Chuck Berry: une vie sex, drugs & rock’n’roll

Chuck Berry, ici sur scène à Las Vegas en 1972. © EPA/Gary Angel
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Si on lui a longtemps confisqué le titre d’inventeur du rock’n’roll, rôle incarné par plus « blanc » que lui, au moins Chuck Berry a-t-il su durer. Retour sur la vie sex, drugs, & rock’n’roll d’un de ses pionniers les plus originaux, et fulgurants.

De sa longévité, il a souvent pu donner l’impression d’en tirer une certaine fierté. Voire matière à atténuer une amertume tenace. On sait que l’homme était rancunier: si on lui a longtemps confisqué le titre d’inventeur du rock’n’roll, rôle incarné par plus « blanc » que lui, au moins Chuck Berry a-t-il su durer… En octobre dernier, il avait fêté ses nonante ans, et annoncé dans la foulée un nouvel album. Finalement, le musicien s’est éteint ce 18 mars, chez lui, dans le comté de St-Charles, Missouri. À l’annonce de sa mort, les hommages n’ont pas manqué d’affluer pour saluer le génial pionner, de Mick Jagger (« il a illuminé notre adolescence ») à Bruce Springsteen (« le plus grand auteur de l’histoire du rock »). Les images d’archives montrant à peu près toutes le même spectacle: la longue silhouette d’échassier, les extravagances de celui qui a compris que le rock était aussi un show (son fameux duckwalk), et surtout les paluches immenses se baladant sur le manche.

Charles Edward Anderson « Chuck » Berry est né le 18 octobre 1926 à St-Louis. La même année, de l’autre côté du Mississipi, une autre icône de la musique américaine voyait également le jour: Miles Davis. Autre carrière, mais même caractère de cochon. Un mélange d’arrogance et de défiance, qui, pour l’un comme pour l’autre, sera largement alimenté par les vexations dues au racisme ambiant… Davis se passionnera pour le jazz, Berry pour le blues électrique.

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C’est d’ailleurs sur les conseils du grand Muddy Waters que le guitariste contacte le label Chess, en arrivant à Chicago, en 1955. Berry y enregistre son premier tube, Maybellene, une adaptation d’un morceau hillbilly, Ida Red. Le titre sera le premier d’une longue série de succès rock’n’roll, cette nouvelle forme musicale mêlant rhythm and blues noir et tradition country blanche. Roll Over Beethoven, School Days, Sweet Little Sixteen, et bien sûr Johnny B. Goode… Avec d’autres, Chuck Berry participe ainsi à une révolution musicale qui sera également sociale, générationnelle. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il écrit lui-même la plupart de ses chansons. Il devient ainsi le premier vrai parolier rock, greffant sur les lamentations blues les préoccupations autrement plus désinvoltes et joyeusement hédonistes de la jeunesse dorée des fifties. À l’époque, il a beau avoir déjà atteint la trentaine, nul ne chante comme lui les virées en cadillac après l’école…

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À la fin des années 50, Chuck Berry est ainsi devenu une vraie star. Bien décidé à faire fructifier son magot, il a commencé à investir dans l’immobilier et a ouvert un premier club dans sa ville de St-Louis, avant de concevoir son propre parc d’attraction. En décembre 59, ses affaires subissent cependant un coup d’arrêt. Il est arrêté pour avoir fait traverser la frontière à une mineure: en virée avec son groupe à El Paso, Berry est en effet revenu chez lui avec à ses côtés une jeune fille apache, Janice Escalante. Elle a 14 ans; il pensait qu’elle en avait 21… Drôle d’époque. La même année, Elvis Presley, 24 ans, sort avec Priscilla, 14 ans; tandis qu’en 1958, Jerry Lee Lewis a fait scandale quand la presse a appris qu’il s’était marié avec sa cousine de 13 ans…

Condamné une première fois par un premier juge ouvertement raciste, Chuck Berry aura droit à un nouveau procès. Qui confirmera le premier verdict. Il retrouve la prison qu’il avait déjà connue ado, pour des vols à main armée. Là, il écrit une nouvelle série de tubes: No Particular Place To Go, You Never Can Tell, ou encore Promised Land. « Ayant décidé d’écrire sur le thème de la terre promise, écrit John Collis dans sa biographie de Chuck Berry à propos du morceau, évoquant le voyage d’un pauvre gars de Norfolk, Virginie, à travers tout le continent jusqu’à Los Angeles, il rencontra un problème prévisible. Il eut en effet besoin d’un atlas pour vérifier la route et trouver des noms d’endroits qui puissent nourrir le texte du morceau. Ce qui ne manqua pas de susciter les soupçons des autorités pénitentiaires, envers un prisonnier réclamant une carte routière… »

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Malgré sa nouvelle livraison de hits, Chuck Berry ne retrouvera cependant plus jamais la même place. À vrai dire, la reconnaissance vient alors surtout d’ailleurs. Notamment de tous ces nouveaux groupes anglais qui le vénèrent et reprennent ses morceaux les plus fameux sur disques ou en concerts. Ils s’appellent les Beatles, les Rolling Stones, etc. Plus tard, quand ils seront devenus eux-mêmes des phénomènes mondiaux, ils louperont rarement une occasion de rendre hommage au maître. Quitte à devoir subir ses accès de mauvaises humeurs – voir le fameux épisode où, lors du tournage du documentaire Hail! Hail! Rock’n’Roll, Keith Richards se prend le poing de son idole dans la tronche, ponctuant une discussion animée. Déjà sa réputation de diva irascible n’est plus à faire…

Johnny B. Bad

À cet égard, Chuck Berry consacre une grande partie des années 70 autant à consolider sa légende qu’à la détricoter. Sur scène, il se contente de jouer paresseusement la carte de la nostalgie, réclamant systématiquement à être payé en cash (ce qui lui vaudra par la suite une condamnation pour évasion fiscale). Pour l’accompagner, il engage des groupes pas toujours virtuoses, sans toujours leur dire ce qu’il va jouer. Le genre de vexation qu’a pu connaître par exemple Bruce Springsteen, encore jeune musicien. Il se rappelle très bien de sa première rencontre avec son idole. « Il est arrivé juste avant le début du set. On lui a demandé: « Hey Chuck, quels morceaux va-t-on jouer? » « Hmmm, je crois qu’on va essayer quelques morceaux de Chuck Berry » » Merci, bonsoir…

Dans le même temps, il se retrouve pourtant aussi invité à la Maison-Blanche. Et en 1977, alors qu’Elvis quitte définitivement le building, lui s’envole loin, très loin, vers les confins de l’univers, via son morceau Johnny B. Goode, seul titre rock intégré à la playlist embarquée à bord de la sonde Voyager. En 72, il obtient encore son ultime tube, et son premier n°1 américain, avec My Ding-A-Ling. L’enregistrement live d’une blague dont il prend un malin plaisir à appuyer le côté grivois.

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Il faut dire que l’homme est particulièrement porté sur la chose. Marié officiellement pendant 68 ans à la même femme, Chuck Berry ne prendra pas beaucoup de précautions pour cacher ses multiples conquêtes, souvent jeunes et blanches. À la fin des années 80, le magazine High Society publie d’ailleurs une série de clichés volés du musicien, « ding-a-ling » au vent, accompagné de fans toutes aussi dévêtues que lui. Au même moment, un ancien employé de son restaurant explique également à la police que son patron a installé des caméras dans les toilettes des femmes. Lors de la perquisition, les inspecteurs tombent en effet sur des enregistrements douteux, ainsi que sur un petit paquet de marijuana. Berry passera un accord: il plaidera coupable pour la possession de drogues, et en échange, le procureur abandonne les charges concernant les vidéos…

Sex, drugs, & rock’n’roll en quelque sorte. La moindre des choses, pour celui qui l’un de ses pionniers les plus originaux, et fulgurants.

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