Jérôme Van Ruychevelt

Damso: « les hommes savent pourquoi »

Jérôme Van Ruychevelt Coordinateur campagne et conseiller hip-hop au festival Esperanzah!

Esperanzah!, festival qui se veut féministe et programme du hip-hop, analyse les réactions à l' »affaire » Damso à travers le prisme des rapports de domination de genre, mais aussi économique, culturelle et ethnique, bien au-delà du rap. Selon Jérôme Van Ruychevelt, c’est essentiel pour comprendre ce qui se joue actuellement.

Le problème de la misogynie dans le rap c’est le problème de la société patriarcale dans son ensemble. Le rap n’a pas inventé le sexisme. Le patriarcat c’est une forme d’organisation sociale qui institutionnalise la domination des hommes sur les femmes. Notre patriarcat occidental produit aussi des rapports de dominations économiques, culturelles et ethniques. Ce qui est dérangeant, ce n’est pas que Damso ne soit pas l’auteur de l’hymne des Diables Rouges. Il ne pouvait de facto pas rassembler à partir du moment où une partie de la population reçoit ses textes avec beaucoup de violence.

Ce qui est dérangeant, c’est d’observer des pionniers du patriarcat lui faire endosser, dans un mélange de mépris de classe et de racisme latent, le rôle du représentant du sexisme par excellence.

Prenons Etienne Dujardin, par exemple. Il a écrit une des cartes blanches les plus partagées sur « l’affaire Damso » en nous donnant des leçons sur le respect envers les femmes (sans racisme – je précise). Rappelons donc qu’Etienne Dujardin, ancien membre du MR, défend ardemment les politiques socio-économiques du gouvernement Michel. Celles-ci fragilisent tout particulièrement les femmes, notamment parce qu’elles endossent des rôles socialement genrés au quotidien. Ces mesures sont d’une violence institutionnelle patriarcale inouïe(1).

Notons également au passage, que la seule réaction publique d’Etienne Dujardin, à propos de la journée des droits des femmes, a été de s’indigner de la présence de la journaliste afro-féministe Rokhaya Diallo sur les ondes de La Première. Il lui reproche d’avoir eu l’audace de dire qu’il y a du « racisme produit par l’Etat, en France ». Il rejoint ainsi le rang des patriarches qui poursuivent la féministe depuis des mois.

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D’autres n’ont eu aucun mal à tacler Damso, tout en se réjouissant la veille de la présence d’Anne Morelli et de Raphaël Enthoven, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans un débat sur l’égalité homme-femme. Les deux intellectuels sont pourtant connus pour remettre en cause des luttes féministes qu’on pensait acquises.

Par ailleurs, les sponsors des Diables Rouges, qui auraient influencé la décision finale sur Damso, sont les portes drapeaux des valeurs sexistes véhiculées par le capitalisme. Coca-Cola et Jupiler attirent les festivaliers à coup de gogo-danseuses en mini jupes se dandinant de manière hyper sexualisée, dans des festivals qui programment aussi Damso. « Les hommes savent pourquoi ». De manière générale, les publicités qui réduisent la femme à un objet sexuel en indiquant ce qu’il faut acheter ou comment se comporter pour réussir, sont une illustration parmi d’autres de la misogynie capitaliste. Alors oui, certains jeunes, notamment issus des milieux plus précaires, qui aspirent à être reconnus, se réapproprient ces codes.

En pleine « affaire Damso », le festival La Belle hip-hop, dédié aux femmes dans le rap, s’est inauguré le jour de la journée des droits des femmes et se poursuit jusqu’au mercredi 15 mars. Je n’ai vu que trop peu de monde parler du festival. Les médias ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes si les femmes dans le rap passent inaperçues. Or, selon Éloïse Bouton (Madame Rap): « Dans le rap, les femmes trouvent une liberté qu’elles n’ont nulle part ailleurs. Elles peuvent y parler de sexe, de violence, de politique… Et on y trouve des artistes de toutes les origines, avec des corps de toutes les formes. »

Renvoyer systématiquement le rap à ses textes sexistes, c’est une forme de domination culturelle. La classe dominante ne se reconnaît pas dans les codes du rap (même si ça va mieux, on salue l’apparition des médias hip-hop Tarmac – RTBF et Check – RTL). A contrario, des textes sexistes sont des classiques de la chanson française. Mais leurs chanteurs sont plus présentables. Le média Madame Rap en avait fait un bel inventaire mais je cite quand même mon préféré, Michel Sardou – Les Villes de solitude: « J’ai envie de violer des femmes, De les forcer à m’admirer, Envie de boire toutes leurs larmes, Et de disparaître en fumée ».

Le Grand Jojo a créé l’hymne des Diables en 1984. Comme l’ont rappelé certain-es, l’artiste a écrit dans l’un de ses tubes: « ma nourrice était négresse, c’était une noire avec des tresses, quand j’prenais le sein, ça goûtait le chocolat ». Difficile pour les noir-es, moins représenté-es dans les sphères de pouvoir, de faire entendre leur désapprobation à l’époque.

C’est pourquoi la féministe Marie Debray voue une certaine admiration pour le rappeur Booba. Celui-ci est connu (entre autre) pour illustrer son succès de self made man par l’argent et les femmes. D’après l’auteure: « Booba ne fait que verbaliser ce qui se passe dans le monde patriarcal blanc ». Or, lui, est noir, issu des colonies et selon elle « ça a quelque chose de subversif ». Elle ajoute, « lui et moi, on a un ennemi commun: le patriarcat ».

Quand certaines femmes disent qu’elles sont incapables d’écouter du Damso, au regard de la violence qu’elles subissent déjà à longueur de temps: il n’y a rien à répliquer. Quand d’autres disent que Damso c’est la fiction narrative d’un poète qui écrit ses fantasmes sexuels, telle une thérapie: ils ont peut-être aussi leurs raisons d’apprécier. Faut juste que les deux camps arrêtent d’essayer de se convaincre mutuellement mais commencent à dialoguer. Et peut-être qu’un jour, ils mèneront des combats ensemble.

Jérôme Van Ruychevelt

Coordinateur campagne et conseiller hip-hop au festival Esperanzah!

Merci à Victoria Sépulveda et Edith Wustefeld pour la relecture.

(1) « Le gouvernement n’aime pas les femmes »

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