Serge Coosemans

Deejay Nadine de Rotschild ici ou quoi ou qu’est-ce?

Serge Coosemans Chroniqueur

Sur Noisey, un site musical associé au magazine Vice, l’excellent deejay Seth Troxler a lancé une polémique un peu trop facile contre l’EDM depuis transformée en buzz. C’est de la foutaise, estime Serge Coosemans, défendant comme toujours le droit à la connerie. Sortie de Route, S03E33.

Seth Troxler, dans son style, la house camée et salace, est un très bon deejay, peut-être même le meilleur du moment. C’est aussi un type assez rigolo, qui publie sur les réseaux sociaux à cadence soutenue des blagues, des photos et des collages aussi régressifs que souvent marrants. Un ambianceur, un guindailleur, un rieur, qui n’a pas non plus peur de la grosse polémique, fut-elle un peu trop facile et pas vraiment pertinente. Un récent petit papier signé de sa plume et publié sur Noisey, le site musical associé au magazine Vice, le prouve une nouvelle fois. En gros, après bien d’autres confrères, Seth Troxler y insulte Avicii et le jeune public qui préfère les festivals aux clubs, se plaignant aussi que l’EDM, l’actuel mainstream electro, traîne la culture électronique dans la boue. C’est outrancier, ça fait le buzz mais ça n’en reste pas moins un gros paquet d’âneries. Du moins, je le pense.

Loin de moi l’idée de défendre cette Electronic Dance Music (EDM) qu’attaque Troxler. Elle tient selon moi de la daube en pot. Pourtant, je ne pense pas un seul instant que « l’EDM traîne chaque jour la culture et l’histoire de la dance-music dans la boue ». Déjà, parce que l’histoire de la dance-music a toujours dégagé un petit fumet pimenté. Escroqueries cocaïnées, plagiats pourris, entourloupes minables, blanchiment d’argent, évasions fiscales en Ferrari de fonction, médiocrité fanfaronne, mégalomanie sous substances coupées au laxatif, bas instincts flattés… C’est tout de même par excellence le pan musical où même les noms les plus prestigieux traînent quasi tous d’encombrantes casseroles financières, morales et éthiques. Par ailleurs, comme déjà évoqué précédemment dans cette chronique, prétendre que les undergrounds d’hier involuent trop souvent en mainstreams d’aujourd’hui est une erreur grossière de journaliste musical débutant, même pas digne d’une couillonnade de stagiaire sur Frontstage. David Guetta, Avicii, Deadmaus5 et Steve Aoki ne sont pas des bâtards indignes et mongoloïdes de Kraftwerk, Frankie Knuckles et Larry Levan. David Guetta, Avicii, Deadmaus5 et Steve Aoki descendent de 2 Unlimited, de Culture Beat et de Guru Josh. Voire du fameux Tirelipimpon sur le Chihuahua de Carlos. Ce qui n’est pas comparable.

Seth Troxler, lui, est justement héritier de Kraftwerk, de Frankie Knuckles et de Larry Levan et c’est bien pourquoi sa notoriété ne sera jamais égale à celle des Forains de l’électro cités plus haut. Alors qu’il semble probable que des lignées et des lignées d’Avicii continueront de cartonner jusqu’à la fin de la société occidentale, le genre de personnage et de dance-music à la Seth Troxler resteront quant à eux sans doute toujours incompréhensibles pour le plus gros du public. C’est dommage, mais est-ce vraiment la faute du marketing, du petit esprit, du manque d’éducation, des médias, des organisateurs, du Système? Ne serait-ce pas plutôt tout simplement inhérent à la nature humaine? Il existe une expérience très simple qui consiste à placer un très bon deejay devant une foule qui ne lui est pas acquise, qui attend davantage de gros stimuli sonores pour se mettre la tête à l’envers qu’une sélection musicale d’esthètes. Notre type va passer ce qu’il pense être la meilleure musique du monde, une sélection historique, avec des morceaux non seulement beaux à pleurer et capables en principe de faire danser un mort, mais aussi des morceaux qui ont une histoire, sont réputés avoir pesé sur l’évolution des droits civiques aux Etats-Unis, la chute de la junte brésilienne, les fiertés homosexuelles, le féminisme, les reconnaissances communautaires et autres petites révolutions de ghettos. L’ambiance devrait être magique, générer des vagues d’amour, une éducation positive comme le résumait un titre techno de Slam et, en fait, rien. La foule reste dissipée, statique, devient peut-être même hostile à notre deejay de première bourre. Alors, le mec passe Daft Punk et Cloclo et tout rentre dans l’ordre, la soirée est sauvée.

Dans son papier, Seth Troxler avance que des types comme lui essayent « d’aller de l’avant, d’évoluer, de faire de la dance music quelque chose de plus ouvert, de plus important, de plus profond, et l’EDM réduit tous nos efforts à néant. » Seriously, dude, est-ce vraiment l’EDM qui bousille tout? Pourquoi ne pas admettre que pour une majorité de gens, une dance-music qui a des véillités artistiques, qui se pique d’ambitions culturelles fortes, n’est tout simplement pas désirable? Je partage l’idée que Seth Troxler se fait d’une bonne soirée, « des gens de tous milieux, de toutes races, de toutes classes sociales, de toutes orientations sexuelles. Tous sous un même toit, à la découverte de soi-même et des autres. Une façon de célébrer le fait que la vie va au-delà de ce qu’on croit, au-delà des normes établies. Et pas juste s’exploser la tronche avec un glow stick géant à la main. » Je partage cette vision, mais je ne pense pas que l’on puisse l’imposer à des gens qui n’en ont tout simplement rien à foutre et je ne pense pas non plus que les gens qui n’en ont rien à foutre méritent tous d’être traités de crétins décérébrés. La dance-music est un vecteur d’ouverture culturelle et sociale pour certains et une excuse à la cuite régressive, au mauvais sexe et à la défonce mongolo pour beaucoup d’autres. Non seulement, c’est très bien comme ça, mais en plus, ça a toujours été comme ça.

Il ne faut pas zapper le fait que le Golden Age électronique de la fin des années 80 et du début des années 90, ce n’est pas parce que les disques étaient meilleurs, la drogue meilleure et les gens plus ouverts. Ca a été un Golden Age parce qu’un monde nouveau s’ouvrait aux grands esthètes comme aux parfaits troglodytes. Ce monde n’a jamais été homogène. Pour un bon disque, un artiste valable, on trouvait déjà des centaines et des centaines de médiocrités (l’eurodance hollandaise, le label Bonzaï, le happy hardcore…). Pour une discothèque chamboulant les codes sociaux, il y en avait dix ou cent qui répétaient chaque week-end les mêmes trucs ploucs (pas de baskets, la veste au vestiaire, une belle chemise, un deejay aux recettes musicales exactement pareilles à celles de l’EDM aujourd’hui…). Seth Troxler dit dans son article que pour beaucoup de jeunes, la seule expérience qu’ils ont de la musique électronique, c’est le festival EDM et que ce n’est pas dans un festival EDM que l’on apprend les finesses de l’art du clubbing. Il illustre ce propos avec une image grotesque: dans un festival, une fille sniffe une trace sur le minou rasé d’une autre fille. « Dans un club, ce serait bandant, dit-il. Dans un festival, c’est juste dégueulasse. Au Berghain, on appellerait ça la liberté. À Ultra, c’est juste de la défonce hyper baddante. » Sauf que non. Ce genre de singerie porno, en club tout comme en festival, en 1988, en 1995 ou en 2014, ne nous dit qu’une seule et unique chose: pendant que certains deejays passent de la musique en espérant changer le monde, la plupart des gens se contenteront toujours de faire n’importe quoi, n’importe comment, avec n’importe qui. C’est ainsi qu’ils conçoivent la fête. C’est peut-être pathétique, mais peut-on vraiment un seul instant imaginer donner des leçons de maintien dans les fêtes et sur les dancefloors? Deejay Nadine de Rotschild ici ou quoi ou qu’est-ce?

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