Critique | Musique

Critique CD: Ben Frost – Aurora

Ben Frost © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

EXPÉRIMENTAL | Attention, zone à risques. Sur son nouvel album, Ben Frost crée un monstre sonore aussi effrayant que fascinant.

Critique CD: Ben Frost - Aurora

Au fond, il n’y a jamais une seule bonne manière de rentrer dans un disque -surtout quand il est aussi fruste et rebutant qu’AURORA, le nouvel album de Ben Frost. La porte d’entrée la plus simple est évidemment la musique: un morceau entendu à la radio, chopé au hasard sur YouTube… Mais elle est loin d’être la seule. Une pochette évocatrice, un label qui fait référence, ou encore l’histoire-même qui a servi de fil conducteur à la musique. A cet égard, celle d’AURORA est cruciale pour en comprendre les tourments.

Compositeur australien basé en Islande, Ben Frost a passé jusqu’ici son temps entre électronique tordue et musiques de films. On peut encore signaler sa collaboration avec Swans, incarnation rock passablement barrée de Michael Gira. En commun, une attirance pour les extrêmes et les paysages sonores abrasifs. C’est le cas d’AURORA. En découvrant sa genèse, on comprend mieux pourquoi.

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Au coeur des ténèbres

Ben Frost a conçu les grandes lignes de son nouvel album au Congo. En 2012, il a en effet accompagné le photographe Richard Mosse dans l’Est de la RDC, au Nord et Sud Kivu. Autant dire au coeur de l’enfer, dans une région ravagée par les massacres, les pillages, et les viols, laminée par des milices rebelles qui ne savent même plus pour qui ou pour quoi elles s’entretuent. Sur place, Mosse a utilisé des anciennes pellicules datant des années 40. Spécialement conçues pour l’armée américaine, afin de colorer la chlorophylle des végétaux en rouge, elles devaient permettre de détecter l’ennemi derrière son camouflage. Transposée dans le décor naturel luxuriant de l’Est congolais, la technique a permis à Mosse de livrer des clichés troublants. Des photos d’une guerre oubliée, camouflée, qui se dévoile en Technicolor rose flashy. La série, baptisée The Enclave, a été présentée à la Biennale de Venise 2013, avant de se voir récompensée le mois dernier par le prestigieux prix Deustche Börse. Cela n’empêchera pas de questionner l’esthétisation d’un conflit qui aurait fait plus de cinq millions de morts depuis 98.

Au malaise des photos répond toutefois la musique de Ben Frost. Elle ne laisse aucun doute sur le côté terrifiant de son sujet. Agressif, oppressant, AURORA passe d’une tempête sonore à l’autre. Comme en écho aux coulées de lave du volcan Nyiragongo (qui en 2002 encore a ravagé une partie de Goma), Ben Frost noie régulièrement ses morceaux sous des bourdons sonores (Nolan) et des percussions paranoïaques (Venter). La question ici n’est plus forcément celle du beau, mais de l’intensité. Disque éprouvant, grésillant, AURORA cultive ainsi ce paradoxe de ne pouvoir être apprécié que joué à haut volume, en s’y perdant complètement. L’intéressé en a été le premier surpris. Interrogé par Quietus, il a expliqué à quel point la musique avait pu lui échapper: « C’était comme si j’avais créé un monstre! » Un monstre bien vivant. It’s alive!

  • DISTRIBUÉ PAR MUTE/PIAS.

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