il ne sait pas s’il s’agit d’un projet perso ou s’il peut devenir celui du groupe. Il nous fait écouter et chacun se prononce. L’un de nous (le bassiste Guillaume Garidel, NDLR) est parti, n’a pas voulu poursuivre l’aventure. Il avait envie de changer de vie. Et effectivement, la maladie lui a peut-être fait peur. Il a stoppé de manière pas très délicate. Le reste du groupe, lui, est resté. On s’est trouvé un petit studio très chaleureux et on est parti y enregistrer. C’était notre façon à nous d’envoyer des messages à Mathias: « Reviens-nous vite. On compte sur toi pour guérir. »

Ce qui fait forcément du bien?

M.M.: C’était important. Se trouver dans un tel état de fragilité, physiologique mais également psychologique, a aussi ses avantages. Tu deviens extrêmement poreux au joli. Et notamment à celui de l’élan. Parce que l’élan, ça veut dire l’après. Ça signifie ne pas rester coincé dans le présent. L’élan humain, avec les très proches, mais aussi l’élan musical. Avec leurs arrangements, on continuait d’avancer. Ce n’était pas: « J’écris mes petites chansons tout seul dans mon coin et on verra quand j’irai mieux. »

Vous leur donnez des indications?

M.M.: Oui, une note d’intention. Mais pas bien différente que d’habitude. On a toujours arrangé ensemble.

Babet: Avec Mathias, on est assez libre. Le plus important, c’est de savoir ce qu’il veut raconter et quelle ambiance il cherche à dégager. Ici, il nous a parlé de folk 2.0. On savait qu’on devait mettre en avant cet aspect acoustique mais aussi le côté électronique, les bidouillages.

Pourquoi folk 2.0?

M.M.: Pour moi, les passages acoustiques dans nos disques représentaient jusque-là des virgules. On avait proposé des tournées avec des batteries en carton et des jouets sur scène. Et on avait adoré ça. Il y avait une envie d’enfin assumer un disque folk et en même temps de le confronter à des éléments électroniques. Ça allait bien pour moi avec le côté western épique et disque de combat. En même temps, on ne voulait pas tomber dans l’exercice de style. Comme on s’exprime en français, le réflexe des gens, c’est de parler de « chanson ». Mais ça ne veut rien dire, « chanson ». Pour nous, on fait du rock’n’roll avec une dimension plus acoustique et électronique.

Dionysos
Dionysos© Roberto Frankenberg

Certains albums, bouquins ou films t’ont-ils fait du bien en ces temps difficiles?

M.M.: J’ai écouté Alt-J en boucle pendant ma première hospitalisation. Dès que je montais sur le vélo, je mettais Matilda. Au moment de la greffe, ça a beaucoup été Neil Young, A Letter Home, son album enregistré par Jack White. Puis aussi un tribute à Leonard Cohen avec notamment Buck 65. Les livres, je n’en ai pas ramené de la maison. Je ne pouvais en avoir que des neufs en chambre stérile. Et je n’ai pas regardé beaucoup de films non plus. J’étais bien dans ma tête. Avec des moments de blues et de doute. A essayer non pas de comprendre ce qui m’arrivait, mais ce qu’il fallait que je fasse pour garder de l’imagination, de l’espoir, de l’autodérision. Ça s’entretient tous les jours. Si un soir, tu te dis: « Tant pis, je vais être fataliste« , le lendemain, tu te réveilles très très loin. J’ai maté les matchs de l’Euro également. Ils faisaient le lien avec mon père. Ça permettait d’avoir ce truc tout à fait normal. De s’appeler à la mi-temps. Comme si je n’étais pas malade. C’était salvateur. On n’était dupes ni l’un ni l’autre, mais me permettait d’être dans le déni d’une manière douce. Ça m’offrait des petites bulles de « c’est pas grave ».

Que représente I Follow Rivers de Lykke Li pour toi et comment atterrit-elle sur l’album?

M.M.: Ça vient d’une discussion avec les infirmières. On parle cinéma, musique… Et l’une d’entre elles me dit: « J’adore cette chanson. » Du coup, comme j’avais ma guitare, je me suis mis à en chercher les accords. Lorsqu’elle passait dans le couloir, elle frappait dans les mains et je jouais I Follow Rivers. On a d’abord pensé la glisser en morceau caché mais comme nous l’a fait remarquer notre directeur artistique, les morceaux cachés, ça fait dix ans que c’est cuit. C’est notre côté ancien combattant-Nirvana…

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Tu réagis comment quand on t’explique la solution du sang de cordon ombilical?

M.M.: Pour moi, c’est le réveil de la force. Normalement, ça ne se fait pas avec les gens de mon âge. »Mais bon, me dit le spécialiste, vous pesez moins de 60 kilos et vous êtes sinon en super bonne santé. Vous avez un coeur de marathonien. Les poumons sont nickel. Il y a un risque. Ça a été fait 18 fois dans le monde. Ça a marché quinze fois. Les autres ne sont plus là mais ils cumulaient les pathologies et sont arrivés la tête basse. Faudra venir à bloc. »Je tâtonnais dans le noir. J’essayais de me démerder. Et tout à coup, on pouvait me ramener à la vie normale, mais je devais y aller en mode Rocky Balboa. Il m’a encore dit: « Vous allez faire votre plus gros concert. Etre entouré de gens extraordinaires. Ce sera votre public. Il va vous soutenir. Sur scène tout sera nickel. Par contre, on ne va pas chanter à votre place. »

C’est dingue tout de même, quand on sait que Dionysos signifie « né deux fois »…

M.M.: Entre mon changement de groupe sanguin, la greffe dans Jack et la Mécanique du coeur et le personnage d’Hématome Cloudman, il semble que la réalité et la fiction peuvent effectivement s’entremêler. Mais je ne mystifie pas. Je pense que si j’étais tombé dans la mystification de n’importe quoi, ma propre mini-mythologie ou autre chose, ça aurait senti le sapin. J’allais pas tout à coup me mettre à croire en Dieu. J’ai continué à croire au football et aux superhéros. A être créatif. J’ai été troublé et amusé par les coïncidences qui veulent peut-être dire des choses sur mon parcours. Notre parcours. Mais je les regarde avec un petit sourire en coin. Genre: « Putain, c’est incroyable! » Mais certainement pas: « C’était écrit. »

Vous vous êtes demandé à un moment si cet album allait être un album posthume?

M.M.: Forcément. Mais si je n’avais pas écrit ces chansons, si je ne les avais pas enregistrées, la peur aurait été encore plus grande. Lorsque tu commences à ne rien faire, tu te rapproches de la mort. La mort, c’est tout ce qui s’arrête. Et la maladie y ressemble parfois très, très fort. Alors quand je pouvais créer, je gagnais du temps, de l’élan. On avait beau me dire que la moelle osseuse ne fonctionnait plus, j’avais mes transfusions. Bien sûr, j’étais fatigué, et plein de trucs étaient galères. Mais je tenais debout. Je ne traînais pas au lit toute la journée. Je continuais le skate. Il fallait de la peur. Mais pour la combattre.

On ne peut s’empêcher de tracer un parallèle avec le décès de David Bowie quelques jours après la sortie de son dernier disque…

M.M.: On a une histoire particulière avec Bowie. Babet utilise un instrument sur scène, le stylophone, qu’il a introduit dans la pop music avec l’album Space Oddity. Et puis, sur la demande du Grand Journal, on a repris Heroes juste après les attentats de novembre. Comme on est sur la même maison de disques, j’ai reçu Blackstar le vendredi juste avant sa mort. Je l’ai trouvé intense et je l’ai vachement aimé, mais je ne me suis pas dit: « Il avait tout planifié et mis en place. » Apparemment, il savait que c’était fini et l’a conçu comme un bouquet final. Moi, je n’ai pas prévu Vampire en pyjama pour la ligne d’arrivée. Au contraire, je conjurais le sort, genre: « Allez bosser, les gars, je vais à l’hôpital en écrire d’autres. »

Cette aventure vous a changé en tant qu’homme?

M.M.: Oui et non. Je suis pareil mais en pire. Encore plus sensible. Avec une leçon retenue. Une façon de relativiser presque extrême. Je ne supporte plus les gens qui se plaignent pour rien. Ça provoque une réaction physique chez moi. La carapace n’est pas encore reconstituée mais l’euphorie du retour est extraordinaire. J’essaie de profiter de la vie raisonnablement. Hier soir, mon démon s’est réveillé. Je me suis dit: « J’ai terminé ma journée, je vais aller faire un petit tour dans Bruxelles. » Mais j’aurais contacté les mecs avec qui j’ai bossé sur Jack et la Mécanique du coeur et je serais revenu avec une transfusion de Duvel… Alors, j’ai pris soin de moi. Je me suis fait masser. Puis, je suis descendu au bar boire un petit whisky. Discuter avec des gens que je ne connaissais pas.

Babet: Mathias attire l’aventure.

M.M.: J’en ai besoin, même. Ça ne veut pas dire partir au pôle Nord en luge. Quoique. Ça pourrait…

LE 13/05 AU CIRQUE ROYAL.

Dionysos – Vampire en pyjama

DISTRIBUÉ PAR SONY. ***

Dionysos, l'art dans le sang

POP | Formidable groupe de scène aux concerts électrisés et électrisants, Dionysos irrite parfois sur disque avec sa poésie naïve et son onirisme de grand enfant. Il a beau faire des clins d’oeil à Rage Against the Machine (Know Your Anemy) et chanter le Skateboarding sous morphine, Vampire en pyjama est l’album d’un Dionysos apaisé qui a débranché les guitares. Un disque de folk autobiographique et cinématographique (ambiance western) truffé de petites touches électroniques. Entre la présence inquiétante de Dame Oclès et une reprise de Lykke Li (I Follow Rivers), Malzieu se raconte Vampire de l’amour et Guerrier de porcelaine. Gentil mais touchant.

Journal d’un vampire en pyjama

DE MATHIAS MALZIEU, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 240 PAGES. ***

Dionysos, l'art dans le sang
RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE | « Les draps jaunes brodés Hôpitaux de Paris ont la même couleur que l’urine. Sans doute pour qu’on puisse se pisser dessus incognito. » Il y a des choses poétiques, drôles et légères dans le Journal d’un vampire en pyjama de Mathias Malzieu. Des réflexions trash et des moments douloureux aussi, où l’on sentirait presque les aiguilles nous transpercer la peau pour partager l’expérience d’une transfusion. Récit de combat, hommage aux malades et à ceux qui les soignent (ces superhéros en blouse blanche), ce carnet de bord rock’n’roll d’une renaissance a l’énergie, l’humour et la sensibilité de son auteur -le sautillant lutin rouquin de Dionysos. True blood…

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