Serge Coosemans

Humungus, que ton règne arrive.

Serge Coosemans Chroniqueur

L’afterwork shopping de jeudi dernier, alibi bruxellois et pique-assiettes à se montrer, fut encore une belle occasion pour notre chroniqueur de ruminer et de se moquer de pauvres inconnus bizarrement coiffés. Sortie de Route, S02E28.

C’est dingue comme de plus en plus de gens pestent sur Bruxelles, cherchent à s’en éloigner, ne trouvent plus le moindre plaisir dans le fait d’habiter cette ville qu’ils considèrent désormais plus asphyxiante qu’énergisante. Je ne parle pas ici de râleurs professionnels du genre à écrire des lettres pantouflo-fascistes au Vlan et de plomber de commentaires bougons les sites d’infos régionales. Le ras-le-bol est en fait perceptible chez beaucoup de princes du cool qui formaient jusqu’ici une quasi semi-bourgeoisie mais se voient désormais parachutés aux avant-postes de la récession. Cette classe moyenne qui se décime, ces bobos dont la qualité de vie se dégrade. Il ne s’agit plus de sportivement râler contre le monde politique, l’ineptie institutionnelle et la mentalité provinciale. Il s’agit de très simplement se sauver la peau des roustons. De survivre à des faillites, de garder l’envie d’être créatif et enthousiaste dans une ville où la créativité et l’enthousiasme sont symbolisés par la Zinneke Parade et Plaisirs d’Hiver. Sinistre? Pessimiste? Défaitiste? Peut être, oui. Après tout, alors que personnellement je considère moi aussi Bruxelles comme proche de la phase terminale, j’ai aussi croisé ces derniers jours pas mal de monde qui y trouvait au contraire beaucoup de charme et de dynamisme. Il est vrai qu’il s’agissait principalement de stagiaires de la commission européenne, de hipsters et de modasses. Bref, de ces gens qui restent capables de claquer 400 euros pour un pull alors que c’est plus de la moitié de ce que d’autres rentrent péniblement chaque mois. Un jour prochain, je le pense, ce genre d’inégalité se règlera à la tronçonneuse. Humungus, que ton règne arrive.

En attendant, tout ce petit monde se pochetronnait gentiment côté Dansaert, ce jeudi soir. C’est comme ça chaque semaine, l’Afterwork Shopping. Les boutiques sont ouvertes jusque 20 heures et il n’est pas rare que vernissages, défilés et open-bars soient organisés. A l’instar de ce qui se trame sur les marchés matuvu du Châtelain et de la Place Communale de Saint-Gilles, le lèche-vitrine n’est bien sûr qu’un alibi. On y vient surtout pour se montrer. Occupés à siffler le Prosecco de Mapp, sympathique et dynamique petite boutique qui ferme définitivement cette semaine, elle aussi victime du carnage économique en cours, nous en somme venus à très vite à ricaner des brochettes d’hipsters moustachus à parkas militaires miteuses. Je suis plutôt classique dans ma façon de m’habiller, mais ayant connu les années post-punk, new-wave et grunge, je n’ai rien contre la fantaisie et la radicalité. Seulement voilà, qu’est-ce donc être radical en 2013, sinon porter la burqa? Comment choquer les convenances autrement qu’en se taillant une barbe longue comme le poing et en se ceinturant la djellaba de fausse dynamite? Ces minets avec leurs bonnets sur la tête comme ma grand-mère en mettait sur ses rouleaux de PQ sont juste ridicules. Leur panoplie se veut ironique, identitaire, rebelle aux diktats du fashion business mais c’est juste infantile, paysan, peut-être même le signe d’une grande confusion mentale. Ne jamais rien porter dont on serait honteux de montrer les photos des années plus tard, tel est mon crédo. Erol Flynn déguisé en nain de jardin? Charles Bronson en pull de nerd?Non mais allô, quoi…

En véritables pique-assiettes, ayant sifflé tout le Prosecco de Mapp, on se retrouve ensuite au Centre bruxellois de la Mode et du Design, à se taper à l’oeil des Vedett. Alexandra Sebbag y organise un défilé de mode du genre guérilla. Musique industrielle oppressante, mannequins statiques et masqués, éclairages stroboscopiques, dix minutes à peine de show… Il y a de l’idée, même si Bruxelles restant Bruxelles, c’est aussi un poil approximatif, pas assez radical, une fois de plus. A vrai dire, avec toutes ces femmes au visage masqué, on se croirait surtout dans un cauchemar du Denis Ducarme. Ne me sentant pas apte à juger les créations, ni vraiment concerné, déjà plutôt ivre aussi, je suis de toutes façons davantage fasciné par un jeune homme de l’assistance qui porte exactement la même coiffure qu’Andrew Ridgeley en 1983, le gars de Wham qui n’est pas George Michael. Le fou rire est atroce et devient même carrément inhumain au fur et à mesure que se posent à son sujet les questions essentielles: à part quelques coiffeurs turcs de la Chaussée d’Haecht, qui gère encore de telles coupes? Appelle-t-on cela une Andrew ou plutôt une Ridgeley? Une Wham? Un Club Tropikanal? Apporte-t-on une pochette de disque au salon, en disant, « je veux ça »? Le coiffeur étant connu pour ne jamais faire ce qu’on lui demande, que se passe-t-il si le résultat se rapproche davantage de la George que de l’Andrew? A moins d’une enquête poussée par l’équipe de Sans chichis, toutes ces questions resteront sans doute à jamais sans réponse. Dommage.

Destination finale: le Bia Mara, une sorte de cantine bobo où ça ne parle qu’anglais, histoire de se requinquer avec l’oméga 3 d’un poisson frit à 10 balles. Je graille mon fish and chips sans moufter, c’est même plutôt bon mais là aussi, je trouve à l’endroit quelque chose d’infantile, de générateur d’exclusion, d’annonciateur de crises graves. De typiquement Bruxelles 2013, donc. Marre de bouffer avec les doigts dans du carton, du poisson pané ou des hamburgers à 12 euros! Marre que les seuls restaurants non élitaires qui ouvrent encore dans cette ville proposent tous de la bouffe de snack améliorée, jouette et régressive. Qu’on leur envoie Gordon Ramsay, for f***’s sake!!! J’ai aussi envie de ricaner de ces pseudo-branchés qui trouvent très exotique et dynamique de se faire servir dans une langue étrangère. L’anglais plutôt que l’arabe, bien sûr. Ensuite, je rentre jouer à la tombola. Celle pour la Green Card.

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