Daan: « Je ne suis pas un chanteur politique mais peut-être social »

Daan 2014. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’impeccable Total de Daan constitue sans doute le plus beau coffret jamais compilé d’un artiste belge: sujet abordé dans sa flamande propriété, entre bouteille de champagne (vide) et chevaux blancs fuyants. Portrait donjuanesque d’un fils de Maoïste.

La première rencontre, c’était dans sa maison de Berchem/Anvers, en 1999. Un feu rouge -en état de fonctionnement- squatte l’escalier et des typos géantes pendent aux murs. Quinze ans et quelques haltes immobilières plus tard -Schaerbeek, Ixelles-, voilà le chanteur de 1969 ayant soldé ses propriétés bruxelloise et wallonne pour un retour depuis un an en terre flamande aux portes de la capitale. Une visite s’imposait alors que paraît Total, coffret gourmand résumant une carrière intense (lire la critique page 23).

Les mots sur les murs sont restés mais le sentiment urbain a foutu le camp. « L’autre jour, j’embarquais des amis en bagnole pour les ramener à Bruxelles et avant de monter sur l’autoroute, j’ai calé, je ne pouvais pas y aller. Je leur ai appelé un taxi. Je suis arrivé ici parce que j’avais besoin d’autre chose que de la ville. » Quelques jours auparavant, au téléphone, Daan lâchait comme ça que sa dernière nuit avait été passée « avec deux étudiantes en philosophie »: lecture de Kant ou acrobaties moins verbales, le musicien se sent ces temps-ci en Alexandre le bienheureux. Oui, le buddy film français de 1968 où Philippe Noiret campe un paysan qui se met activement à ne rien faire. Clairement pas l’objectif de Daan Stuyven, qui fume autant qu’il ne bosse: à voir l’occupation des cendriers un peu partout dans sa vaste ferme brabançonne, ce célibataire n’aime pas le repos. « Après les quelques dates actuelles, j’ai décidé de prendre deux mois de congé. Et je me demande ce que je vais bien pouvoir faire. » Un ange angoissé passe et Daan fait alors son fameux sourire-grimace-de-Jack-Nicholson-dans-Shining.

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La Crise, chanson qui se trouve sur Le Franc Belge, a amené une controverse en Grèce où certains ont pensé que tu te moquais de la déconfiture économique du pays, exact?

Pas tout à fait: un type qui venait d’être viré de la radio nationale a boosté la chanson sur le Net et j’ai reçu pas mal de messages d’encouragement de citoyens grecs. La presse flamande a détourné les quelques commentaires négatifs et en a fait une affaire… Je ne me considère pas comme un chanteur politique mais peut-être social. On continue à me dire que je ferais mieux d’écrire une belle mélodie et chanter que ma copine ne m’aime pas suffisamment. Cela me rend dingue. Dans cette période de droite et très libérale, c’est eux qui s’attaquent à la culture, justement parce qu’on a une expression que ne peuvent plus se permettre les médias ou les radios.

La N-VA!

Ils attaquent la culture de façon budgétaire ou veulent changer les quotas flamands à la radio, mais sorry, il n’y a pas suffisamment de qualité flamande pour un morceau sur trois! Quand tu reçois l’attention des gens, je pense qu’il faut presque rendre quelque chose à ces 30.000 personnes qui ont acheté ton disque: ce serait dommage de juste parler de ton ex. Et décadent de ne pas attaquer quelques injustices ou absurdités. Ce sont de magnifiques années pour la culture parce que le besoin de celle-ci est encore dix fois plus important. On ne vit pas pour s’engueuler ou être déprimé et agressif l’un avec l’autre, on vit parce que la culture est signe d’une belle société. On travaille pour créer de la beauté, du plaisir et de l’émotion: c’est bizarre de vouloir éradiquer tout cela.

Ton père était peintre, où était la politique chez les Stuyven?

Amada (groupe d’extrême-gauche, tendance maoïste) (1) faisait ses réunions dans l’atelier de mon père dont les tableaux étaient très engagés, souvent politiques: il m’expliquait le message, et je trouvais cela normal. J’ai toujours compris que la culture devait se reconnecter avec le contexte social: il ne faut pas qu’être artiste soit uniquement un métier narcissique, il l’est déjà assez comme cela.

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En juin 2011, tu composais Jouw land is niet mijn land, chanson anti-De Wever: on a l’impression que cela a donné, en Flandre en tout cas, une image de toi de « trublion », mot gentil pour fouteur de merde…

(rires) Oui, peut-être. En mai 2014, on m’a d’ailleurs accordé le Prix Achille Van Acker (2): à sa mort, il a laissé un fonds pour les gens du culturel qui s’engagent, généralement de grands peintres et écrivains belges (sourire). A côté de la boue qu’on reçoit, c’est touchant et agréable… Mais il y a aussi des supporters de la N-VA qui viennent me voir en disant qu’ils ne s’intéressent pas à mes idées politiques tout en aimant bien mes chansons. Sont sportifs parfois…

Au rayon des réactions inattendues, il y a aussi l’affaire de Daan bourré sur scène, en août 2013 à Anvers, déserté par son groupe pendant le concert…

Oui, cela a été exagéré cent fois. Le groupe trouvait que je ne jouais pas suffisamment précis, mais cela allait encore. Quand le patron se comporte mal, les ouvriers ont le droit de se révolter (sourire). C’est un lien avec des amis que je ne veux pas perdre, des gens qui excellent dans leur instrument alors que moi, je suis mauvais guitariste, et pianiste comme un flic qui dresse un procès-verbal.

Tu te sens comment dans ce genre de moment?

J’ai coupé mon téléphone, pas regardé Internet et suis allé nager dans un lac avec de bons amis, qui ne m’en ont pas trop parlé…

Etre bourré, prendre des drogues, être destructuré, cela t’aide à écrire de meilleures chansons?

Cela aide à atteindre un degré de fiction et de fantaisie, à créer des courts-circuits qui sont très intéressants, à faire des métaphores, des associations. Je suis quelqu’un avec un sérieux inné: quand tu es à la base assez timide, cela t’aide à perdre tes inhibitions. Dans la création, se péter la gueule peut être intéressant. Neverland, morceaux de neuf minutes avec 17 strophes, écrit entre quatre et six heures du matin, en une fois, tu ne le fais pas tranquillement après deux cafés au petit-déjeuner. Je n’ai pas honte de me donner cette liberté, faut juste bien la gérer…

Daan 1999.
Daan 1999.© Philippe Cornet

Le lettrage, la typo, non seulement font partie de la façon dont tu titres et mets en page tes disques, mais physiquement, ils sont dans ta vie: aux murs, ici comme dans tes autres lieux de vie auparavant. D’où vient cette obsession?

J’ai toujours été obsédé par les langues et le poids des mots, et comme j’ai une sensibilité de graphiste -mon premier métier-, je suis obsédé par la beauté physique des mots, pas seulement par leur sens. J’adore iconiser les mots: Total par exemple, qui n’est pas lié à une certaine langue. J’aurais dû l’appeler Half parce que je compte en faire un autre dans quinze ans.

On est dans un conservatisme politique de la N-VA et en même temps des Flamands comme toi, Isolde Lasoen, Patrick Riguelle ou Lara Leliane chantent en français. Pourquoi?

Il y a un peu une contre-réaction: il ne faut jamais enfermer les musiciens, les borner à un rôle. C’est aussi une question d’amour et d’ouverture, c’est une réaction saine et de curiosité. La Flandre c’est petit, tu sais la traverser à vélo. J’ai fait une série de dix émissions de musique française pour Radio Een le dimanche soir, heure innocente où l’on peut davantage se permettre. Je crois que la moitié des disques que je possède sont en français. Il y avait déjà du Brassens chez mes parents et puis les deux mères de mes enfants m’ont fait beaucoup découvrir: il y a une autre culture d’écoute par rapport aux textes. Et les mélodies sont différentes, à mi-chemin de l’Italie, elle, très baroque.

L’intégralité de l’interview, et la critique du box Total dans le Focus de cette semaine.

(1) ALLE MACHT AAN DE ARBEIDERS (TOUT LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS), PRÉCURSEUR DU PTB DANS LES ANNÉES 70.

(2) HOMME POLITIQUE SOCIALISTE FLAMAND (1898-1975), PREMIER MINISTRE A TROIS REPRISES DANS LES ANNEES 40-50.

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