Couleur Café J2: Musiques de tout le monde

Costard et chemise noirs, Arno sur la scène de Couleur Café. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Deuxième jour pour CC sous le soleil bigarré d’un menu où l’on pointe Arno à la tête de versions trop heavy de son répertoire.

Cher Arno, cela doit faire dix-quinze ans sans t’avoir vu en concert, seulement croisé autour d’un vin blanc jamais loin de la Rue Dansaert. Charles Ernest Hintjens. Costard et chemise noirs, cheveux neiges, vouté sur le micro comme un désespéré du radeau de la méduse, tu démarres ton concert par trois titres heavy à la Humble Pie. Une vraie ratonnade sonique enjouée par un quatuor de musiciens -section rythmique, guitare, claviers- instruit de ne pas faire de prisonniers. Peu d’air dans ces premières minutes asphyxiantes où tu te concentres sur le chant et la soupe à la grimace : là aussi, fidèle à tes habitudes de chirurgie plastique live qui impressionneraient même Tom Waits. Les yeux fermés et les bras en croix, c’est Saint-Arno d’Ostende à Molenbeek à pied. Justement, tu dédies une chanson à la commune mortifiée par le terrorisme, après deux petits bijoux qui nuancent le rouleau-compresseur du groupe, Elle adore le noir et Vive ma liberté. Là, tu reprends le grain qui te ramène plus au cabaret-blues polymorphe qu’aux hardeuses réductions. Le public du Titan, est le tien, du belge et de l’étranger, mélangé, ouvert sur le vivre ensemble : derrière l’éternel vaudeville bourré, on sait que tu incarnes l’humaniste au sang-mêlé. Et que malgré les lourds flonflons de l’accompagnement du jour, tu possèdes toujours le grigri, la pile fondatrice qui te mènera jusqu’au bout des graviers. D’ailleurs, dans trois ans, t’as septante piges. Tes meilleures chansons -et ton deux pièces- méritent un rien plus de délicatesse, pas besoin de faire pétroler à ce point-là le tanker. Sinon, tu vas foutre la nausée, y compris aux filles du bord de mer.

Youssou & Goran

Les cadets Ghinzu, au même endroit qu’Arno, planent dans une configuration glam aux teintes lamées prenant continuellement la température de la testostérone. Faut pas oublier que John -chanteur et mentor- admire Lemmy Motorhead, tout en travaillant dans la pub : c’est dire qu’il connait deux ou trois ingrédients du grand écart. Quelques concerts à l’automne dernier, une poignée cet été, de quoi tester les trois-quatre inédits d’un album à paraître, dit-on, avant fin 2016. Ceci dit, Ghinzu fait bien chauffer la colle, toujours un peu vengeur-poseur, armé de quelques munitions reconnues à la Take It Easy. Le public, tout d’un coup rajeuni devant la scène, apprécie. Plus tôt dans la journée, on mesure combien la pollinisation joue dans les deux sens : de rock à world et inversement. D’où les guitares d’assaut de Kel Assouf, ensemble touareg mené par un citoyen nigérien installé à Bruxelles depuis 2006 : Aboubacar Harouna est un mélange de futal cuir à la Jim Morrison et de fringues du désert, métaphore possible de la fusion musicale offerte sous le petit chapiteau Dance Club modestement garni. Plus rude et moins gracieux que Tinariwen. La vraie statistique de ce CC 2016, avant le nombre de visiteurs, tient aux prestations de Youssou N’Dour et de Goran Bregovic. Le premier, retardé et placé sous chapiteau Univers pour cause de problème d’avion à Munich, tire un orchestre de douze musiciens. Difficile de ne pas suivre en lapin hypnotisé le tama, ce petit talking drum sénégalais qui vrille la tête et ponctue le beat. Vêtu d’un ensemble bleu clair à motifs psychés (ou religieux), Youssou reste ce chanteur exceptionnel, poussant son vaste groupe dans des émotions équivalentes à celles d’un E Street Band africain. Cette brillante musique dans un chapiteau bondé, montre que la world, même old school, ne saurait être moribonde : sa franchise, sa virtuosité émotionnelle, sa richesse harmonique, filent sans problème une ou deux leçons d’éthique et d’intensité à la majorité de la pop actuelle. Ne fût-ce que sur le plan du plaisir. Au même endroit, plus tard dans la soirée, Goran Bregovic, toujours accompagné de son Wedding And Funeral Orchestra, vient remuer les musiques des Balkans. Zone de porosité sentimentale où Grecs, juifs, tziganes, albanais, croates, serbes -les racines de Goran sont de ce doublé-là- et autres migrants perpétuels, se sont installés au fil des siècles. Là aussi, la foule déborde du chapiteau, et danse sur les spasmes de Sarajevo et d’ailleurs. Le chanteur du band -au physique de cuisinier- se met à vocaliser Ederlezi, rendue célèbre par la BO du Temps des gitans, et on se prend une énorme bouffée de cinéma, d’histoire, de romantisme et de musique pour passeport garanti sans frontières. Pas un luxe, vraiment, en ces temps mesquins.

>> Nos photos d’Arno, Ghinzu et Youssou N’Dour.

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