Chars de guerre, électro et danseuses du ventre

Les principaux membres de Cairo Liberation Front © Cloakture
Elisabeth Debourse Journaliste

Yallah! Cairo Liberation Front importe le son de la révolution égyptienne. L’Electro Cha3bi, musique unique et révolutionnaire sur différents aspects, débarque en Europe.

Flashback. Dour, dimanche 20 juillet. Il est près de 14h, le moment parfait pour un pain saucisse, l’une des sept merveilles culinaires du monde des festivals. Puisqu’il a plu et que l’herbe brulée s’est transformée en boue collante typiquement dourienne, il faut bien trouver un endroit, au sec, où s’enfiler la bombe calorique. Les lattes en bois déglinguées du Dance Hall feront l’affaire et c’est assis en tailleur à mâchouiller la baguette caoutchouteuse que la collision avec une musique désarçonnante se produit. « Yallah! », scande un public excité et collé à la scène, t-shirts tournoyant dans les airs au rythme d’une l’électro arabisée. Contrastant avec cette atmosphère festive, voire euphorique, l’écran géant diffuse des images de la révolution égyptienne. Morsi, chars de guerre, manifestants défilent, parfois entrecoupés d’une vidéo cocasse et absurde d’un moustachu et des mouvements de bassin de danseuses du ventre. Le spectacle laisse interrogateur. On n’y comprend pas grand chose, si ce n’est qu’il y a bel et bien un message derrière la façade des rythmes orientaux mêlé aux genres du « grand Ouest ».

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Derrière les qamis arabes, un masque à gaz et le costume de colonel se cachent Cairo Liberation Front, un collectif de DJ’s néerlandais qui s’est fixé pour mission de faire découvrir les sons vibrants des quartiers populaires du Caire. « Ce qu’on appelle l’Electro Cha3bi est selon nous l’un des genres musicaux les plus excitants qu’on ait entendu: c’est un style musical unique qui consiste à mixer des rythmes arabes traditionnels avec des sons tirés de genres occidentaux comme le hip hop, le r’n’b et l’électro et qui est développé par de jeunes égyptiens « , explique Yannick Verhoeven, l’un des membres du collectif qui rassemble également des artistes visuels et des danseuses.

Tout commence avec une vidéo: « L’un des membres du groupe, Joost Heijthuijsen, a trouvé cette vidéo dingue où un claviériste fou frappait les touches de son piano avec ses poings « , raconte Yannick. « En cherchant sur Internet, on a découvert que cet homme, Islam Chipsy, était l’un des leaders de cette scène musicale. » Le virus est attrapé et le collectif formé avec pour ambition de lever le voile sur l’Electro Cha3bi, puisque les membres de Cairo Liberation Front s’aperçoivent rapidement que cette musique qui les remue tant, personne n’en parle, personne n’écrit à son propos dans les médias traditionnels. Pourtant, pour eux, elle est sur de nombreux aspects réellement révolutionnaire. « C’est comme si Aphex Twin commençait à travailler avec Lil’ Wayne et qu’Omar Souleyman remixait le fruit de leur collaboration. On n’avait jamais entendu ça auparavant: du rap en arabe couvert par un auto-tune avec des beats gonflés, mais en même temps avec un son et une structure musicale vraiment traditionnels« , décrit le Néerlandais. Joost décide alors de partir en Egypte avec John Doran, un journaliste musical, pour voir de ses propres yeux comment vit la jeunesse égyptienne, ce que l’Electro Cha3bi signifie pour elle et à quoi ressemblent les fêtes dans lesquelles résonnent le Mahraganat, l’autre nom de cette musique excitée.

Cairo Liberation Front est également composé d'artistes visuels qui n'hésitent pas à mélanger les genres à gros coups de pinceau Paint.
Cairo Liberation Front est également composé d’artistes visuels qui n’hésitent pas à mélanger les genres à gros coups de pinceau Paint.© Cairo Liberation Front

La scène émerge il y a une demi-douzaine d’années, grâce à Amr 7a7a, DJ Figo et « mic man » Sadat, des artistes cairotes qui remettent au goût du jour un genre né dans les années ’70 et issu des classes populaires du pays, qui puisaient pour la première fois dans leurs expériences de vie l’inspiration de leurs chansons, plutôt que d’aborder les sujets classiques d’amour platonique. Mais ce n’est qu’après la révolution que leur musique gagne en popularité, touche le coeur et frappe les esprits des égyptiens, comme l’explique John Doran dans une série d’articles pour Quietus. La musique parle d’eux, de leurs tiraillements, de leur colère, tout en parvenant à faire oublier la conjoncture politique et sociale du pays pendant un bref instant grâce à des rythmes tribaux et à la fois résolument modernes, qui ne laissent d’autre possibilité que de secouer son corps tout entier, sauter, crier. L’Electro Cha3bi ouvre les valves. Si le « Hey Ho! Let’s Go! » de Blitzkrieg Bop est l’hymne d’une décennie révoltée et de la culture punk, « Yallah! » est son équivalent égyptien.

Même si l’Etat censure jusqu’ici ces extravagances électroniques sur fond de paroles bien souvent contestatrices et dénonciatrices, la scène se développe largement à l’endroit même où elle est née: dans la rue. Ce sont les mariages qui accueillent les productions des artistes Mahraganat, dans des fêtes aux allures de rave-party. Doran raconte: « Le Mahraganat ne nécessite qu’un DJ, un MC et un sound system, ce qui en fait une alternative aux groupes live traditionnels moins chère et de plus en plus populaire. » Pour autant, il est difficile de vivre de sa musique, quand on verse dans l’Electro Cha3bi; aucune industrie lucrative n’en découle et les enregistrements sont disponibles gratuitement en ligne.

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Mais qu’importe, pour l’instant du moins, puisque l’important est d’être entendu. Pour les membres du collectif Cairo Liberation Mouvement, le vrai intérêt de l’Electro Cha3bi, tout comme de la révolution égyptienne, c’est avant tout d’avoir permis de donner une voix aux habitants de ces quartiers populaires. Et la musique qu’ils mixent, assemblent en mixtapes et s’apprêtent à produire leur parle, même s’ils comprennent difficilement la langue. « Pour nous, des blancs de la classe moyenne qui ne parlons pas arabe, c’est vraiment difficile d’avoir de l’empathie pour ce que ces gens traversent. Cette musique, c’est un pas vers les jeunes du Caire « , raconte Yannick, avec en tête l’envie de faire voyager le style musical jusqu’à nos propres playlists. Les instigateurs du genre eux-même commencent à se faire connaitre, à tel point qu’ils ont cette année réalisés un set live pour Boiler Room. « En temps normal, si tu joues de la « world music » ou simplement un genre musical qui n’est pas typiquement occidental, tu te retrouves à jouer dans des festivals dont le public est en général beaucoup plus âgé. Mais cette musique n’est pas faite pour rester assis « , ajoute-t-il. « Tu dois la ressentir et danser.« 

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L’Electro Cha3bi fait l’objet d’un documentaire signé Hind Meddeb.

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