Laurent Raphaël

Compagnie du jazz

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Alors que le jazz est viscéralement une musique afro-américaine, née au confluent du blues, des polyrythmies importées de l’Afrique par les esclaves, des sonorités créoles épicées en provenance des Antilles et des Caraïbes, et du gospel branché sur la fréquence divine, c’est à un band de cachets d’aspirine que revient l’honneur d’avoir posé la première pierre officielle de la maison jazz. En l’occurrence le Dixie Original Jass Band, formation de La Nouvelle-Orléans qui grava pour la première fois ce nouveau son dans l’acétate un jour de février 1917. Cherchez l’erreur…

Quoi qu’il en soit, personne n’est dupe, c’est bien un sang noir qui bout dans le coeur et les tripes de ce corps athlétique et souple, chaînon manquant entre musique populaire et savante. Une voie médiane qui serpente depuis un siècle entre les berges de la tradition et de la modernité, charriant les humeurs des époques que ce fleuve indomptable traverse à grandes envolées de sax, de trompette, de piano ou de batterie. Car plus que n’importe quel autre rouage de la boîte à musique, le jazz aura été poreux à son environnement, se déclinant sans perdre son âme du big band endiablé avec piste de danse incorporée au cool jazz intimiste et mélancolique en passant par le be-bop démontant et remontant les accords et les mélodies comme un mécanicien les pièces de sa moto. Un effet miroir qui rapproche l’expérience jazzistique des arts plastiques. Même large spectre, du naïf au cérébral, du figuratif à l’abstrait.

« Le jazz est passion et cri, culture de l’éros primitif. Il est transe et extase« , s’emballe André Francis dans l’encyclopédie Jazz parue en 1982 (collection Microcosme au Seuil). Musique tantôt blême comme un cadavre sorti d’un polar de Chandler, tantôt brûlante comme le désir juvénile, mais jamais tiède. Aventurier et séditieux, le jazz a élargi la cartographie sonore en faisant de l’interprétation une composante de la création et en replaçant le rythme, longtemps relégué au rang d’élément décoratif, au centre des débats. « Il est une dynamique école d’aisance, d’humour, de légèreté et aussi un utile retour aux cultes dionysiaques« , résume Francis. Une matière organique et fissible qui a agi comme un aimant pour le cinéma, la littérature ou la BD, attirés à la fois par la pulsion vitale, la liberté formelle et le sens esthétique -lequel a d’ailleurs fait le bonheur des photographes- de la note bleue. Le jazz, c’est de la poésie en Zoot suit, du nom de ce costume extravagant prisé des hipsters des années 30.

« Qu’y a-t-il dans l’amour du jazz?« , s’interrogent en choeur Philippe Carles et Jean-Louis Comolli dans Free Jazz, Black Power en 1971 (Gallimard). Réponse: « La beauté, l’émotion, la nostalgie, l’excitation, la jeunesse, la révolte, tout cela sans doute. Mais d’abord le goût des chemins nouveaux. Le vif désir de l’inouï.« 

Le jazz est une matiu0026#xE8;re organique et fissible qui a agi comme un aimant sur le cinu0026#xE9;ma, la littu0026#xE9;rature ou la BD.

C’est cet inouï, présent au bout des lèvres de Louis Armstrong comme des doigts de Thelonious Monk, que ce hors-série se propose de capturer. D’abord en retraçant la folle aventure du jazz depuis ses premières notes à La Nouvelle-Orléans. Dans le monde mais aussi en Belgique, terreau fertile. Avec pour chacune des quatre grandes périodes (des origines aux années 40, les années 50-60-70, les années 80-90 et les années 2000) une sélection de disques essentiels. Ensuite en partant à la découverte de la mythologie jazzy -ses clubs, ses photographes, ses labels, son image…- et en se penchant sur les interactions, nombreuses, stimulantes et souvent incandescentes, avec les autres disciplines artistiques.

A lire non pas dans un silence religieux, mais les oreilles caressées par la trompette soyeuse de Chet Baker ou de Miles Davis.

EN VENTE DES LE 9/03.

Les abonnés reçoivent un bon de réduction de -3€ avec Le Vif/L’Express du 10 mars.

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