Fallait pas m’inviter, semaine 9: Plaisirs d’hiver? (point d’interrogation)

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle et de l’art. Pour y découvrir des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça se poursuit ce vendredi. Avec un passage par les Plaisirs d’hiver.

J’étais dépucelé de longue date, niveau marché de Noël. Dans mon jeune et brave temps, à l’époque où les Backstreet Boys avaient encore un pied dans ta radio préférée, je fus le malheureux titulaire d’une bonne volonté familiale qui me fit, en plein mois de décembre, tenir un chalet de Noël. On y vendait des bonbons. Dans la nuit, dans le vent et dans la froidure, comme disait Gérard Lambert. Deux paires de chaussettes, un jogging sous le jeans, un jeans sur le jogging, un Damart sur le Damart, un pull, deux pulls, un manteau pas stylé, une écharpe, pas de gants, un bonnet. Par -3°, dans un chalet de Noël. Pendant 14 heures d’affilée. Tu la sens, ma pneumonie? Tu les sens, mes os complètement inconsolables, même des heures après la fin du supplice? Depuis, je garde une rancoeur aussi tenace que massive contre cette ignoble et galopante tradition décembrienne. Nous voici bien des années plus tard. Et j’ai la plume qui démange: en croisant l’un des panneaux publicitaires vantant les mérites de cette soupe à nigauds, je m’étais juré, fin de semaine dernière, que ces Plaisirs d’hiver, j’allais me les faire. On peut, non?


Le retour de GERARD LAMBERT par gerardlambert31

Car enfin, qu’est-ce que c’est que ce truc? Mercredi soir, sur le coup de 20h, je débarque avec mon excellentissime partenaire entre le quai aux Briques et le quai au Bois à Brûler. Pas par la place Sainte-Catherine. Par l’autre côté donc, le côté canal. Histoire de trouver une place plus facilement. Mwawawahaha, imagerait la jeunesse. Trouver une place, quelle vile farce! Tu me diras, avec cette sagacité que l’entièreté du sous-continent indien t’envie, pourquoi donc ne t’y rends-tu pas en métro, tel un gens civilisé? Je t’en pose, d’écologiques questions? Soit, nous finissons, après une vingt-deuxaine de minutes quasi spéléologiques, à glisser l’auto dans un espace idoine. Pour nous retrouver, dans la foulée, dos à la grande-roue et face à la longue bande de marché noélique accrochée aux pavés. Je déteste les fêtes. Je déteste qu’on ne déteste pas les fêtes. Je déteste qu’on mette des bonnets de Père Noël pour montrer qu’on aime bien les fêtes. Tu m’as connu moins rabique, plus souple, moins gris du slip, plus loveboat. Certes. Mais le coup du bonnet de Noël, faut arrêter. Arrêter d’avoir l’air heureux sur commande. Déjà parce qu’on caille des billes. Le thermomètre n’est pas encore en mode terroriste, mais on sent qu’il est au bord du coup-de-tête-balayette. Conjuguer « plaisirs » et « hiver » dans la même expression, c’est se moquer du pékin. T’en prends, du plaisir, les pieds en pleurs, le nez alcolo, les mains de vieux et les oreilles au piment? Franchement?

C’est pas tout. « Prépare les parapluies », avait anticipé ma perspicace complice. De fait, 20h34, ça tombe. Ça tombe minable, ça tombe petit bras, mais ça tombe. On se réchauffe. Avec un épi de maïs manifestement cuit dans son jus de désespoir. Le problème, dans ce genre d’enfilades, c’est qu’on te propose 688 stands de bouffe, et que tu finis toujours par choisir le plus dégueulasse. Scientifique. Tu finis toujours par t’offrir toujours le plus pourri du maïs, la crêpe Nutella la moins bien cuite, les churros les plus gras, le plus fatigué des cougnous ou le plus crapuleux des vins chauds. Rien à faire, t’es cerné. Heureusement qu’on n’aime pas le boudin (ni son avatar plus présentable, le pain-boudin). En revanche, ces students à pennes, bruyants et démonstratifs comme des students à pennes, entassés dans un stand à genièvre (ça oui, y’en a du genièvre, la boisson typique des chalets sans que je sache pourquoi et sans que j’aie envie de le savoir), z’aiment bien le boudin. Et tant mieux. Parce qu’on dégage de là.

Ben oui, on dégage, parce qu’on a le défi. Tu connais pas le défi? C’est ma frémissante compagnonne qui me suggère l’idée, en début de parcours: « Et si on s’achetait l’un pour l’autre ce qu’on trouve de plus moche? » Trouver le truc le plus moche des Plaisirs d’Hiver, ça équivaut, grosso modo, à sélectionner le plus long de ses poils de jambe. Non content d’être un fourre-tout à becquetage hasardeux, le marché de Noël sert également de supermarché de 1) l’improbable, dans le meilleur des cas 2) des objets complètement inutiles et sans intérêt 3) de tout ce qui finira en cadeaux de fins d’années sous les sapins dans les familles où on ne s’aime pas des masses. Petits machins en bois indéterminés, bonnets péruviens, pendentifs avec photos de l’être aimé (qui, de préférence, à la nuque longue, des crolles et ressemble à Francis Cabrel époque Cabane du pêcheur et/ou à Thierry Cabrera pour les amateurs de tennis de table), assiettes, plats en tout genre, chaussettes de Père Noël, pantoufles, bibelots en porcelaine (beaucoup beaucoup), Belgacom, pochoirs, bougeoirs et autres trucs en « oirs » absolument inutiles et inesthétiques. Bref, essentiellement de quoi rappeler au frère de sa tante par alliance, le soir du réveillon, qu’il pourrait parfaitement se faire dévorer dans son sommeil par un bataillon de teignes, ça ne t’empêchera pas de t’endormir. Et encore moins de te réveiller.

Cerise sur le gâteau: la patinoire. Forcément. Même quand ma haine du froid ne dépassait pas encore un seuil humainement acceptable, j’avais une dent contre le patin à glace. Peut-être parce qu’il s’agit d’un sport à haut potentiel d’humiliation. Comme le restant de ce billet, cela dit, cette haine tient de l’irrationnel. De toute façon, comme nous n’y faisons pas de vieux os, dans ce Barnum commercial à la noix, ça va bientôt s’arrêter. Dans sept mots. Je reviendrai, pour les Plaisirs d’été.

Guillermo Guiz

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